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La communication politique à l’ère des réseaux sociaux : en plein dans la cible ?

Être visible et actif sur les médias sociaux est devenu un nouvel impératif communicationnel pour les acteurs politiques. Mais pour quelle efficacité, et avec quelles dérives potentielles ? C’est ce qu’analyse Julien Boyadjian, maître de conférences en science politique à Science po Lille.

La très grande majorité des élus et des candidats disposent aujourd’hui d’un compte sur les principales plateformes. La communication numérique présente certaines spécificités intéressantes pour les professionnels de la représentation. La possibilité de s’adresser directement aux citoyens ou d’opérer un micro-ciblage de leurs messages ouvre en effet des perspectives stimulantes… mais par ailleurs limitées.

Une communication directe ?

Ce n’est sans doute pas un hasard si le premier parti politique français à avoir ouvert un site internet à la fin des années quatre-vingt-dix est le Front National, un parti qui s’estimait alors « censuré » par les médias traditionnels. Internet offre en effet la possibilité aux acteurs politiques de s’exprimer devant un large public, sans avoir besoin pour cela d’être invités à la radio ou la télévision. Les personnalités politiques souffrant d’une faible exposition médiatique – ou bien celles estimant leur point de vue marginalisé dans les médias mainstream – trouvent dans les plateformes numériques un moyen de gagner en visibilité.

Pour autant, le niveau d’audience des acteurs politiques sur les plateformes apparaît surtout corrélé à leur degré d’exposition dans les médias traditionnels ; rares sont les personnalités parvenant à conquérir un large public sur la toile tout en restant en retrait du paysage médiatique. Plus encore, les journalistes n’ont pas disparu du « jeu politique » : l’objectif premier des élus et des candidats sur les réseaux sociaux reste de voir leurs prises de position relayées par les journalistes, afin d’être entendu du plus grand nombre et de peser sur le débat public.

Enfin, si la parole politique semble plus affranchie sur la toile, l’actualité tend à montrer que les plateformes numériques ne sont pas aussi « neutres » qu’elles le prétendent. Bien que qualifiés de médias sociaux, Facebook, Twitter ou YouTube ont toujours revendiqué le fait de ne pas être des producteurs de contenus – et donc de ne pas avoir de ligne (et de responsabilité) éditoriale ou politique – mais d’être simplement des intermédiaires entre une offre et une demande informationnelle. La suspension du compte de Donald Trump par les principales plateformes à la suite de sa défaite à l’élection présidentielle ou la censure par Facebook de publications de cadres du Rassemblement National montrent bien que la parole politique demeure contrainte et contrôlée sur ces espaces numériques. La dénonciation, quasi-unanime, de la classe politique française suite à la suspension des comptes de l’ancien président des États-Unis illustre la crainte de voir des firmes privées étrangères (les GAFAM étant toutes des entreprises états-uniennes) contrôler ce qui est devenu leur principal instrument de communication.

Le profil de Trump dessiné par des oiseaux Twitter
Bpi, 2021 – CC BY-SA 4.0

Un micro-ciblage à l’efficacité incertaine

Une autre particularité des plateformes numériques est de permettre aux acteurs politiques d’opérer une communication ciblée de leurs messages. Le modèle économique de Facebook (et de ses concurrents) repose précisément sur le principe du micro-ciblage publicitaire, réalisé à partir des informations personnelles des utilisateurs. Les organisations politiques peuvent trouver un certain intérêt à adapter leurs messages en fonction des spécificités de leurs différents électorats. L’équipe de campagne de Donald Trump a par exemple eu recours à ce type de publicités ciblées (et mensongères) afin de dissuader l’électorat noir-américain de voter pour sa rivale, Hillary Clinton. Il existe aujourd’hui dans le champ politique une certaine croyance dans l’efficacité de ce « big data électoral » ; une croyance entretenue par toute une série d’acteurs qui ont fait de la vente de bases de données et de conseils en marketing numérique un nouveau secteur d’activités économiques. L’affaire Cambridge Analytica, survenue dans les années deux-mille-dix, a mis au jour ce phénomène… et les dérives potentielles qui lui sont associées : les milliers de données personnelles mobilisées par cette société pour vendre du micro-ciblage avaient été collectées et utilisées à l’insu des utilisateurs.

Au-delà de ces dérives judiciairement condamnables, que penser du « big data électoral » et du micro-ciblage ? Il convient en premier lieu de relativiser la nouveauté de ce phénomène : l’usage des techniques issues du marketing dans le champ politique ne date pas des réseaux sociaux. Depuis maintenant plus d’une cinquantaine d’années, les acteurs politiques ont recours à des sondages d’intention de vote ou encore des études de « pré-test » des programmes électoraux sur des « populations cibles ». La nouveauté concerne ici le degré de finesse du ciblage opéré, grâce aux données personnelles des internautes. Certes impressionnantes, la diversité et la précision de ces données personnelles n’est toutefois pas toujours pertinente d’un point de vue politique : une étude états-unienne a montré par exemple que les données les plus utiles aux stratèges de campagne de Barak Obama n’étaient pas forcément les informations collectées sur les réseaux sociaux, mais celles issues… des listes électorales (et notamment l’identification partisane et la « race », deux informations requises lors de l’inscription sur les listes électorales dans certains États outre-Atlantique). Enfin, l’efficacité électorale de cette communication ciblée peut être également discutée : être exposé à une publicité ou à une infox ne suffit pas à être influencé politiquement. Il convient de ne pas oublier que les internautes demeurent des citoyens dotés de valeurs politiques, qui fonctionnent comme des filtres lorsqu’il s’agit d’interpréter le sens des contenus politiques auxquels ils se trouvent exposés.

Publié le 03/05/2021 - CC BY-NC-SA 4.0

Pour aller plus loin

Analyser les opinions politiques sur Internet : enjeux théoriques et défis méthodologiques

Julien Boyadjian
Dalloz, 2016

Dans cet ouvrage issu de sa thèse de doctorat, Julien Boyadjian identifie les logiques sociales qui sous-tendent la production et l’échange de messages politiques sur Twitter, en mobilisant une méthode qui combine une approche classique d’interrogation par questionnaire et une approche novatrice des big datas.

À la Bpi, niveau 2, 32.12 BOY

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