Portrait

Art Spiegelman

Littérature et BD

Autoportrait, 1999 © Art Spiegelman

Art Spiegelman a d’abord été une figure de la production de comics underground aux États-Unis pendant les années soixante. Il accède à la célébrité lors de la parution de Maus, entre 1986 et 1992, qui devient rapidement un classique de la bande-dessinée. Illustrateur au New Yorker  pendant une dizaine d’années, il publie divers volumes -et notamment À l’ombre des tours mortes, après le 11 septembre 2001- pour les adultes et aussi pour les enfants. Son œuvre est traversée par la réflexion sur soi, les origines et l’histoire.

La BD doit servir de miroir à la réalité. Mais parce qu’il se confronte à l’inconnu et à l’inconcevable, Art Spiegelman comprend que le reflet ne coïncidera jamais avec l’original. Il interroge donc le rêve d’adéquation et de transparence, dans l’art et dans la vie : avec la figure de son père, par exemple, déçu de ce fils dans lequel il n’arrive pas à se retrouver. Ou bien en se mettant lui-même en scène, incompréhensible à ses propres yeux. L’histoire et ses événements aussi sont opaques et chaque planche arrache un pan d’inconnaissable pour le révéler au lecteur. Art Spiegelman utilise des procédés picturaux, comme le masque et l’ombre, qui mettent en évidence les interrogations qu’ils recouvrent et jouent sur l’ambiguïté de la présence et de l’absence. Ainsi les masques anonymes des souris, reproduits mille fois à l’identique, dénoncent-ils la disparition des visages, tous singuliers, des Juifs déportés à Auschwitz. Plus tard, c’est l’ombre noire des tours détruites le 11 septembre, fondue dans un ciel noir, qui donne une réalité à leur absence encore inimaginable.

Avec les années, l’œuvre d’Art Spiegelman reprend et réfléchit les productions du passé et tourne au commentaire sur soi et son travail. Devenu célèbre, il a dit, par boutade, qu’il serait bientôt meilleur en interviews qu’en dessin. Mais cette tendance à s’auto-commenter et à se mettre en scène est effectivement une constante de son œuvre.

Des comics au roman graphique

Art Spiegelman, qui commence sa carrière dans les années 60 en produisant des comics dans le milieu underground américain, réalise entre 1978 et 1991 Maus, long roman graphique sur la Shoah. Cette évolution personnelle de l’artiste, c’est aussi l’évolution du genre de la BD qui arrive à maturité.

Couverture de Print Magazine
Couverture pour Raw Magazine, 1981 © Art Spiegelman

L’époque underground

Grand lecteur de comics pendant son enfance, Art Spiegelman publie ses premières planches à San Francisco dans les années 60. Dans la mouvance de la contestation hippie et du mouvement underground, il participe à diverses publications, bon marché et presque confidentielles, et crée deux revues, Arcade, puis Raw, en compagnie de sa femme, Françoise Mouly.

Il publie également Breakdowns, en 1978, qui sera inséré en 2008 dans un nouveau volume du même nom largement augmenté.

Avec Breakdowns, portrait de l’artiste en jeune %@§*!, Art Spiegelman revient, dans un dialogue incessant entre passé et présent, sur ces années de jeunesse et de formation au sein de la contre-culture américaine.

Voici quelques titres pour découvrir ce pan d’histoire de la BD et les premières œuvres de l’auteur :

Couverture Uderground USA

Underground U.S.A. : la bande dessinée de la contestation, 
par Jacques Bisceglia, Trœsnes : Corps 9 éditions, 1986 
Une histoire de la BD de contre-culture. Le chapitre « Art Spiegelman, l’intellectuel de la bande » (p.111-123) retrace le parcours de jeunesse de l’auteur et donne une bibliographie précise de ses publications et de ses participations dans des revues underground.
À la Bpi, niveau 3, 768 BIS

couverture Des comics et des hommes

Des comics et des hommes. Histoire culturelle des comics books aux Etats-Unis,
par Jean-Paul Gabilliet, Paris, Ed. du Temps, 2005 
Histoire des comics books : la formation et le parcours des auteurs, leurs relations avec les éditeurs, mais aussi la typologie des lecteurs et la légitimité du genre aux Etats-Unis, avec notamment l’établissement de la censure.
À la Bpi, niveau 3, 768 GAB

Couverture Comix

Comix : The Underground Revolution,
par Dez Skinn, Londres, Collin-Brown, 2004 
Histoire du mouvement underground très illustrée.
À la Bpi, niveau 3, 768 SKI

La naissance du roman graphique

Avec Maus, Art Spiegelman aborde (ou invente) le roman graphique (graphic novel). Plus long, plus complexe, plus introspectif, le roman graphique marque la maturité de l’auteur et du genre de la BD, en abordant des thèmes sérieux, historiques, politiques, sociaux ou même personnels. Voici trois ouvrages pour mieux comprendre l’histoire et les enjeux du roman graphique.

