Sélection

Cinq recueils de jeunes poètes

À l’occasion du Printemps des poètes, Balises vous propose une sélection de cinq recueils de jeunes poètes et poétesses francophones parus entre 2019 et 2021.

L’un d’eux, Simon Johannin, est invité en mars 2021 pour une lecture musicale à la Bpi, qui célèbre le Printemps des poètes et le thème de cette édition, le désir.

Publié le 15/03/2021 - CC BY-NC-SA 4.0

Nous sommes maintenant nos êtres chers

Simon Johannin
Allia, 2020

En vers libre et avec peu de mots et de ponctuation, Simon Johannin décrit dans Nous sommes maintenant nos êtres chers un monde de jeunes gens modernes et sans le sou vivant de fête, de drogues, d’amour et de chutes parfois violentes. Après ses deux romans, L’Été des charognes (2016) et Nino dans la nuit (2019) co-écrit avec Capucine Johannin, l’auteur semble, dans ce recueil, à la fois désabusé et prêt à croire encore à la beauté.

Les êtres chers mentionnés dans le titre, ce sont peut-être ces « petits Blancs », jeunesse qui arpente les rues et les ruelles de la ville autant qu’elle se terre dans des intérieurs confinés, le monde se réduisant alors à la chambre, au lit, au matelas et aux draps.

Il est aussi beaucoup question des corps, dévoilés par de brefs éclairs : un poignet cassé, une nuque pliée, les genoux, les pieds, la peau… Des corps toujours maigres qui cherchent l’oubli ou la beauté dans les drogues, fuyant la tristesse d’un quotidien désabusé, traversé par des fulgurances d’amour et de violence.

« J’ai cueilli pour toi des fleurs et des médicaments
J’ai fait bleuir ta peau en la serrant trop fort
On ne faisait pourtant rien d’autre
Que bagarrer l’amour »

À la Bpi, niveau 3, 840″20″ JOHA 4 NO

Les Quatrains de l'all inclusive

Rim Battal
Le Castor Astral, 2021

Au bord de la piscine d’un complexe hôtelier de grand standing, cocktail à la main, Rim Battal surveille ses enfants d’un œil et observe le ballet des vacanciers bronzés de l’autre. Depuis ce poste d’observation insolite, cette jeune poétesse née en 1987, autrice de plusieurs recueils aux éditions Lanskine et le Castor Astral, déroule une poésie lapidaire, sans lyrisme mais gorgée d’ironie, qui part des corps en mouvement pour interroger le statut et la place de chacun. 

Les injonctions et les contraintes qui ciblent le corps des femmes, la perpétuelle vigilance d’une mère de famille croulant, même en vacances, sous la charge mentale, ou encore les dynamiques de subordination entre employés et clients sont mises à jour par Rim Battal. Tout en célébrant avec sensualité le plaisir qui naît de la libération du corps sous l’effet du soleil ou de l’alcool, Les Quatrains de l’all inclusive font ainsi retentir une parole acide qui révèle l’absurdité artificielle et la vanité de ces lieux, se proposant de « dynamiter la piscine » plutôt que de continuer à subir les cours de Zumba.

« Que sommes-nous 
en train d’adorer
sur les notes sans cesse répétées
de Despacito

Quelque chose m’échappe »

À la Bpi, niveau 3, 846.1 BATT 4 QU

La Sauvagerie

Pierre Vinclair
Corti, 2020

Existe-t-il aujourd’hui une poésie de l’urgence et de l’engagement ? Pierre Vinclair, poète français né en 1982, répond par l’affirmative avec La Sauvagerie, recueil qui rassemble 499 dizains consacrés au vivant et à son effondrement, dont 48 sont signés par des poètes et poétesses invités à participer à ce projet collectif.

Inspiré dans sa structure par un recueil du poète du 16e siècle, Maurice Scève, La Sauvagerie est un objet littéraire multiple et changeant. Pierre Vinclair y puise dans tous les registres pour « célébrer le Sauvage partout où il résiste encore ». Alternant les textes aux accents prophétiques, épiques ou déploratoires, La Sauvagerie propose aussi bien une élégie aux cent espèces les plus menacées qu’une ode aux ordinateurs du GIEC, et recourt volontiers au pastiche ou à l’hommage, que ce soit en imitant William Blake ou Claude François.

