Chronique

Défaite des maîtres et possesseurs, de Vincent Message

Que deviendrions-nous si un peuple extraterrestre nous imposait sa domination ? Sur ce scénario de science-fiction, Vincent Message élabore un conte philosophique féroce et turbulent. Un deuxième roman extrêmement maîtrisé, six ans après les Veilleurs qui avait créé l’événement à la rentrée littéraire 2009.

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Les envahisseurs sont parmi nous. On nous a déjà fait le coup, mais cette fois c’est la bonne. Ils nous ont observés, longuement, ces nomades qui errent de planète en planète pour tirer à chaque fois de leur nouveau refuge le meilleur parti. Dissimulés dans des zones-limites où la présence humaine est rare, ils ont tout appris de nous. Quand ils se sont manifestés, ils avaient déjà l’assurance de pouvoir asseoir leur domination sur l’humanité ; ils sont devenus les maîtres et possesseurs de la Terre.

On a donc entre les mains, semble-t-il, un récit de science-fiction ; pourtant ce nouveau monde, situé dans un avenir indéterminé, n’est guère différent de notre quotidien. A peu de choses près, la seule différence sensible est qu’une nouvelle caste a pris le pouvoir, au-dessus encore de ceux qui parmi les hommes le gardaient jalousement et qui ont soudain été relégués au rang de seconds couteaux. En bref ces extra-terrestres sont humains, trop humains – et ils récusent d’ailleurs le terme d’extra-terrestres, ce mot « si autocentré » pour eux qui savent que « toutes les planètes sont des terres », et qui trahit le besoin maladif de l’Homme de nommer les choses qui l’inquiètent – pour « mettre sa marque » et « lutter contre l’inconnu dans ce qu’il a d’inmaîtrisable », écrit Message.

Pour nous guider dans ce nouveau monde qui ressemble tant à l’ancien, nous rencontrons Malo Claeys. Il sera notre principale interface pour comprendre le sort qui est réservé aux humains dans cette nouvelle société. Ceux-ci sont répartis en fonction de leur rôle en trois classes qui ne peuvent communiquer : il y a ceux qui travaillent, ceux qui tiennent lieu de compagnie, et ceux que l’on mange. Malo n’est pas tout à fait un extra-terrestre – gardons le mot, il est commode – comme les autres, puisque son empathie pour les hommes le conduit à défendre au Parlement un projet de loi visant à améliorer leur fin de vie, et à se lier d’affection pour Iris, une jeune humaine qu’il sort d’un élevage au mépris de la loi. Sa trop grande compréhension des affects humains risque d’ailleurs de lui coûter cher, certains de ses congénères étant prêts à payer le prix fort pour empêcher que ces nouveaux esclaves ne soient affranchis de quelque manière que ce soit.

Le sort des hommes, bien sûr, évoque celui que nous réservons aux animaux. C’est le premier point d’entrée, le plus  simple, dans le sous-texte de Défaite des maîtres et possesseurs. Les descriptions d’élevages et d’abattoirs ont, de fait, de quoi faire réfléchir le plus convaincu des carnivores au bien fondé de ses habitudes.

Mais le roman de Vincent Message ne saurait en aucun cas se réduire à un tract pour le véganisme. Les nombreuses implications de cette fable glaçante ont plutôt à voir avec le politique, avec l’organisation d’une société dans son ensemble. Le décalage par rapport à la nôtre est des plus légers, mais le dispositif de Vincent Message parvient à révéler avec une acuité extrême les mécanismes de domination qui y sont à l’oeuvre, transposant habilement les ressorts de l’exploitation de l’homme par l’homme dans ce nouvel ordre. Car le regard de Malo est admirablement exploité : juge sévère et interloqué des pratiques de la vieille société humaine – à la manière d’un persan de Montesquieu -, il n’en est pas moins occasionnellement leur défenseur face aux dérives du système mis en place par les extra-terrestres – système qui, à bien des égards, n’est qu’une version extrapolée, totalitaire, du capitalisme.

Découvrir la place inférieure qui échoit aux hommes dans l’univers dystopique de Message provoque un malaise réel, comparable à celui que l’on ressent, dans les Voyages de Gulliver, à l’évocation des Yahoos, ces humains dégénérés, idiots et sales, qui n’ont gardé comme relique de leur humanité qu’un orgueil démesuré. De manière générale, c’est bien sur le terrain de Swift que Vincent Message évolue : avec ce récit cruel et acide, il réinvente avec brio le genre du conte philosophique pour le 21e siècle.

Publié le 24/02/2016 - CC BY-NC-SA 4.0

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Vincent Message répond aux questions de Christine Marcandier pour le magazine Diacritik.

« La réflexion centrale du livre est sans doute celle de l’humain. Ce qui fonde la spécificité de l’espèce humaine, ce qui fait, peut-être sa force mais ce qui est aussi sa faiblesse (et que l’on tend à grandement oublier). Plusieurs fois il est dit qu’il y a trop d’hommes sur terre, que la nouvelle domination de la planète a été accompagnée d’une « remise à plat de la politique démographique ». C’est là encore une réflexion qu’il nous faut mener. »

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« Cette cruauté rejoint la provocation, car Vincent Message aborde dans ce livre des sujets de société qui font débat : j’ai évoqué la question des sans-papiers, mais on pourrait parler de la vie et la mort, pardon de ne pas être plus précis, de l’alimentation, de l’élevage intensif, de la relation à l’animal, du libéralisme économique, de la colonisation, du débat et de la communication politiques, la montée de l’extrême-droite… »

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On en parle... Sur Un dernier livre avant la fin du monde

« Après le très réussi Les veilleurs , Vincent Message retourne à la fiction avec un conte philosophique, Défaite des maîtres et possesseurs aux éditions du Seuil. Adoptant le genre de la science-fiction, Vincent Message livre ici une dystopie alarmante et amère où les petits bonshommes verts ne viennent pas pour faire la paix. Un tour de force humaniste qui ouvre plusieurs sources de réflexion à la fin de la première lecture et qui force le lecteur à voir et penser ce qui est sans cesse refoulé. »

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