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Appartient au dossier : Quoi de neuf sur la préhistoire ?

Actualité de la préhistoire

Notre connaissance des mondes préhistoriques n’en finit pas de s’enrichir. Claudine Cohen, directrice d’études à l’EHESS en histoire et philosophie des sciences et à PSL Université en sciences de la vie et de la terre, présente les dernières découvertes de terrain et les innovations scientifiques qui permettent d’en savoir plus sur nos racines et notre évolution.


À gauche, le crâne d’un Homo sapiens et, à droite, celui d’un Homme de Néandertal, plus volumineux.
Cleveland Museum of Natural History. Hairymuseummatt, CC BY-SA 2.0 sur Wikicommons

Les sciences de la préhistoire avaient bouleversé la conscience des hommes du 19e siècle, en ouvrant sous leurs pieds la vertigineuse profondeur du temps, et en mettant au jour des êtres à l’allure étrange, contemporains des ours des cavernes, des tigres à dents de sabre et des mammouths, qui durent affronter ces mondes hostiles armés de frustes outils de silex taillé. Depuis le début de ce siècle, de nouveaux fossiles parfois spectaculaires sont venus peupler notre arbre généalogique, et de nombreux apports scientifiques font progresser nos connaissances.

De nouveaux fossiles

Au Tchad, Toumaï, vieux de sept millions d’années, et au Kenya, Orrorin tugenensis, daté de six millions d’années avant le présent, témoignent de ce qu’il existait dès ces lointaines époques des primates bipèdes appartenant à la famille humaine. En Afrique du Sud, Australopithecus sediba, Little Foot, et Homo naledi connu par quelque 1 500 vestiges osseux, nourrissent les débats sur les origines des Australopithèques, nos cousins, et sur celles du genre Homo auquel nous appartenons. 

Nous savons aujourd’hui que, depuis plus d’1,8 millions d’années, de nombreuses populations d’Hominines venues d’Afrique parcoururent les étendues du continent eurasiatique. En Indonésie, des formes étranges, comme l’espèce naine d’Homo floresiensis, découverte en 2003 dans la grotte de Bua sur l’île de Flores, ou l’Homme du Callao, aux phalanges des orteils recourbées, exhumé dans une grotte aux Philippines, attestent de la persistance d’espèces archaïques qui furent contemporaines de la nôtre jusque tard dans le Paléolithique supérieur. Les Néandertaliens, que l’on croyait confinés à l’Europe occidentale et au Proche-Orient, sont à présent connus du rivage atlantique jusqu’aux confins de l’Altaï, en Sibérie du Sud, selon une extension considérable dans le temps et l’espace. Quant à notre espèce, Homo sapiens, elle est vieille d’au moins 315 000 ans depuis les découvertes récentes de ses fossiles sur le site marocain de Djebel Irhoud, et depuis l’Afrique elle s’est répandue, en plusieurs vagues de migrations, sur tous les continents, s’adaptant aux climats et aux environnements les plus divers. 

Les apports de la biologie moléculaire

À l’exploration de terrain, au relevé raisonné et minutieux des ossements et des vestiges culturels sur les sites, s’ajoutent aujourd’hui de nouveaux types d’enquêtes. Depuis déjà plusieurs décennies, les recherches en biologie moléculaire et en génétique des populations nous ont éclairés sur nos parentés avec les grands singes, ainsi que sur la structure et les migrations des populations humaines. Plus encore, les études sur l’ADN ancien sont parvenues à cartographier le génome d’espèces fossiles et à en tirer une multitude d’informations. Elles ont pu ainsi identifier une nouvelle forme humaine, l’Homme de Dénisova, à partir d’un minuscule fragment de phalange dont l’ADN était parfaitement conservé dans le permafrost, et dont le génome a pu être cartographié. En mettant en lumière les hybridations entre représentants de notre espèce et d’autres Hominines – Néandertaliens, Denisoviens –, la paléobiologie moléculaire bouleverse en nous le sentiment de notre singularité. 