Pierre Vinclair y développe un véritable art poétique qui se signale par sa volonté de fabriquer une langue à la mesure de l’urgence : « écris comme hurle cigale ou / sonnette cassée, cultive la très fausse note / (…) hurle avec les fous, pleure avec les fauves. » Au-delà de sa richesse formelle, La Sauvagerie est avant tout un livre de combat, qui conçoit la parole comme une arme. « Le temps n’est plus à souffler de la rhétorique », écrit Pierre Vinclair, mais bien à élaborer une poésie d’action : 

« avec ce bois construis un feu, pas un discours
déploie ta langue carnivore, avale
l’ultime sangsue climato-sceptique »

À la Bpi, niveau 3, 840’’20’’ VINC 4 SA

Les Décalages contraires

Mylène Bouchard
Mémoire d'encrier, 2019

Mylène Bouchard est née en 1978 au Québec. Éditrice, romancière, essayiste et poétesse, elle fait de l’amour la question centrale, fondatrice, protéiforme, de ses écrits. En 2017, son roman L’Imparfaite amitié commençait par les mots « il faut aimer très fort ». Elle poursuit cette exploration du sentiment en 2019 dans Les Décalages contraires.

Les Décalages contraires est un voyage vers l’autre en six étapes, oscillant entre l’urgence et la patience : « Je me hâterai de ne pas te voir » ; « Les décalages contraires » ; « Les jeux ivres » ; « Les accolades de théâtre » ; « Sauve qui peut » ; « La légèreté du voyage ». Omniprésent dès le prologue et tout au long du texte, le voyage, pour l’autrice, est en fait la poésie, qui permet la même « intensité de présence au monde ».

« La poésie est un art composé de silences, où l’on dit beaucoup avec du blanc », nous dit encore Mylène Bouchard. Ce sont donc quelques mots délicatement posés sur de vastes espaces blancs qui nous font parcourir les décalages contraires entre deux êtres qui se rattrapent, se fuient, se retrouvent, se manquent, se quittent.

« Ça m’apprendra à apaiser les garçons j’ai chuté
sauté la clôture je suis rentrée à moto à minuit
dans le mur

J’ai plein de vis
Dans le cœur »

À la Bpi, niveau 3, 843 BOUC.Y 4 DE

Poser problème

Antoine Mouton
La Contre-allée, 2020

« C’est une journée composée d’heures et de poèmes » : Poser problème, sixième recueil du poète et romancier Antoine Mouton, décompose par éclats les minutes d’une journée ordinaire, d’un lever du soleil à l’autre. Partant de situations quotidiennes, Antoine Mouton compose des tableaux de la vie intime qui donnent à ces vingt-quatre heures les dimensions d’une vie entière, à l’image de l’énigme du sphinx dans laquelle l’homme est un animal à quatre pattes le matin, à deux pattes le midi et à trois pattes le soir. La filiation, la mort, l’amour et l’amitié sont autant de sujets que le poète contemple avec un regard doux-amer, dans des poèmes qui oscillent entre dérision et gravité.

Au fil des heures, une inquiétude lancinante affleure, que la poésie tente de tenir à distance dans un combat recommencé à chaque instant : « je voudrais bien ne jamais cesser de discuter avec le manque en moi », écrit Antoine Mouton. Privilégiant le questionnement et le doute et rejetant toute forme d’assertion définitive (« Je ne vais pas écrire de poème déclaratif / un poème qui dirait : la vie c’est ça »), ses poèmes jettent sur l’existence un trouble et, derrière leur apparente simplicité, révèlent la difficulté d’être au monde et de saisir activement, par la parole, le sens de ce qui nous entoure comme de ce qui nous constitue. 

« voir n’était pas
où l’on pensait
il s’agissait d’abord
de deviner »

À la Bpi, niveau 3, 840″20″ MOUT 4 PO

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