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Où sont les femmes graphistes ?

Alors que l’enseignement supérieur compte une majorité de femmes graphistes, leur invisibilisation dans la profession est manifeste et interpelle.
Balises fait le point sur la place des femmes dans le graphisme, pour nourrir la réflexion autour de l’esthétique, du genre et du graphisme, abordée lors de la dernière rencontre du cycle « Le féminisme n’a jamais tué personne ».

Une fois diplômées, le talent des femmes serait-il relégué au second plan ? En effet, si elles sont 60 % d’étudiantes, à peine 10 % d’entre elles vivent de leur activité dans le design en indépendantes. Le rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes datant 22 janvier 2018 relève d’ailleurs ce paradoxe. « Ce rapport établit dès ses premières pages que ce phénomène est comparable à l’évaporation, et signifie clairement que les femmes subissent dans le monde de la culture encore pleinement le mythe de la toute-puissance du « génie créateur masculin » » , analyse Jean-Michel Géridan, le directeur du Signe au Centre national du graphisme.

C’est à partir de ce même constat que les designers indépendants Iryna Kogutyak et Geoffrey Dorne ont fondé Les Designeuses, une plateforme numérique regroupant des portraits de créatrices sous forme d’interviews et permettant de partager leur histoire, leur savoir-faire ainsi que leur vision du design. Julie Stephen Chheng, une artiste qui a rejoint la plateforme en 2015 confirme qu’il n’a pas toujours été aisé d’évoluer dans un milieu masculin : « dans ma carrière, si j’ai eu la chance d’être entourée d’hommes très respectueux et qui m’ont encouragée, à revendiquer mon savoir-faire et mes idées, j’ai également rencontré des hommes très lourds, même misogynes et qui ne le réalisaient pas du tout ». À titre d’exemple, elle se souvient qu’en travaillant avec son compagnon, des personnes avaient tendance à lui attribuer la paternité de ses propres projets.

Femme graphiste, par Anthony Shkraba, [CC0], via Pexels

Vers une démarche inclusive

Depuis cinq ans, la situation évolue, selon Geoffrey Dorne, notamment avec l’arrivée des « autres formes de design » comme l’UX design ou le design thinking. « Ces formes de design, plus axées sur la parole et le social semblent être des espaces où les femmes graphistes ont de plus en plus de place », explique Geoffrey Dorne. L’accueil, l’encouragement et la question de la légitimité font la différence dans la reconnaissance de la carrière des femmes designers, comme dans les autres formes d’art. « Qui s’autorise à participer à nombre de compétitions ou appel à publication, à résidence dès lors que vous savez statistiquement que vous n’avez que très peu de chance face à un profil identifié ? », s’interroge le directeur du Signe au Centre national du graphisme. Pour lui, il est « nécessaire de créer des conditions d’accueil, à tous les stades de la vie, permettant au plus grand nombre de se sentir autorisées, car bienvenues, à candidater à nos offres de résidences, de production, voire de compétitions ».

Des talents dans l’ombre de l’histoire de l’art

Toutefois, poser la question en termes de faible représentativité des femmes, « c’est doublement pénaliser les créatrices œuvrant dans le champ du graphisme en France et minimiser leurs incroyables productions », nuance Jean-Michel Géridan, avant de citer les artistes comme Camille Baudelaire, Sophie Cure, Anette Lenz, Fanette Mellier, Florence Roller (Bureau 205), Julie Rousset, Audrey Templier, ou Evelyn ter Bekke, dont certains travaux ont été mis en valeur lors de l’exposition « Variations Épicènes » à la Maison d’Art Bernard Anthonioz (MABA). Dans l’histoire de l’art, résume Jean-Michel Géridan, « se trouve le besoin pathologique d’être jalonnée de grands hommes, quand bien même l’un de ceux-ci serait une femme. Aussi, pour reprendre Virginia Woolf, dans Une Chambre à Soi (1929) : « Le plus souvent dans l’histoire, « anonyme » était une femme ».

Publié le 21/06/2021 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

La Voix des femmes

Libby Sellers
Pyramyd, 2018

Cet ouvrage présente des portraits illustrés de femmes qui ont marqué l’histoire du design par leurs créations dans le graphisme, l’architecture ou encore la création textile.

À la Bpi, niveau 3, 741-8 SEL

CENSORED MAGAZINE

Magazine indépendant de culture féministe et artistique, Censored s’inspire notamment du mouvement punk pour documenter l’avant-garde féministe.

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