L’étude des cultures et des sociétés préhistoriques

Les éthologues, spécialistes du comportement animal, nous ont montré que des singes sont capables d’invention et d’innovation pour la fabrication, l’utilisation d’outils et la transmission de ces savoir-faire. Cependant, la possession de l’outil de pierre taillée demeurait, pour beaucoup de spécialistes, un privilège du genre Homo. Des outils de pierre découverts en 2011 au Kenya et datés de 3,3 millions d’années, soit quelque 800 000 ans avant l’avènement d’Homo habilis, viennent nous convaincre du contraire : ces objets de basalte ont été sans doute façonnés par nos cousins les Australopithèques ! 

Les structures des sociétés préhistoriques font l’objet de nouvelles enquêtes. La place des femmes, longtemps négligée, a été repensée. Toute une diversité des rôles féminins dans les sociétés de la préhistoire fait à présent l’objet de nouveaux regards : les sites livrent, à ceux qui savent les interroger, les preuves que les femmes du Paléolithique ne furent pas cantonnées « au foyer », et qu’elles surent être techniciennes, chasseuses, chamanes, artistes… 

L’Art paléolithique reste un éblouissement constant. La grotte Chauvet, découverte en décembre 1994, est exceptionnelle par la beauté de ses fresques, par le mouvement et l’animation presque cinématographique de ses dessins, et surtout par son ancienneté – plus de 15 000 ans avant Lascaux ! Depuis, d’autres grottes très anciennes, comme celle de Cussac, remarquable par l’abondance des gravures et par les sépultures qu’elle contient, ont été explorées et étudiées en France. De nouvelles figurines féminines aurignaciennes (entre -43 000 et -31 000) ou gravettiennes (entre -31 000 et -23 000) ont également été découvertes, telles l’extraordinaire Vénus d’Hohle Fels et les statuettes de calcaire sculpté mises au jour à Renancourt près d’Amiens en 2019. Cependant, sur l’île indonésienne de Sulawesi, des peintures pariétales figuratives datées de -43 000 ans semblent montrer que l’art le plus ancien n’est pas européen… Dans la grotte des Blombos en Afrique du Sud, des décors géométriques et des blocs d’ocre gravés, datés de 75 000 ans, alimentent les débats sur l’origine de l’art. Certaines réalisations de l’Homme de Néandertal – gravures, parures, usages de colorants pour des peintures corporelles, voire peintures rupestres – font pressentir que l’Homo sapiens ne fut pas le seul à posséder la maîtrise des symboles… 

Les civilisations d’éleveurs et d’agriculteurs néolithiques avaient longtemps pâli devant la flamboyance des cultures des chasseurs-cueilleurs paléolithiques. Cependant, leur étude a récemment bénéficié de remarquables recherches portant sur les modes de production et la domestication des animaux et des plantes, les paysages et l’habitat, les migrations et les langues, la violence et la guerre, la naissance des États. Ces approches jettent de nouveaux regards sur ce que nous devons à ces civilisations, dont les modes de vie se sont prolongés jusque récemment à l’époque historique.

Les sciences de la préhistoire continuent de nous surprendre et de nous faire réfléchir. Les vestiges pourtant rares et fragmentaires de ces mondes lointains bousculent nos certitudes. Ils déploient le devenir de l’humanité dans la dimension immense du temps et de l’espace. Grâce aux savoirs accumulés et renouvelés, les mondes de la préhistoire ne nous sont plus si étrangers : à beaucoup d’égards, nous reconnaissons en eux les racines de notre histoire, la matrice de ce que nous sommes. 

Publié le 04/04/2021 - CC BY-NC-SA 4.0

Nos ancêtres dans les arbres. Penser l’évolution humaine

Claudine Cohen
Le Seuil, 2021

Ce livre s’attache à dévoiler les concepts, les présupposés et les implications des sciences de l’évolution humaine aujourd’hui. Il éclaire ainsi la question de nos origines, sur le plan de la génétique et culturel.

