Sélection

Mécanique et musique, un accord parfait 

Dans le paysage musical contemporain, on trouve des automates, des machines et d’autres objets articulés qui produisent des rythmes et des sons n’ayant rien à envier à ceux réalisés par un orchestre. (Re)découvrez trois pièces sonores mécaniques au succès retentissant.

Plaquette de Léon Napakatbra (2000) de Jéranium.
© Plaquette de Léon Napakatbra (2000) de Jéranium. Conception graphique : « L’Homme qui tremble », illustration du manège/boîte à musique : Delf.

L’Enfer, un petit début de Jean Tinguely, les Automates Ki de Maxime de La Rochefoucauld et Léon Napakatbra de Jéranium sont trois œuvres sonores qui méritent d’être regroupées et confrontées. Conçues à différentes époques, elles témoignent d’un même intérêt pour l’orchestration mécanique. Jean Tinguely était plasticien, Jéranium et Maxime de La Rochefoucauld sont musiciens. Créateurs d’horizons différents, ils ont rassemblé avec une même énergie des objets ou des instruments pour faire du bruit et composer des machines sonores gigantesques.

Léon Napakatbra (2000) de Jéranium

Il tourne, il tourne, l’immense batteur mécanique imaginé par Jéranium (né en 1967), un féru de musiques improvisées et d’expérimentations musicales en tous genres. Cette boîte à rythme géante de huit mètres de diamètre, nommée Léon Napakatbra, repose sur la base d’un manège et pèse six tonnes. Elle est composée d’objets de récupération divers : 132 bras en bois, structure en métal, batteries, cloches, cymbales, percussions, guitare à quinze cordes, trompette d’arrosage, gongs balinais, sanza-basse, etc. À l’intérieur de cette « machine-chapiteau », quatre musicien·nes actionnent les mécanismes.

Jéranium explique à Balises comment il a conçu son œuvre :

« Inspiré par Frédéric le Junter, j’avais fabriqué une petite boîte à rythmes mécanique sur la base d’une roue de vélo à la fin des années 1990, et c’est en voyant le manège du collectif À Chahuter que l’idée est venue de transformer ce manège en boîte à rythmes géante. À son bord, on embarquait pour jouer de la musique expérimentale, électrique et rotative, principalement lors de festivals de rue. J’ai conçu les grandes lignes du projet et posé les bases de fonctionnement. Le guitariste et bassiste Antoine Rousseau, qui est aussi programmateur informatique, m’a aidé à mettre au point la répartition des bras afin de pouvoir programmer un maximum de rythmes sans endommager la mécanique. Puis Bertrand Boulanger (Gelamboo), plasticien et constructeur émérite, a supervisé le chantier de construction. Toute cette élaboration s’est faite dans la coopération, l’échange d’idées et le partage de compétences, sans chef ni metteur en scène. L’auto-organisation, le respect mutuel et l’enthousiasme créatif font parties intégrante de la réussite du projet Léon Napakatbra. »

Jéranium, pour Balises, septembre 2025

Léon Napakatbra n’est pas la dernière création de Jéranium, qui s’investit dans d’autres projets artistiques, notamment avec Man’Hu au sein de la compagnie Les Objets perdus. Néanmoins, cette machine qui tourne et qui tape, fait partie de celles qui ont frappé les esprits et touché les cœurs, à l’instar de Libération,  qui évoquait en 2001 : « Mariage étonnant de la musique contemporaine et des arts forains. Un manège déjanté. »

