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Appartient au dossier : De Roland à Orlando

L’historicité de Roland
Mythe ou histoire?

L’historicité du personnage n’a guère fait de doute pendant de nombreux siècles. La critique historique, depuis la fin du 19e siècle, s’est emparée du sujet, au demeurant épidermique, de ce mythe national, confrontant l’épopée aux sources historiques. 
Nombre d’arguments appuient l’existence de Roland à qui il conviendrait, par ailleurs, de restituer son véritable nom : « Hruodlandus » (il est permis de s’interroger sur la prononciation).

Olifant dit de Roland de Roncevaux
Olifant de Roland de Roncevaux conservé au Musée Paul-Dupuy (Toulouse, 31) CC Gérald Garitan

Roland est mort

En premier lieu, il est nommément cité par Eginhard dans sa Vita Karoli Magni (Vie de Charlemagne) rédigée vers 830, lorsqu’il évoque la défaite de l’armée franque à Roncevaux :

Wascones […] ad unum omnes interficiunt […]. In quo proelio Eggihardus regiae mensae praepositus, Anshelmus comes palatii et Hruodlandus Brittanici limitis praefectus cum aliis compluribus interficiuntur.

Des wascons … massacrèrent jusqu’au dernier homme … . Dans ce combat furent tués le sénéchal Eggihard, le comte du palais Anselme et Roland, préfet de la marche de Bretagne, ainsi que plusieurs autres.

(traduction Aline Laradji)

[Lien vers la Vita Karoli sur gallica.bnf.fr, traduction de Guizot]

La preuve semble irréfutable et même confortée par d’autres textes. Tout d’abord, on est assuré de l’existence des compagnons d’infortune de Roland, Anselme et Eggihard : pour le premier on a retrouvé quelques textes datés de 775 à 777, pour le second c’est son épitaphe qui donne précisément la date de sa mort et donc celle de la bataille de Roncevaux, le 15 août 778. S’ajoute une mention indépendante : un « Rotlani comitis » (comte Roland) est cité comme témoin dans un acte lié au fameux testament de Fulrad, abbé de Saint-Denis, en 777-778, en compagnie de notre Anselme, comte du palais.

Cette fois cela semble assuré, Roland, personnage à l’origine de la plus ancienne et glorieuse épopée de langue française, a bien existé. Ce n’est certes pas comme retrouver les tables de la loi, ou apporter la preuve de l’existence de l’Atlantide, mais quand même…

Le doute est permis

Excepté que cette simplicité n’est qu’apparente. Il s’avère en effet que ces précieux textes ne sont pas des originaux (plutôt rares pour des époques aussi hautes, les textes sont pour beaucoup connus par des copies ultérieures) : la Vita d’Eginhard n’est connue qu’au travers de copies plus tardives, copies qui, de plus, dérivent au moins de deux traditions textuelles qui diffèrent entre elles (A et B). Seuls des textes issus de la première tradition mentionnent Roland et non ceux issus de la tradition B. Or c’est la B qui est la plus ancienne, d’où la conclusion que la A qui mentionne Roland, ne le fait que par ajout, sans fondement historique. Le coup d’estoc est porté par le même constat se rapportant à l’acte de Fulrad : quatre traditions sont connues, dont l’originale qui ne mentionne pas de Roland et une seule transmet le nom de Roland. C’est bien un faux rédigé au 9e siècle.

Que reste-t-il de l’histoire alors?

Premièrement, un autre passage textuel, un rendu de jugement, contenu dans le Cartulaire de Lorsch, mentionne, parmi les comtes assesseurs, un « Rothlando »… excepté que, comme tous les cartulaires d’Allemagne, de France (et de Navarre), celui de Lorsch a été le fruit d’un travail de compilation et de copie, ici datant du 12e siècle. Donc rien ne prouve que le copiste n’ait pas mal retranscrit le nom ou qu’il ne l’ait pas introduit. Rien ne prouve le contraire d’ailleurs…

Ensuite, et c’est l’élément le plus troublant, le nom et la titulature employés pour Roland dans la Vita, qui loin d’être fantaisistes, se rapportent à des réalités précises du temps de Charlemagne :”Brittanici limitis praefectus”, littéralement préfet de la marche (zone frontière) de Bretagne ou plus simplement, comte de la marche de Bretagne (on préférera cette traduction à “marquis”, en latin “marchio”, qui se rencontre rarement à l’époque de Charlemagne avant de devenir plus courant ensuite et qui fait un peu trop penser aux perruques et talons hauts du Grand Siècle). Ce point est d’autant plus fondamental que plusieurs personnages sont attestés (des Guy et des Lambert), de la fin du 8e siècle au milieu du 9e, responsables de la dite marche de Bretagne et que ces individus relèvent de la même famille, les Widonides (de « Wido » qui a donné Guy en français et Guido en italien) ou les Guy-Lambert, des noms des principaux personnages de ce clan familial.