L'Odyssée des gènes

Évelyne Heyer
Flammarion, 2020

L’auteure, à partir de l’analyse de l’ADN des fossiles, étudie la génétique de l’Homme de Néandertal et celle de l’Homme de Denisova. Elle emmène le lecteur dans le sillage des premiers agriculteurs.

À la Bpi, niveau 2, 575 HEY

Naissance de la Vie, une lecture de l’art pariétal

Michel Lorblanchet
Éditions du Rouergue, 2020

Michel Lorblanchet a consacré sa vie à l’étude de l’art pariétal dans les grottes ornées du Quercy. Sa connaissance intime de cet art, l’autorise à livrer aujourd’hui sa lecture de ces œuvres quercynoises.

Les Dix Millénaires oubliés qui ont fait l'histoire : quand on inventa l'agriculture, la guerre et les chefs

Jean-Paul Demoule
Fayard, 2017

Il y a douze mille ans seulement, les humains, au nombre de quelques centaines de milliers, nomadisaient par petits groupes. Aujourd’hui, sept et bientôt neuf milliards d’humains, presque tous sédentaires, peuplent la terre. Comment en est-on arrivé là ? Que s’est-il passé pendant ces dix millénaires trop souvent absents de notre culture générale et médiatique ?

À la Bpi, niveau 2, 931 DEM

Origines de l'humanité : les nouveaux scénarios

Collectif
La Ville brûle, 2016

La découverte de nouveaux fossiles et les études sur les comportements des hommes de la préhistoire bousculent les scénarios sur les origines de l’humanité. Ce livre présente un panorama des pistes ouvertes par ces nouvelles découvertes.

À la Bpi, niveau 2, 569 ORI

Quand d'autres hommes peuplaient la Terre : Nouveaux regards sur nos origines

Jean-Jacques Hublin
Flammarion, 2008

Synthèse des recherches récentes sur la naissance de l’homme moderne, les premières espèces d’australopithèque comme homo rudolfensis, homo habilis, homo ergaster, la coexistence de plusieurs espèces, les raisons de l’extinction de Néandertal, l’évolution culturelle, etc.

À la Bpi, niveau 2, 569 HUB

La Femme des origines. Images de la femme dans la préhistoire occidentale

Claudine Cohen
Belin-Herscher, 2003

Nourrie des recherches des archéologues et des débats des préhistoriens, cette étude cherche à prendre un certain recul par rapport aux représentations, descriptions et théories qui ont prévalu depuis un siècle et demi sur la femme aux temps préhistoriques. Elle interroge l’histoire des idées et les preuves laissées par l’art pour tenter de dessiner une image plus vraie de notre lointaine ancêtre.

À la Bpi, niveau 2, 569 COH

Rencontre avec Claudine Cohen | Bpi (2021)

Notre vision de la préhistoire a bien changé depuis l’image, forgée au 19e siècle, de l’homme des cavernes, armé d’un gourdin et tirant sa femme par les cheveux. De nouvelles espèces et de nouveaux genres d’ hominines ont été découverts. Les apports de la génétique pour leur étude ont ouvert de riches perspectives sur l’histoire de la famille humaine, et particulièrement sur les rapports entre Néandertaliens et sapiens… Les recherches en archéologie préhistorique ne s’attachent plus seulement décrire, à dater et à classer les objets, mais aussi à comprendre les formes sociales. Les enquêtes historiques ont conduit, au cours des dernières décennies, à réviser notre regard sur les rôles des hommes et les femmes des sociétés paléolithiques et néolithiques. Tous ces éléments permettent de dessiner désormais une vision plus riche, plus complexe et moins partiale de ces périodes lointaines de l’histoire humaine. Comment ces découvertes éclairent-elles le récit de nos origines ?

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