Interview

Appartient au dossier : Handicaps : vers une société inclusive ?

Comment réglementer l’accessibilité des transports ?
Entretien avec Muriel Larrouy

Politique et société

Jean-Louis Zimmermann, sur FlickR, CC BY 2.0

Entre 1975 et 2005, des réflexions sont menées sur les moyens de déplacement des personnes handicapées. Elles permettent la mise en place d’une politique d’accessibilité dans le réseau des transports publics en France. Muriel Larrouy, sociologue et chargée de mission accessibilité des transports auprès de la Délégation ministérielle à l’accessibilité, en explique les fondements et les enjeux, en amont de la rencontre « Vie publique, vie privée : quelles places pour le handicap ? », organisée à la Bpi en avril 2023.

Comment est pensé le transport des personnes handicapées avant l’apparition de la notion d’accessibilité ? 

Avant les années 1970, la question du transport des personnes handicapées relève uniquement de la sphère privée et familiale et n’est pas considérée comme une question de politique publique. Il faut attendre juin 1975, avec l’adoption de la Loi-cadre d’orientation en faveur des personnes handicapées, pour que des mesures soient prises pour faciliter les déplacements de celles-ci. 

Le secteur des transports met alors en place des solutions adaptées à chaque déficience. Il y a tout d’abord des aménagements spécifiques et techniques comme des ascenseurs réservés, mais c’est le transport spécialisé qui est la solution majoritairement adoptée à cette époque. En effet, la focale est centrée sur la déficience des personnes, sur la seule approche médicale. Ainsi, les personnes en fauteuil roulant qui revendiquent l’accessibilité des transports sont considérées comme « utopiques », « pensant que l’environnement pourrait s’adapter à eux ».

Il faut attendre les années 1990 pour que la conception du handicap s’élargisse et prenne en compte le rôle de l’environnement dans la création du handicap. Des solutions techniques apparaissent alors, permettant de penser l’accessibilité, comme le bus à plancher surbaissé, mis en place en Allemagne, et adopté par les collectivités territoriales et le producteur national Renault Véhicules Industriels. L’accessibilité en est alors au stade expérimental. 

Comment l’idée de l’accessibilité s’est développée dans le secteur du transport public ?

La notion d’accessibilité émerge progressivement grâce à un petit groupe de quelques militant·es, composé de membres d’APF France handicap (autrefois Association des paralysés de France), d’une agente de la RATP et de représentants·es du Comité de liaison pour le transport des personnes handicapées (Colitrah) prévu par la loi de 1975. Entre 1975 et 1995, ce petit noyau d’acteur·ices isolés au sein de leur structure respective, se concerte pour créer une nouvelle politique publique, celle de l’accessibilité. Cette politique repose sur un référentiel, différent du précédent, et constitué de quatre piliers : les valeurs, on ne parle plus de solidarité mais d’égalité ; les normes, les aménagements sont désormais pour tous·tes et non plus spécifiques ; les images, la personne est libre de circuler, et la théorie de l’action où l’accessibilité est identifiée à l’intégration (s’opposant à l’exclusion).

Pour construire leur argumentaire, ces militant·es s’appuient sur des exemples de transports fonctionnels et novateurs comme le tramway de Nantes ou le métro de Lille et surtout sur l’innovation des bus à plancher surbaissé. Iels revendiquent et diffusent une approche environnementale du handicap. Selon cette approche, c’est la conception de l’espace public qui occasionne des difficultés au déplacement. La responsabilité revient alors aux autorités publiques de créer des aménagements dans les transports pour faciliter la mobilité. Ce courant de pensée a modifié la manière d’appréhender le déplacement des personnes handicapées et de penser l’accessibilité de l’espace public et des transports.

Les solutions proposées doivent être désormais adaptées à tous·tes (bâtiments de plain-pied et non plus conçus avec des marches devant et un accès spécial derrière, bus accessible plutôt que les seuls transports spécialisés…) Ces évolutions donnent lieu à l’adoption d’abord de la loi de juillet 1991, qui inscrit l’accessibilité des espaces publics dans le code de l’urbanisme. L’accessibilité s’autonomise et sort du seul code de l’action sociale et des familles. Puis, en février 2005, la Loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées est adoptée, instaurant l’obligation d’accessibilité (des bâtiments recevant du public, des transports, de la voirie…). La politique d’accessibilité en France est alors institutionnalisée.

Quelles sont les grandes lignes de cette politique d’accessibilité ?

Depuis la loi de 2005 relancée par l’ordonnance du 26 septembre 2014, les autorités organisatrices du transport ont la responsabilité d’organiser des Schémas directeurs d’accessibilité programmée (SD’AP). Ceux-ci fixent les actions à mettre en œuvre pour la mise en accessibilité de la voirie et des transports. Ils sont réalisés en concertation avec les associations de personnes à mobilité réduite et les usager·ères. La coordination se fait avec les gestionnaires des services de transport et de la voirie. Ces schémas, outre les travaux de mise en accessibilité, prévoient également des actions de formation pour le personnel en contact avec le public. Ils ont permis des avancées notables mais l’accessibilité reste encore très parcellaire. Ainsi, pour les gares ferroviaires par exemple, seules les 730 gares considérées comme prioritaires sont concernées par les travaux et sur ces gares prioritaires, fin 2021, seules 350 sont accessibles du trottoir jusqu’aux quais.

Y a-t-il eu des avancées réglementaires en matière d’accessibilité depuis 2015 ?

C’est principalement en 2019, avec la Loi pour l’orientation des mobilités (LOM), que se mettent en place des dispositifs législatifs autour de l’usage. L’objectif pour les opérateurs de transport est de permettre aux personnes handicapées d’anticiper leurs parcours et de faciliter leurs déplacements par l’accès à l’information sur l’accessibilité disponible. De fait, les autorités publiques ont l’obligation de recenser les données décrivant l’accessibilité des transports et de la voirie. Les bases de données ainsi créées, alimentent des applications mobiles accessibles, qui fournissent en retour une information d’itinéraires. 

Cette loi propose d’autres mesures pour faciliter l’usage des transports, comme les tarifs préférentiels, voire la gratuité totale pour les accompagnateur·rices des personnes handicapées. Il n’y a également plus de restrictions médicales et résidentielles pour l’accès à un service de transport adapté. Enfin, la loi prévoit la mise à disposition d’informations régulières sur l’accessibilité des réseaux de transports. Ce point constitue un enjeu crucial pour la politique d’accessibilité actuellement en place.

Publié le 28/03/2023 - CC BY-NC-ND 3.0 FR

Pour aller plus loin

L'invention de l'accessibilité. Des politiques de transports des personnes handicapées aux politiques d'accessibilité de 1975 à 2005

Muriel Larrouy
Presses universitaires de Grenoble, 2011

Dans cet ouvrage issu de sa thèse de doctorat en sociologie, Muriel Larrouy s’intéresse à l’émergence de la notion d’accessibilité dans la sphère publique. Entre 1975 et 2005, elle montre que la question de l’accessibilité a été le fruit de réflexions menées par des militant·es de l’APF. Son travail de recherche s’est déroulé auprès de deux entreprises de transport public : la RATP et la STP (Société des transports poitevins). Un chapitre est consacré à une avancée technique majeure pour l’accessibilité : le bus à plancher surbaissé, inventé en 1987, en Allemagne.

À la Bpi, Niveau 2, 300.77 LAR

« Inclusion des personnes handicapées : presque 20 ans après la loi, il reste tant à faire »  | La Gazette des communes, 2023

Un dossier consacré aux avancées juridiques et politiques de l’accessibilité dans les transports et le bâti.

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