Arbre généalogique de Carolingiens 12e s.
Arbre généalogique des carolingiens – manuscrit du 12e siècle : Ekkehard von Aura, Hec stirps Francigenam… – source : Wikimedia commons

Dis moi ton nom, je te dirai qui tu es…

On rentre là dans le petit monde de ce que les historiens de l’époque carolingienne appellent la « Reicharistokratie », l’aristocratie de l’empire, ancêtre des grands féodaux du moyen âge. Cette noblesse observe des traditions de pouvoir déjà bien en place, notamment la transmission des noms : si la France a eu 18 rois qui se sont appelés Louis, ce n’est pas un effet du hasard (en fait on compte depuis Louis Ier le Pieux, plus précisément « Hludowicus », fils de Charlemagne, mais on aurait pu commencer à Clovis, première forme du nom sous la graphie « Hlodowech »). Le nom, et ce dans un nombre assez large de cultures, est porteur d’une signification vaste et profonde.

Avant l’époque féodale et les successions de père en fils aux mêmes titres avec les mêmes noms, il n’y a pas de droit d’aînesse, pas de droit systématique de succéder aux charges des pères (mais plutôt une succession dans une famille élargie) et une dévolution des noms plus souple. En effet, les noms germaniques se composent à l’origine de deux éléments. Si l’on prend Roland, il se décompose en ROD ou ROT / LAND (dont la signification s’approche de “gloire (HROTI) de la terre, du pays (LAND)”). Ces 2 éléments peuvent se transmettre indépendamment dans la famille et permettent une grande combinaison de choix. Cette variation achève de se figer au 9e siècle dans les noms uniques. Pour les spécialistes de l’anthoponymie médiévale, une chose est sûre : les noms appartiennent au capital symbolique des familles et de la sorte ne sont pas donnés au hasard. Par exemple, il semble assuré que les ancêtres des Capétiens, les Robertiens (du nom de l’anthroponyme marqueur Robert (ROD – ROT / PERT – BERT ) étaient alliés aux Widonides car on retrouve dans ces deux clans le nom de Lambert (LAND / BERT), et chez les Widonides on trouve un « Hrodolt », comte de Vannes,  dont le nom est composé du radical ROT-, caractérisque des Robertiens. Dans ce cas de figure, il n’y aurait rien d’incongru à trouver un membre de la famille des Widonides nommé ROT-LAND, en charge du commandement traditionnellement dévolu à ce clan, la marche de Bretagne. Ainsi, comment imaginer un personnage fictif dont les caractéristiques (nom et fonction) correspondent si étroitement à la réalité de ce qui est connu ? Seul petit bémol, mais de taille, la première mention attestée (à l’exception de celle, douteuse, de Roland en 778) d’un comte de la marche de Bretagne semble être celle de Guy en 799. Avant cela, rien n’indique qu’un tel dispositif de contrôle du territoire ait été mis en place et aucune trace n’est relevée d’officiers en charge avant le Guy de 799.

La conclusion reste peu tranchée : l’épopée doit-elle son origine à un personnage historique dont la renommée fut telle qu’elle s’est ensuite transcrite dans une œuvre de fiction ou bien la chanson de geste eut-elle un tel succès et une telle diffusion que l’on rajouta le nom de Roland dans les textes, car son existence ne pouvait être remise en question?

Publié le 25/06/2015 - CC BY-SA 4.0

Sélection de références

Autour de Fulrad de Saint-Denis (v. 710-784)

Autour de Fulrad de Saint-Denis (v. 710-784)

Alain J. Stoclet
Droz, 1993

Ouvrage tiré d’une thèse de doctorat et portant sur le personnage de Fulrad, son entourage et son contexte à partir des sources historiques.

À la Bpi, niveau 3, 944.2 SDEN

Famille et pouvoir dans le monde franc (VIIe-Xe siècle) : essai d'anthropologie sociale

Régine Le Jan
Publications de la Sorbonne, 1995

Ouvrage majeur de l’historiographie du haut moyen âge, tiré d’une thèse de doctorat.

À la Bpi, niveau 3, 944-55 LEJ

Roncevaux : samedi 15 août 778

Renée Mussot-Goulard
Perrin, 2006

Mise en contexte de la défaite de Roncevaux et focus sur les protagonistes « vascons » auteurs de la défaite.

À la Bpi, niveau 3,  944-55 MUS

Vie de Charlemagne traduite

Eginhard : Vie de Charlemagne (Guizot)

Collection des mémoires relatifs à l’histoire de France, depuis la fondation de la monarchie française jusqu’au 13e siecle avec une introduction des suppléments, des notices et des notes; par M. Guizot, professeur d’histoire moderne à l’Académie de paris, n°. 68. 1824.

Vie de Charlemagne traduite par François Guizot.

La Marche de Bretagne, ses marquis et ses comtes

Persée est un programme de publication électronique de revues scientifiques en sciences humaines et sociales. L’intégralité des collections imprimées de revues est numérisée et mise en ligne sur un portail qui offre un accès à l’ensemble de ces collections et des possibilités avancées d’exploitation de ces corpus numérisés.
Article sur la marche de Bretagne et ses titulaires au haut moyen age, par Léon Levillain.

Roland. Mythe ou personnage historique ?

Persée est un programme de publication électronique de revues scientifiques en sciences humaines et sociales. L’intégralité des collections imprimées de revues est numérisée et mise en ligne sur un portail qui offre un accès à l’ensemble de ces collections et des possibilités avancées d’exploitation de ces corpus numérisés.
Article sur l’historicité de Roland.

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