Romans graphiques couverture

Romans graphiques : 101 propositions de lectures des années soixante à deux mille,
par Joseph Ghosn, Paris, 2009.
Une longue introduction sur l’histoire et la définition du roman graphique, suivie de 101 fiches de lectures sur des œuvres.
À la Bpi, niveau 3, 768 GHO

Beaux Arts hors série sur la bd américaine

Un siècle de BD américaine : des super-héros au roman graphique,
Magazine Beaux Arts hors-série, 2010, p. 66-73.
On y trouve notamment un article sur les débuts de l’underground à San Francisco, sur les principes qui animent les auteurs de BD, et des éclairages sur les différents moments de la BD américaine très illustrés.
À la Bpi, niveau 3, 768 SIE

Histoire des comics, couverture

Comics, Comix & Graphic Novels: a History of Comic Art,
Roger Sabin, Londres, Phaïdon, 1996
Histoire du genre, depuis les comics papers pour enfants, le comix underground jusqu’aux graphic novels d’aujourd’hui.
À la Bpi, niveau 3, 768 SAB

BD et presse

L’omniprésence de l’histoire et de l’actualité dans les sujets qui inspirent Art Spiegelman, et sa conception du dessin comme témoin et comme questionnement des faits, invitent à interroger la figure de l’artiste en journaliste.

Les unes du New Yorker

Après l’aventure de Maus, qui met treize ans à voir le jour, Art Spiegelman devient illustrateur auNew Yorker en 1993. Il couvre l’actualité américaine pendant dix ans par ses dessins, avant de démissionner, peu après le 11 septembre 2001. Plus tard, il qualifiera ce moment de solution de facilité (« il est plus facile de faire un dessin par page que d’en faire douze ») et déclarera qu’il déteste travailler pour le compte de quelqu’un d’autre qui peut lui faire des observations sur son travail. Ces années n’en demeurent pas moins riches de production et de provocation.

Pour découvrir l’art de l’illustration du New Yorker, et en particulier le travail d’Art Spiegelman, deux titres s’imposent :

À la une du New Yorker,
par Françoise Mouly, Paris, 2000
Un panorama des soixante-quinze ans d’existence du magazine,  grâce, notamment, à ses couvertures créées par des artistes, de J.-J. Sempé et Saul Steinberg à Charles Adams et Art Spiegelman.
À la Bpi, niveau 3, 07.11 NEW

Bons baisers de New York,
par Art Spiegelman, Paris, 2004.
L’auteur retrace sa carrière comme illustrateur au New Yorker  pendant dix ans, et donne sa lecture des événements marquants de l’actualité américaine. L’ouvrage est illustré de planches publiées pendant toutes ces années dans le magazine.
À la Bpi, niveau 2, salon de lecture de l’exposition.

La BD Reportage

Dans Maus, Art Spiegelman raconte comment il a interviewé son père, survivant d’Auschwitz, sur ses années de guerre et la déportation. Les grands principes de ce qui deviendra la BD-reportage sont déjà là : le dessinateur se met en scène dans l’histoire, il assume la subjectivité du récit, dévoile ses émotions, prend le risque d’un récit qui se déploie dans le temps long, et surtout met à profit le média de la BD pour révéler au lecteur ce que le texte écrit ne peut pas dire. « Faire du Bd journalisme, dit Art Spiegelman, c’est manifester ses partis pris et un sentiment d’urgence qui font accéder le lecteur à un autre niveau d’information. »

Aujourd’hui la BD-reportage est un genre à part entière. Pour découvrir ses règles, ses artistes et leurs productions, voici deux références :

Un article pour une synthèse rapide : la BD-reportage et ses maîtres.

Un film : 
La BD s’en va -t-en guerre, de Art Spiegelman à Joe Sacco : histoire du BD-journalisme,
réalisateur Mark Daniels.
Interviews de plusieurs artistes, dont Art Spiegelman. Il y est question de leur rapport au réel, de la transposition de ce réel dans les dessins, des répercussions de ce type de BD et de la violence qu’elles véhiculent.
À la BPI, niveau 3, poste multimédia, Artevod.

« Le désastre comme Muse »

Art Spiegelman déclare que le dessin ne lui est pas naturel. Il compose ses BD sous la force de ses émotions qui lui donnent l’inspiration et deviennent le sujet de ses compositions :  le désarroi de l’enfant qui ressent le traumatisme de ses parents rescapés d’Auschwitz, l’effroi de l’adulte confronté à la réalité « quotidienne » de la Shoah racontée par son père désormais âgé, le désespoir du jeune homme dont la mère se suicide, l’affolement de l’homme mûr devant l’effondrement des tours, le 11 septembre 2001, dans lequel il redoute de perdre sa fille.
 

