Du royaume de la reine vierge…
En 1581, Torquato Tasso publie La Gerusalemme liberata dont l’intrigue, prenant place lors de la première croisade à la fin du 11e siècle, reprend plusieurs éléments de l’Arioste. C’est l’une des premières grandes reprises du poème qui se trouve rapidement catapulté au rang des best-sellers internationaux. Car loin de rester cantonnée à l’Italie, la diffusion de l’Orlando poussa même jusqu’à l’Angleterre élisabéthaine : le poème y reçut une adaptation particulière par Peter Beverly qui rédigea en 1565 son History of Ariodante and Ginevra, tirée du chant V de l’Orlando. En outre, certains auteurs reconnaissent une influence de l’Arioste dans La Tempête, Beaucoup de bruit pour rien ou Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare. Au-delà de cette anecdote, on peut souligner combien l’Angleterre apprécia les drames autour du couple Ginevra d’Ecosse et Ariodante, et ce jusqu’à l’apogée du fantastique Ariodante de Haendel.
Au reste de l’Europe
L’adaptation dramatique de l’Arioste fit pareillement le tour de l’Europe :
- à Versailles, sur un livret de Quinault pour l’opéra Roland de Lully en 1685
- à Paris, livret d’Antoine Danchet pour l’opéra de Campra en 1705, puis celui de Duplat de Monticourt pour le Roland furieux de Rameau, 1760
- à Venise, livrets de Grazio Braccioli pour les opéras de Vivaldi, 3 Orlando furioso en 1713, 1714 et 1727, un Orlando finto pazzo inspiré plutôt de Boiardo et non de l’Arioste, en 1714 et celui d’Antonio Marchi pour l’opéra d’Albinoni en 1725
- à Naples, opéra de Nicola Porpora, Orlando ou le délireovvero Angelica, en 1720 : création importante car première pour la scène du librettiste Metastasio et débuts sur scène de Farinelli
- à Londres, en 1711, Haendel compose Rinaldo sur un livret de Giacomo Rossi, d’après la Jérusaleme délivrée du Tasso, puis sur des livrets anonymes d’après Salvi, Marchi et Fanzaglia pour les trois opéras Orlando en 1733 (d’après l’Orlando ovvero la gelosa pazzia de Domenico Scarlatti), Ariodante en 1735 (d’après le Ginevra, Principessa di Scozia d’Antonio Salvi, écrit pour un opéra de Giacomo Antonio Perti en 1708) et enfin Alcina en 1735
- à Milan, sur le livret de Métastase pour le Ruggiero ovvero l’eroica gratitudine de Hasse en 1771, puis celui d’Angelo Agnelli pour l’opéra Le bestie in uomini de Mosca en 1813
- à Vienne, livret de Nunziato Porta pour l’Orlando paladino de Haydn en 1782.
Au fil des siècles
La liste est fastidieuse mais pas exhaustive, on s’en doute (il y a par exemple un Orlando generoso d’Agostino Steffani datant de 1691 ou un Angélique et Médor de Marc-Antoine Charpentier de 1685). Cependant, elle donne la mesure de la postérité musicale de Roland. Par extraordinaire, cette postérité ne s’arrête pas à la période baroque, même si le 19e a signé la disparition à l’opéra des grands héros antiques ou médiévaux en Italie et en France. Tout d’abord, Brahms reprend le thème de Rinaldo dans une cantate pour choeur, soliste et orchestre, s’inspirant d’un poème de Goethe du même nom, lui-même tiré de la Jérusalem du Tasso, vue plus haut.
Même notre période contemporaine cultive ses Roland, que cela soit dans le monde des lettres ou celui de la musique : en 1970 le metteur en scène Luca Ronconi fit une adaptation théâtrale de l’Arioste qui installa sa notoriété (Extrait du JT du 5 mai 1970, site INA) et, plus prêt encore, Olivier Py crée son Orlando ou l’impatience pour lequel il revendique lui-même un lien, même mineur, avec l’Orlando de l’Arioste (l’intérêt étant qu’il ait donné ce nom là, précisément, à sa pièce et pas un autre).
Pour la musique on peut citer l’exemple de Goffredo Petrassi (1904-2003) qui composa en 1942-43 La Follia di Orlando, ballet avec récitatifs pour baryton, fondé sur des scènes de l’Orlando furioso.
On reste frappé par la multitude d’oeuvres liées à la geste de Roland, le point saillant nous semblant l’écriture d’opéras faisant de personnages secondaires les supports dramatiques de certaines oeuvres (sortes de « spin off » de l’époque). L’exemple le plus frappant étant Haendel, auteur d’un Orlando mais aussi de Rinaldo, Alcina et Ariodante : ces dernières compositions, parmi les plus abouties du génial musicien, sont écrites autour de figures secondaires dans l’Arioste, mais devenus ici les héros éponymes d’une oeuvre entière et magistrale.
Sélection de références
Ariosto 1974 [mille novecento settanta quattro] : atti
Congresso Ariostesco (1974) New York, N.Y.
Longo, 1976
Actes de congrès portant, notamment, sur la postérité des personnages de l’Arioste en Angleterre, avec en particulier Ariodante.
À la Bpi, niveau 3, 850″15″ ARIO 5 CO
Concerto pour piano , Concerto pour flûte , Follia di Orlando (La); Petrassi, Petrassi, Petrassi
Goffredo Petrassi
Outhere Music - Naxos Global Logistics, 2014
Exemple de création contemporaine autour d’Orlando furioso par Petrassi (1904-2003) avec La follia di Orlando.
À la Bpi, niveau 3, 78 PETR.G 60 LA
L'Arioste en France des origines à la fin du XVIII siècle
Alexandre Cioranescu
Bottega d'Erasmo, 1970
Contribution sur la postérité du poème de l’Arioste.
À la Bpi, niveau 3, 850″15″ ARIO 5 CI
Rinaldo : a cantata for 8 part chorus, baritone-solo and orchestra, op. 50
Johannes Brahms
E. F. Kalmus,
Partition.
À la Bpi, niveau 3, 78 BRAH 3
Le regard sur deux siècles d’opéra français et italien à travers le prisme des réécritures du Roland furieux de l’Arioste donne des pistes de réflexion à la fois sur la réception du texte source et sur les genres, littéraires et opératiques, en évolution au cours du XVIIIe siècle.
Article sur l’utilisation de l’Arioste dans l’opéra.
Les champs signalés avec une étoile (*) sont obligatoires