Interview

À La Source, de l’art
Entretien avec Agathe Lepoutre

Arts - Politique et société

Ensemble © Agathe Lepoutre et Judicaël Aymard / La Source, tous droits réservés

L’association La Source, fondée par Gérard et Elizabeth Garouste, accueille chaque année des artistes en résidence dans dix départements. Agathe Lepoutre, formée aux Beaux-Arts de Paris, a créé des œuvres au printemps 2022 à La Source-La Guéroulde, dans l’Eure, tout en accompagnant des enfants au fil d’ateliers de pratique artistique.

Pourquoi avez-vous postulé pour une résidence à La Source ?

Il me semble important que l’art soit un outil social et j’ai toujours collaboré avec des associations. J’ai rencontré le fils de Gérard Garouste et je lui ai présenté un projet collectif d’ateliers qui rassembleraient travailleurs sociaux et artistes… Il m’a aussitôt parlé de La Source. J’ai envoyé un dossier de candidature, qui évoquait ma démarche artistique, ainsi que ma motivation à l’idée de rencontrer l’équipe accompagnant les enfants.

Comment s’est déroulée votre résidence ?

J’ai commencé par une résidence d’une semaine, pour découvrir le lieu. J’ai proposé aux enfants un collage collectif autour de créatures, avec différentes techniques comme la linogravure, le dessin… Le thème donné cette année par l’association pour mener les ateliers était « le théâtre des peurs et des plaisirs », il s’agissait donc de créatures parfois bienveillantes et protectrices, parfois plus effrayantes. Ensuite, on m’a proposé une résidence de trois mois.

Durant une résidence, il y a deux projets à conduire avec les enfants. Un premier est à mener en cinq jours, et un second sur les trois mois, tous les mercredis. J’ai pu faire cette résidence en même temps que Judicaël Eymard, avec qui je travaille depuis des années. Nous disposions chacun d’un atelier personnel, en plus d’un atelier pour travailler avec les enfants. Cela offre beaucoup d’espace. De plus, il y a des outils à disposition, comme une forge ou un four à céramique, ce qui permet de se saisir de nouveaux médiums. Je crois aussi que La Guéroulde, premier lieu ouvert par La Source il y a trente ans, où nombre d’artistes sont passés, favorise l’inspiration.

Quels projets avez-vous proposés aux enfants ?

Avec Judicaël, nous voulions que nos projets se répondent. Nous avons eu l’idée d’un conte : des chercheurs d’or vivent différents événements sur leur chemin, jusqu’à rencontrer une créature qui protège un espace dans une montagne. Le groupe de Judicaël a écrit l’histoire, le mien l’a illustrée, puis nous avons assemblé le tout dans un livret. Ensuite, avec les enfants, Judicaël a fabriqué la porte dans la montagne et mon groupe a créé la créature qui garde l’entrée. Nous avons sculpté une énorme bête, de trois mètres de long et un mètre de large. À l’intérieur, se trouvent des maisons éclairées par une guirlande. Cette bête n’a pas de tête, car sa tête est celle de tous ceux qui ont participé à sa création.

Le gardien et la porte
Ensemble © Agathe Lepoutre et Judicaël Aymard / La Source, tous droits réservés

Comment les ateliers sont-ils organisés ?

Chaque groupe était composé de dix à douze participants, âgés de six à onze ans. Il y avait une réelle exigence dans le travail avec les enfants, alors que certains avaient des handicaps ou des parcours de vie compliqués. Avant et après chaque atelier, nous avions une réunion avec l’équipe sociale, qui était aussi présente pendant l’atelier. Ce lien permanent permet d’aller plus loin avec les jeunes dans la démarche artistique et la technique. 

Comment avez-vous travaillé avec les enfants ?

J’ai utilisé de nombreuses techniques. En dehors de la créativité, cela développe une relation à la matière, au bricolage. Je voulais aussi leur permettre de ressentir différentes émotions. Ce n’est pas la même chose de toucher du raphia ou de la laine, de plier une cage en métal ou de coller du kraft gommé… Je souhaitais qu’ils traversent des sensations agréables ou plus éprouvantes, des situations parfois compliquées et parfois simples, à l’image de ce théâtre des peurs et des plaisirs que nous fabriquions ensemble. 

Et puis, toute personne n’est pas sensible aux mêmes choses. Certains ont adoré le tissage, d’autres le moulage… Au final, je pense que chaque enfant a eu son moment de plaisir.

Pourquoi avoir créé des œuvres collectives ?

C’est un travail d’équipe. Par exemple, les enfants ont moulé des mains par binôme pour faire la crinière de la créature. Mais certaines tâches étaient aussi faites seules. Je commençais chaque séance en leur proposant de dessiner à plusieurs, tout en changeant à chaque fois les équipes et en les plaçant face à une feuille commune. 

