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Appartient au dossier : Chris Ware, objets dessinés

Chris Ware et la BD américaine

Grand lecteur de comics depuis sa jeunesse, Chris Ware cite volontiers ses auteurs de référence, depuis le début du 20ᵉ siècle jusqu’aux auteurs contemporains, qui lui permettent de jouer avec les codes de la bande dessinée autant qu’il les réinvente.

Winsor McCay 

Dessinateur de génie, Winsor McCay est aujourd’hui considéré comme l’un des pionniers de la bande dessinée aux États-Unis et dans le monde, notamment grâce à son œuvre phare, Little Nemo in Slumberland (1905-1914), qui n’en finit pas d’inspirer les dessinateurs. Relatant les aventures du jeune Nemo au pays des rêves, il crée une galerie de personnages fabuleux qui évoluent au milieu de décors grandioses, inspirés par l’Art nouveau autant que par le gigantisme des premiers buildings. 

Little Nemo in Slumberland, de Winsor McCay (15 septembre 1907), domaine public via Wikimedia Commons

Winsor McCay est l’un des premiers auteurs à utiliser le phylactère au lieu d’une légende de bas de case. Il est aussi celui qui donne à la planche de BD une plasticité qu’elle n’avait pas auparavant. Loin de s’en tenir au gaufrier, alignant des vignettes de même dimension, il donne à chaque case une forme qui s’accorde au récit et à ses personnages : chacune peut s’étendre sur toute la hauteur de la page ou, au contraire, rapetisser dans un coin. Enfin, il inaugure les premières impressions en couleurs, auxquelles il apporte une attention particulière. Chris Ware, très admiratif de la bande dessinée de la première moitié du 20e siècle, cite régulièrement Winsor McCay comme une de ses références. Le jeu avec les cases, les couleurs en harmonie sur la page, et le goût pour l’architecture sont en effet quelques-uns des éléments qu’on retrouve dans ses albums.

Charles Schulz 

Entre 1950 et 2000, Charles Schulz a dessiné la série Peanuts, qui l’a rendu célèbre auprès de 350 millions de lecteurs dans le monde. Sous la forme de strips, BD en quelques cases, il met en scène Charlie Brown, Snoopy, Lucy et Linus dans des situations absurdes ou comiques. Mais derrière les traits enfantins et les animaux qui parlent, ce sont des situations universelles, un langage et des interrogations d’adultes que l’on retrouve. La naïveté du dessin dissimule un propos qui tend, avec légèreté, vers la philosophie ou la psychologie. 

Chris Ware décrit la série des Peanuts comme le seul comic strip capable de susciter l’empathie qui « a ouvert la voie à toute la bande dessinée moderne et a redéfini l’écriture des personnages de fiction ». On retrouve un peu de Charlie Brown chez certains personnages de Chris Ware, tels Jimmy Corrigan ou Rusty Brown. Rêveurs et hypersensibles doivent affronter la cruauté d’une société hostile : celle des parents, collègues ou camarades de classe qui n’ont que faire de leur timidité et de leur mélancolie. Dans leur dessin, les deux auteurs semblent également à la recherche d’un minimalisme qui n’exclut pas la complexité : quoique réduit à des formes simples, tendant parfois vers l’idéogramme, le dessin permet pourtant d’exprimer une grande richesse de situations et d’émotions.

Robert Crumb

En 1965, Robert Crumb, jeune auteur de comics, fréquente les communautés underground de San Francisco, consomme du LSD en grande quantité, et trouve son style artistique dans cet environnement psychédélique. Il publie dans des petites revues issues de la contre-culture et du mouvement hippie, et lance son magazine Zap Comix en 1968. Son trait grotesque décrit des scènes sans tabou, marquées par le sexe, la violence, ou encore la détestation du rêve américain. Ses antihéros comme le chat obsédé Fritz the Cat ou le gourou déjanté Mister Natural incarnent ces sujets. Il se met aussi en scène dans ses propres histoires où il décrit librement ses fantasmes, avec auto-dérision. 