Les Automates Ki (1996) de Maxime de La Rochefoucauld

Les Automates Ki de Maxime Maxime Rioux, alias Maxime de La Rochefoucauld

Maxime Rioux, alias Maxime de La Rochefoucauld (né en 1959), est surnommé « le sorcier des automates » par Gérard Nicollet et Vincent Brunot, les auteurs des Chercheurs de sons (2004). En 1996, il invente un procédé original de musique mécanique, appelé Ki, référence au terme chinois désignant l’énergie vitale. Les système Ki mobilisent des haut-parleurs sur lesquels « sont fixés différents éléments percuteurs (lamelles métalliques, bouts de bois, ressorts, fils, mailloches, baguettes) susceptibles d’entrer en contact avec des matières vibratoires ou sonnantes (peau de tambour ou de tabla, tambourin, bloc de bois, cordes de luth ou de violon, squelette d’abat-jour, vieille cymbale, clochette, coupole, assiette, boîtes de conserve…). Un peu à la manière du tympan auditif, chaque percuteur, structure souple faite de bois et de fer fixée au centre de la partie mobile des haut-parleurs, s’anime d’un mouvement oscillatoire lorsqu’une vibration lui est impulsée », expliquent Gérard Nicollet et Vincent Brunot.

Les Automates Ki témoignent du double parcours de Maxime de La Rochefoucauld : musicien et plasticien. Titulaire d’une maîtrise en arts visuels et formé à la musique électronique, le Canadien place le son au cœur de son travail créatif.

L’Enfer, un petit début (1984) de Jean Tinguely

Un petit cheval en bois, des rouages, des poupées, une vraie plante verte, une bassine, une tête d’élan et d’autres curiosités se mettent en mouvement de manière aléatoire, car « le hasard est très important chez Tinguely  », comme le rappelle Sophie Duplaix, commissaire de l’exposition « Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely, Pontus Hulten », organisée par le Centre Pompidou jusqu’au 4 janvier 2026 au Grand Palais. Ce « ballet sonore et visuel » haut de 60 centimètres, composé d’objets disparates qui s’entrechoquent, n’a rien de macabre et a été conçu pour faire rire. « La machine […] est pour moi […] un instrument qui me permet d’être poétique. Si vous respectez la machine, peut-être qu’on a une chance de faire une machine joyeuse, je veux dire libre », affirme d’ailleurs Jean Tinguely.

Cette œuvre a également une dimension politique, comme les les Reliefs méta-mécaniques sonores (1955) et autres machines imaginées par Jean Tinguely (1925-1991). En composant des installations mécaniques bruyantes, avec des objets de récupération, Jean Tinguely dénonce le rythme effréné de la société industrielle.

Pour Pontus Hulten, « il est difficile d’imaginer L’Enfer sans la présence de Tinguely » : «  C’est un prolongement de son esprit, bourré d’allusions et de facéties (l’un des objets qui se balancent absurdement est un sac à main qui appartenait à sa mère). »

Publié le 29/09/2025 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Jean Tinguely

Jean Tinguely
Fage éd., 2022

Une sélection d’œuvres associées à des citations permet de s’initier à l’univers du sculpteur suisse. Si ses premières œuvres sont des compositions abstraites actionnées par de petits moteurs dissimulés, il abandonne ensuite l’abstraction pour tomber amoureux de la machine, du mouvement, de l’éphémère. © Électre 2022

À la Bpi, 70″19″ TING 1

Tinguely. Catalogue d'exposition


Museum Kunstpalast, 2016

Catalogue publié à l’occasion des expositions « Jean Tinguely : super meta maxi », Museum Kunstpalast, Düsseldorf (2016) et « Jean Tinguely : machine spectacle », Stedelijk Museum, Amsterdam (2016-2017).

À la Bpi, 70″19″ TING 2

Chercheurs de sons. Instruments inventés, machines musicales, sculptures et installations sonores

Gérald Nicollet, Vincent Brunot
Éd. Alternatives, 2004

Présente 30 créateur·rices francophones d’instruments expérimentaux, de machines musicales et de sculptures ou installations sonores. Fait le portrait de chaque artiste et décrit une de leurs créations instrumentales.

À la Bpi, 785.9 NIC

Rédiger un commentaire

Les champs signalés avec une étoile (*) sont obligatoires

Réagissez sur le sujet