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Appartient au dossier : Handicaps et mobilisations collectives

Handicaps et mobilisations collectives #4 : un blocage par Handi-social en 2018

En août 2018, des membres de l’association Handi-social alertent l’opinion sur les reculs sociaux dans le domaine de l’accessibilité en bloquant le passage d’un convoi Airbus près de Toulouse. Que révèle cette action de l’histoire des personnes handicapées et de leurs mobilisations collectives ? C’est ce qu’explique l’historien Gildas Brégain, chargé de recherches au CNRS et à l’École des hautes études en santé publique, à l’occasion du cycle « Handicaps : une vie à part ? » proposé par la Bpi au printemps 2023.

Photographie en couleur prise de nuit : au premier plan, deux personnes en fauteuil roulant, au milieu d'une route, vues de dos, avec une pancarte « Compensation de handicap = marre de devoir faire appel à la charité ! ». À l'arrière-plan, des véhicules aux phares allumés et des personnes debout portant des gilets jaunes ou des uniformes de gendarmerie.
Blocage par l’association Handi-social, L’Isle-Jourdain, 21-22 août 2018 © Tien Tran pour l’association Handi-social, tous droits réservés.

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« Cette mobilisation se déroule dans la nuit du 21 au 22 août 2018 à L’Isle-Jourdain, dans le Gers. Une vingtaine de militants de l’association Handi-social, dont certains sont en fauteuil roulant, bloquent une route afin d’empêcher le passage d’un convoi spécial transportant d’immenses pièces détachées d’un Airbus A380, entre Bordeaux et Toulouse.

L’association Handi-social a été fondée par Odile Maurin, à Toulouse, en 2002. Elle a d’abord participé à de nombreux groupes de travail et commissions à l’échelle locale, avant de recourir, à partir de 2014, à des actions en justice et à la désobéissance civile non violente. Ce changement de registre d’action est motivé par leur colère et leur indignation légitimes face à l’adoption de textes législatifs repoussant à plus tard la mise en accessibilité de l’espace urbain. Si la loi du 11 février 2005 avait rendu obligatoire l’accessibilité des transports, de la voirie et des établissements recevant du public (ERP) dans un délai de dix ans, l’ordonnance du 26 septembre 2014 a repoussé cette échéance de neuf ans – protégeant ainsi la majorité des collectivités, qui n’avaient pas respecté cette obligation légale, de toutes sanctions juridiques. En 2018, le projet de loi Elan constitue un recul social considérable sur le plan de l’accessibilité de l’habitat. Jusqu’alors, 100 % des logements neufs devaient être accessibles aux personnes en fauteuil roulant, mais le projet de loi Elan prévoit de circonscrire cette obligation à un faible pourcentage de logements neufs, la majorité devant seulement être « évolutifs » – c’est-à-dire susceptibles d’être rendus accessibles par des travaux, à une date ultérieure.

L’association Handi-social exige donc le retrait de cet article. Lors de ce blocage d’août 2018, elle demande également à rencontrer le Premier ministre, Édouard Philippe, et le directeur général d’Airbus, Tom Enders – sans succès. Cette action radicale n’est pas dirigée contre ce groupe aéronautique spécifiquement, mais vise plutôt à faire pression sur le gouvernement et le Parlement, à nuire aux intérêts des grandes entreprises privées et à attirer l’attention sur la question de l’accessibilité.

Ce blocage parvient à retarder le convoi d’Airbus de vingt-quatre heures et fait l’objet d’une importante couverture médiatique. La loi Elan est néanmoins promulguée le 23 novembre 2018, avec une obligation d’accessibilité limitée à 20 % des logements neufs dans les bâtiments d’habitation collectifs. Ce recul sur les nouvelles constructions est d’autant plus significatif que le nombre de logements accessibles déjà bâtis est, lui aussi, largement insuffisant. Cela empêche un grand nombre de personnes handicapées de vivre de manière autonome, hors des institutions spécialisées. Cela limite également leur vie sociale : par exemple, ils ne peuvent pas rendre visite à des amis si ceux-ci n’ont pas de logement accessible. La législation actuelle ne garantit pas l’accessibilité de la ville et de la société de demain.

Par son positionnement depuis le milieu des années 2010, Handi-social a initié une dynamique de radicalisation de certains discours et actions associatifs. Ainsi, d’autres structures développent également une vision politique du handicap et une critique très forte des reculs sociaux dans ce domaine : les Dévalideuses, qui portent une parole handi-féministe, le Collectif lutte et handicaps pour l’égalité et l’émancipation (CLHEE), qui lutte contre l’institutionnalisation et le validisme dans une perspective intersectionnelle, ou encore Mobilité réduite, qui a entrepris plusieurs actions en justice contre des collectivités locales ne respectant pas les règles d’accessibilité.

Néanmoins, l’association Handi-social est, à ma connaissance, la seule à mener de telles actions coup de poing : opération péage gratuit sur l’autoroute, blocage d’un site du cimentier Lafarge, de la gare de Toulouse Matabiau et des pistes de l’aéroport de Blagnac… Surtout, elle seule ose porter atteinte aux intérêts économiques et, symboliquement, à l’honneur d’un élu de la République : en novembre 2018, Adrien Taquet, député de La République en marche et défenseur de la loi Elan, est enfariné et une pelle d’or lui est remise pour avoir été le « fossoyeur » des droits des personnes handicapées. Par cette action symbolique et non violente, ces militants pointent la responsabilité de certaines personnalités politiques et des grands groupes économiques dans l’absence d’avancée dans le domaine de l’accessibilité, et in fine, dans la ségrégation socio-spatiale et la négation de la citoyenneté des personnes handicapées. »

Publié le 27/03/2023 - CC BY-NC-ND 3.0 FR

Pour aller plus loin

Handicap, histoire et politique au XXᵉ siècle | handipol.hypotheses.org, depuis 2014

Ce carnet de recherches en ligne, dirigé par Gildas Brégain, rassemble de nombreux articles sur l’histoire politique du handicap en France et dans le monde, en français, en anglais et en espagnol.

Pour une histoire du handicap au XXᵉ siècle. Approches transnationales (Europe et Amériques)

Gildas Brégain
Presses universitaires de Rennes, 2018

Tiré d’une thèse de doctorat soutenue en 2014, cet ouvrage est consacré à l’histoire des politiques publiques internationales du handicap au 20ᵉ siècle.

Gildas Brégain se penche d’abord sur l’émergence de l’invalidité et de la cécité comme problèmes publics transnationaux au cours de l’entre-deux-guerres et du second conflit mondial. Puis, il étudie les transformations des politiques internationales de l’après-guerre aux années 1980. Il se concentre ensuite sur les politiques du handicap en Argentine, au Brésil et en Espagne : il analyse l’influence des Nations unies et des agences spécialisées, puis la transformation de ces politiques sous les dictatures.

À la Bpi, niveau 3, 365.76(091) BRE et en ligne via OpenEdition

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