Dessin de Spiegelman
Crossroads, lithographie, 1996 © Art Spiegelman

Le témoignage du survivant

Récit de la rencontre manquée entre un père déçu et un fils culpabilisé, témoignage « posthume » d’un survivant d’Auschwitz immortalisé par son fils indigne, Maus est indéfinissable. Tiraillé entre le devoir de mémoire et le sentiment de culpabilité, l’auteur aspire à l’aveu circonstancié qui libère. Mais trente ans plus tard, c’est-à-dire aujourd’hui, le voilà qui publieMetaMaus, un livre qui explique et analyse Maus pour s’en libérer… et passer à autre chose. Le livre dont il attendait l’absolution doit la demander pour son propre compte. Dans ce souci d’auto-justification, Art Spiegelman multiplie les pièces à conviction : témoignages du père, souvenirs autobiographiques, enquêtes documentaires sur le terrain, invention des personnages, de la fiction animalière…

Pour mieux comprendre les rouages de l’invention de Maus, lisez :

Metamaus, BD

MetaMaus : un nouveau regard sur Maus, un classique des temps modernes,
par Art Spiegelman, Paris, 2012.
À la Bpi, niveau 2, salon de lecture de l’exposition

Le 11 septembre 2001

Le jour du 11 septembre, Art Spiegelman est sur les lieux de la catastrophe ; il pense qu’il va mourir et qu’il aurait dû faire plus de BD tant qu’il était en vie.
À nouveau, c’est l’intensité du drame qui provoque l’auteur. Il composera À l’Ombre des tours mortes, grand volume cartonné qui retrace sa journée du 11 septembre et des mois suivants, durant lesquels G.W. Bush utilise l’événement pour mettre en place une union sacrée nationaliste et agressive.

Une interview filmée retrace les événements frappants de la vie d’Art Spiegelman – et notamment le 11 septembre – et ses méthodes de travail, en particulier le dessin et la mise en page de À l’ombre des tours mortes.

deux touts noires sur la couverture du New Yorker
Couverture du NewYorker

Art Spiegelman:  le miroir de l’histoire 
par Benoît Peeters, Paris, Arte France, INA, 2004.
À la Bpi, niveau 3, postes multimédias.

La célèbre une du New Yorker, reprise sur la couverture de À l’Ombre des tours mortes, s’inspire des peintures abstraites d’Ad Reinhardt, et notamment ses « ultimate paintings », à la limite du représentable. 

Pour découvrir les œuvres de ce peintre, le site du Moma propose des reproductions et des vidéos.

black painting, couverture

Black paintings : [exhibition, Haus der Kunst, Munich, September 15, 2006-January 14, 2007], Stéphanie Rosenthal, Ostfildern, 2006.
Artistes exposés : Robert Rauschenberg, Ad Reinhardt, Mark Rothko, Frank Stella.
À la Bpi, Niveau 3, 757.38 BLA.

 Seuls les vieux comics sauvent l’auteur de la dépression après le 11 septembre. C’est donc tout naturellement qu’ils trouvent leur place dans À l’Ombre des tours mortes.

Pour découvrir Little Nemo et Krazy Kat en ligne, c’est ici. 
Et aussi, à la bibliothèque :

little Nemo, couverture

Little Nemo in Slumberland : le grand livre des rêves,
par Winsor Mc Cay, Paris, 2006
À la Bpi, Niveau 3, AR US LIT

Couverture de Little Nemo : 1905-2005, un siècle de rêves

Little Nemo : 1905-2005, un siècle de rêves,
par Benoît Peeters, Bruxelles, 2005.
La bande dessinée Little Nemo est née voilà un siècle, de l’imagination de Winsor McCay aux Etats-Unis. C’est un mélange de la bande dessinée de presse et d’un style Art nouveau. Des documents originaux digitalement restaurés, des études et des essais, des créations graphiques inédites en hommage à Little Nemo par A. Spiegelman, Mœbius, D. Horrocks, Mattotti, parmi d’autres.
À la Bpi, Niveau 3, 768 PEE

Publié le 20/03/2012 - CC BY-SA 4.0

Sélection de références

à l'ombre des tours mortes

à l'ombre des tours mortes

Spiegelman, Art
Casterman, 2004

768 SPI
Niveau 3 – Arts, loisirs, sports

Maus

Maus

Spiegelman, Art
Einaudi, 2010

La BD culte d’Art Spiegelman
Niveau 3 – Arts, loisirs, sports

Vidéos d'Art Spiegelman sur le site de l'INA

Portraits, reportages…
Découvrez des vidéos sur le site de l’INA.

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