Les Black Studies sont un champ de recherche interdisciplinaire étatsunien qui se concentre sur l’étude historique, sociologique, politique et culturelle de l’expérience des personnes noires. L’historien Amzat Boukari-Yabara revient sur l’histoire et la réception de ce champ d’étude en Europe et en France.
Dans quel contexte les Black Studies ont-elles émergé ?
Après la guerre de Sécession, les premières universités noires créées aux États-Unis s’attachent à revaloriser l’histoire des Noirs dans une démarche intégrationniste. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ce champ disciplinaire évolue selon deux axes géographiques qui font partie des Area Studies : d’une part, les African American Studies, qui portent sur le groupe ethnique noir dans l’histoire américaine, et d’autre part, les African Studies, qui s’intéressent à l’Afrique et la décolonisation.
Les Black Studies émergent à la fin des années soixante et se concentrent plus spécifiquement sur les Noirs en tant que groupe social militant dans le contexte américain et international. Des historiens engagés contestent la représentativité des Noirs dans l’appareil universitaire américain. La démarche est militante et s’inscrit dans la dynamique du Black Power.
Comment les Black Studies ont-elles été reçues en France ?
Le mouvement politique et culturel de la négritude dans les années trente a produit des études noires françaises. Celles-ci sont en rupture avec les études africaines qui s’appuient principalement sur l’anthropologie coloniale. En parallèle, la sociologie ou l’économie vont s’intéresser à des questions spécifiques, par exemple la migration et les discriminations. Mais le savoir produit par les populations noires et qui servirait de base aux Black Studies n’est pas pris en compte dans le monde académique français.
Un champ particulier est celui des départements de civilisation anglo-saxonnes où il y a une tradition de travail sur les auteurs noirs américains et sur la pensée noire américaine. Cela fait écho à d’autres types d’études qui s’appuient sur des groupes sociaux ou culturels, telles que les études slaves ou nordiques. L’approche est progressiste et passe par des considérations littéraires. On y réalise, par exemple, des études comparées entre Toni Morrison et Maryse Condé, sur leurs conceptions de l’esclavage, des questions raciales et colonialistes. Cela conduit au développement des études post-coloniales à travers l’analyse littéraire des travaux d’auteurs tels qu’Edward Saïd, Frantz Fanon ou Gayatri Spivak.
Par ailleurs, les personnes d’origine africaine sont de plus en plus présentes dans les centres d’études et font émerger des problématiques parfois nouvelles dans le monde universitaire. L’Université Paris-8 a hébergé des séminaires consacrés aux populations noires de France, conviant souvent des universitaires américains. L’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) offre également un cadre interdisciplinaire qui permet de développer des Black Studies à partir de l’expérience des diasporas africaines francophones, expérience étudiée dans le livre La Condition noire de Pap Ndiaye.
Quel est l’état de la recherche aujourd’hui en Europe ?
Dans les années quatre-vingt-dix et surtout deux-mille, des réflexions émergent en Europe sur ce que l’écrivaine camerounaise Léonora Miano appelle l’afropéanité. En parallèle, les Black Studies donnent lieu à des recherches en Angleterre, en Allemagne, en Belgique et en France, particulièrement après les émeutes urbaines de 2005. Les populations noires deviennent un sujet d’étude politique.
L’enjeu est de créer un champ d’étude qui puisse éclairer l’opinion publique sur les problématiques culturelles, sociales, politiques et économiques de l’expérience noire, et de montrer la diversité des traditions intellectuelles. Par exemple, dans quelle mesure la négritude, née dans les années trente avec Aimé Césaire, Paulette et Jeanne Nardal et Léopold Sédar Senghor, est-elle intégrée à l’histoire de la littérature française ? Aujourd’hui, il existe encore des livres sur l’histoire de la littérature française au 20e siècle qui ne mentionnent pas la négritude. Est-on dans le domaine de la littérature française, de la francophonie, ou est-on dans le domaine des Black Studies à la française ? Ces questions font exister un espace transatlantique traversé par les Black Studies. Il est nourri, entre autres, par le travail sur l’Atlantique noire du sociologue afro-jamaïcain Paul Gilroy, mais aussi par beaucoup d’auteurs américains qui ont vécu en France, tels que James Baldwin ou Richard Wright.
Comment les Black Studies peuvent-elles nous aider à comprendre l’actualité ?
Aux États-Unis, les Black Studies ont joué un rôle notable dans l’émergence de la théorie critique de la race, un courant de recherche qui analyse les questions de violence et de racisme avec un regard désessentialisant. Poser la race comme une construction sociale offre une grille de lecture sur les politiques de diversité et les mécanismes de domination dont le privilège blanc est l’exemple le plus clivant.
Aujourd’hui, la France se veut méritocratique et républicaine, mais les mécanismes de reproduction des élites et de diffusion du savoir ne reflètent pas toutes les évolutions sociétales. Les Black Studies contribuent à la diversification des références, avec une palette de ressources pour définir des situations et penser des politiques publiques en réponse aux défis contemporains.
Pour aller plus loin
À l’occasion de la Saison Africa2020, le musée du quai Branly – Jacques Chirac accueille trois jours de conférences, tables rondes et sessions musicales en ligne et devient un lieu de dialogue entre artistes et chercheurs de premier plan pour contribuer aux Black Studies dans les domaines de la pensée critique, l’architecture et l’art.
Les enregistrements de ces manifestations sont à revoir sur leur chaîne YouTube.
Amzat Boukari-Yabara
La Découverte, 2014
À la Bpi, niveau 2, 963 BOU
Pap NDiaye
Calmann-Lévy, 2008
À la Bpi, niveau 2, 300.71 NDI
Awa Thiam
Tierce, 1987
À la Bpi, niveau 2, 301.7 THI
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