C’est un apprentissage que de composer ensemble, de partager un espace. La créature parle aussi du fait qu’il est possible, avec des tempéraments différents et des histoires de vie qui ne sont pas forcément simples, de faire communauté.

Comment ces œuvres sont-elles exposées ?

À la fin des ateliers, en juin, nous avons préparé un vernissage, durant lequel les parents sont venus voir les œuvres. Et puis, en septembre, une exposition a permis de montrer les créations de l’année, celles des enfants et celles des résidents. Ensuite, les pièces créées avec les enfants restent à La Source. Néanmoins, elles peuvent être prêtées pour être exposées ailleurs.

Terre-Estre, 2022 © Agathe Lepoutre, tous droits réservés

Comment votre travail personnel et les ateliers se sont-ils entremêlés ?

Le travail avec les enfants nous a donné la possibilité, avec Judicaël, de tenter des choses un peu folles, de grande taille, que nous n’aurions pas forcément créées pour nous-mêmes.

Cela nous a aussi permis de remettre en question nos pratiques. Nous partagions notre inspiration avec les enfants mais ils nous en ont donné aussi. Le travail personnel que j’ai effectué à La Source fait directement écho aux pièces créées avec les enfants.

Il faut dire néanmoins qu’avec Judicaël, nous avons beaucoup préparé les séances, travaillé sur les pièces collectives entre les ateliers, et que c’est un investissement émotionnel important. Mais c’est un joie et un privilège que d’avoir le temps d’échanger sur nos pratiques : c’est ce qui nous fait avancer en tant qu’artistes.

Publié le 17/10/2022 - CC BY-NC-ND 3.0 FR

Une association à hauteur d'enfant

Au sein de ses centres d’accueil présents dans dix départements, l’association fondée par Elizabeth et Gérard Garouste a accueilli depuis son origine plus de 93 000 jeunes en difficulté scolaire, familiale ou sociale. L’association œuvre à l’épanouissement et à la créativité d’enfants de 6 à 18 ans et considère l’art comme un outil d’intégration et de lutte contre les inégalités.

Accompagnés au fil des années par 1 900 artistes professionnels, les enfants ont pu acquérir, à travers la pratique artistique, ce qui fait défaut dans leur environnement : le désir de créer seul ou en groupe, mener à bien des projets, développer leur imaginaire. Les ateliers proposés peuvent porter sur toutes sortes de disciplines artistiques, de la peinture à la photographie, en passant par le théâtre ou l’écriture.

Pour cela, La Source associe artistes, éducateurs et travailleurs sociaux qui suivent les jeunes tous les mercredis ou lors de stages d’une semaine pendant les vacances scolaires. Ils peuvent participer aux activités de l’association une fois ou pendant plusieurs années. La Source vient également en appui à des partenaires sociaux (centres socioculturels, centres d’accueil et d’hébergement d’urgence, etc.) auxquels elle propose ponctuellement des activités artistiques. 

Soutenue par des partenaires publics et privés, l’association a pu s’étendre et disposer de moyens pour son développement. Elle souhaite continuer à se consolider, en ouvrant de nouvelles structures et en multipliant les interventions à travers le territoire.

Le Grand Atelier de La Source | Centre Pompidou, du 7 septembre 2022 au 2 janvier 2023

À l’occasion de l’exposition consacrée en Galerie 2 à Gérard Garouste, la Galerie des enfants met à l’honneur le travail de l’association La Source, à vocation sociale et éducative, à destination des enfants et des jeunes en difficulté, ainsi que leurs familles, créée par l’artiste il y a trente ans.

Gérard Garouste. Entretien avec Bernard Blistène | Bpi, 2011

Né en 1946 à Paris dans une famille chrétienne, Gérard Garouste vit comme un traumatisme l’antisémitisme de son père. Après des études aux Beaux-Arts de Paris, la réalisation de décors pour le Palace et le théâtre de Jean-Michel Ribes, il expose au début des années 80 une peinture figurative, à contre-courant des tendances de l’époque, qui lui vaut une reconnaissance internationale après que Leo Castelli l’ait présenté dans sa galerie new-yorkaise, en 1983. Corps disloqués, anamorphoses, références personnelles et mythologiques, énigmes hantent sa peinture. Son inspiration va s’abreuver aux sources des textes universels et fondateurs. Rabelais, Dante, Cervantès l’accompagnent. Il illustre Le Quart Livre, La Divine Comédie, Don Quichotte. Nourri de la Bible et du Talmud, passionné par l’hébreu, il ne cesse de questionner l’identité, l’origine, la traduction comme trahison, s’insurgeant à travers sa peinture contre la spoliation chrétienne du texte juif. « Mes toiles n’affirment rien, elles sont une invitation à relire. Le rôle de l’artiste est de transmettre, d’élargir la connaissance. »

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