Lorsque Chris Ware entre aux Beaux-Arts, il découvre les carnets de croquis de Crumb. Comme lui, Chris Ware aime dessiner des choses du quotidien, des scènes d’inspiration autobiographique. Il s’éloigne alors du dessin académique pour se diriger vers une forme d’expression plus libre et plus personnelle.

Crumb, grand précurseur d’un dessin qui évoque l’intime, à une époque où la bande dessinée américaine se veut essentiellement commerciale, ouvre la voie au roman graphique portant un regard critique sur le monde. Chris Ware comprend grâce à Crumb que la BD peut exprimer des opinions et des sentiments profondément humains.

RAW

À dix-sept ans, Chris Ware tombe par hasard sur un exemplaire de la revue RAW. Cet épisode marque le début d’un nouveau rapport que l’adolescent, davantage habitué aux strips des comics books, entretient avec la BD. Il comprend qu’elle peut être quelque chose d’ambitieux et d’artistique.

Cover fir RAW 7 by Art Spiegelman © Art Spiegelman et RAW Books et Graphics. All rights reserved. Used by permission

RAW paraît pour la première fois en 1980 sous la direction de Françoise Mouly et Art Spiegelman. La revue fait paraître onze numéros dans lesquels des auteurs d’avant-garde comme Dan Clowes, Charles Burns ou Gary Planter publient des bandes dessinées et des illustrations. La revue hérite de la culture underground et des expériences éditoriales et graphiques menées dans les années soixante et soixante-dix, tout en poussant plus loin la recherche artistique et narrative. Les œuvres publiées offrent une lecture du monde intime et profonde pour révéler un travail d’auteur. 

Dans les pages de RAW, Chris Ware découvre Maus, le chef-d’œuvre d’Art Spiegelman, qui le bouleverse. Il en étudie chaque page minutieusement. La revue permet aussi à Chris Ware de s’ouvrir à la bande dessinée étrangère en lisant l’Argentin Joseph Munoz, les Italiens Giorgio Carpinteri et Altan, le Néerlandais Joost Swarte, ou encore les Français Tardi et Loustal. Contacté par Art Spiegelman alors qu’il n’a publié que dans un journal étudiant, Chris Ware contribue à deux reprises à RAW et participe à son tour à la recherche graphique dont la revue se veut le lieu.

Publié le 23/05/2022 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Little Nemo : 1905-2005, un siècle de rêves

Collectif
Les Impressions nouvelles, 2005

La bande dessinée Little Nemo est née voilà un siècle, de l’imagination de Winsor McCay aux États-Unis. C’est un mélange de la bande dessinée de presse et d’un style Art nouveau. Cet ouvrape présente des documents originaux digitalement restaurés, des études et des essais, des créations graphiques inédites en hommage à Little Nemo par A. Spiegelman, Moebius, D. Horrocks, Mattotti, parmi d’autres.

À la Bpi, niveau 3, 768 PEE

Snoopy et le petit monde des Peanuts. 1

Charles Schulz
Delcourt, 2014

Compilation des aventures de Snoopy publiées dans les pages du dimanche durant les années 1970 et 1971. Charlie Brown joue au base-ball, Lucy a un avis sur tout, Linus apprend le véritable sens de Noël, Snoopy écrit des romans, etc.

À la Bpi, niveau 1, RG SCH S1

R. Crumb, catalogue d'exposition au Musée d'art moderne de la Ville de Paris, 12 avril-14 août 2012

Collectif
Paris-Musées, 2012

Exposition rétrospective de l’œuvre du dessinateur Robert Crumb, figure de la contre-culture américaine et de la bande dessinée underground depuis les années soixante-dix .

À la Bpi, niveau 3, 768 CRU

Mister Sixties

Robert Crumb
Cornélius, 2011

R. Crumb présente sa version intime, cynique et drôle des années 1960. Egérie des babas cool, figure emblématique du mouvement hippie, l’auteur ne se lasse pas de dépeindre cette période en bousculant les idées reçues.

À la Bpi, niveau 1, RG CRU M

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