Interview

Appartient au dossier : Les médias d’information à l’épreuve du confinement

« En temps de crise, la télévision apparaît comme une balise »
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via Piqsel

Marie-France Chambat-Houillon est sémiologue de l’audiovisuel et spécialiste des médias. Elle enseigne à l’Institut de la communication et des médias de l’université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 et dirige l’unité de recherche CIM (Communication, Information, Médias). Elle observe les effets du confinement sur les médias français et relève la place très particulière que reprend la télévision.

Observez-vous des transformations dans les médias en cette période de confinement ?

Depuis un mois que nous vivons ce confinement, la place que prend la télévision est frappante. Il n’y a pas si longtemps, elle était perçue comme un média agonisant, ringardisé par la révolution numérique. Or, actuellement, la télévision retrouve une seconde jeunesse. Au début du confinement, l’audience des chaînes d’information continue a doublé. Médiamétrie a annoncé que l’audience a progressé d’une heure en moyenne par jour sur les chaînes traditionnelles, ce qui est considérable. Enfin, entre 15 et 20 millions de personnes regardent les journaux télévisés chaque jour. Ce sont des chiffres d’audience qui n’avaient pas été enregistrés depuis très longtemps. Alors que la télévision était considérée comme un média peu fiable, elle recouvre le rôle fédérateur et structurant qui était le sien avant l’arrivée du numérique.

Comment expliquez-vous ce phénomène ?

La télévision redevient le média principal car c’est le média du foyer, le média domestique par excellence. C’est le média de la banalité et de l’ordinaire, c’est aussi un meuble autour duquel le salon est souvent organisé. Nous consultons la télévision depuis notre foyer, où nous sommes contraints de rester en ce moment puisque la crise entrave nos mobilités.

Par ailleurs, étymologiquement, « télévision » signifie « voir à distance ». Or, la distance, c’est ce qui nous est demandé avec la « distanciation sociale ». Nous n’avons plus les contacts auxquels nous sommes habitués. Le lien social risque de se déliter à cause de cette distance. Quelque part, il se renoue par la temporalisation qu’offre la télévision. À la différence des plateformes et des réseaux sociaux, la télévision est un média d’offre proposée à travers une programmation. Cette programmation délivre des rendez-vous aux individus, comme le journal télévisé de vingt heures. Les contenus programmés constituent des repères temporels qui permettent de créer du collectif.

La télévision rassure, en quelque sorte…

Oui, parce que le collectif est fragilisé, la communauté est bouleversée en terme spatial : on ne peut plus être ensemble. Le collectif est alors ré-appréhendé par le fait que nous sommes ensemble en même temps quand nous regardons la même chose à la télévision. Une certaine forme de collectivité s’opère, non plus dans un espace partagé, mais à partir d’une temporalité partagée simultanément. 

De plus, la télévision rassure dans le sens où elle donne le sentiment d’une voix consensuelle par rapport aux multiples médias existants. Bien entendu, il n’y a pas qu’une unique voix à la télévision, les logiques éditoriales respectives des chaînes demeurent, mais il y a tout de même moins de façons de présenter l’actualité que dans les médias numériques. La télévision fédère, en somme. 

Générique du JT de France 2
Générique du JT de France 2

Les missions de la télévision ont-elles évolué avec la crise ?

J’ai été frappée par la rapidité avec laquelle s’est mise en place une offre de contenus culturels et pédagogiques, notamment pour palier la rupture de scolarité des élèves. Sur la plateforme Lumni et sur le réseau France 4, la programmation reproduit la temporalité scolaire et se présente comme un emploi du temps. La télévision s’appuie sur des modèles institutionnels déjà existants, dont celui de l’éducation.

Mais la télévision éducative, ce n’est pas nouveau. Au contraire, l’accompagnement éducatif est même une de ses premières missions. Il existait une télévision scolaire avec une mission didactique assumée à la fin des années quarante et jusque dans les années soixante. Ses missions éducatives et culturelles ont été oubliées depuis une vingtaine d’années, notamment avec l’émergence de la téléréalité, mais historiquement elles sont très importantes. On les redécouvre en ce moment.

Le public continue pourtant de s’informer sur Internet et sur les réseaux sociaux ?

Oui, mais je suis étonnée de voir qu’il ne délaisse pas les médias d’information classiques pour autant. Sur les réseaux, c’est le règne des fake news et des théories complotistes. Cela génère de l’angoisse. Historiquement, la télévision s’est développée sur le modèle du service public. Même si toutes les chaînes n’en relèvent pas, le service public reprend sa place dans cette crise sanitaire et médicale. Il est revalorisé dans ses missions fondamentales résumées par la formule suivante : informer, éduquer et divertir.

Par ailleurs, je crois que la méfiance envers la voix journalistique s’est stabilisée. Probablement parce qu’on ne peut pas se méfier de tout. Il faut bien prendre le risque d’accorder sa confiance à une voix, sinon c’est invivable. Au sein de la pluralité médiatique, la télévision apparaît comme la voix la plus consensuelle, à laquelle on peut se fier. Ça ne veut pas dire que les téléspectateurs adhèrent forcément au contenu, l’esprit critique continue de fonctionner. Mais il faut pouvoir être en mesure d’écouter ce que le média a à dire avant d’apprécier si l’on y croit ou non. Dans ce contexte, la télévision apparaît comme un repère, une balise professionnelle parmi les voix informationnelles foisonnantes des réseaux sociaux. Elle fournit une information qui peut être considérée comme crédible à un moment donné.

L’information est-elle produite différemment en ce moment ? 

Au début de la crise, toutes les grilles ont été bouleversées : les JT ont été allongés, de nombreuses émissions spéciales ont été diffusées. Mais au bout d’un mois, les chaînes reviennent peu à peu à leur programmation habituelle. Il y a peu de changements finalement dans les dispositifs. Par exemple, les rubriques du JT restent sensiblement les mêmes. Il faut néanmoins mentionner une volonté des médias en cette période de confinement de se tenir à proximité de leurs publics, d’être précisément à leur service : ainsi les publics sont invités à prendre la parole au sein du dispositif du journal (France 2) ou juste après (Europe 1) en posant des questions sur l’évolution de la maladie et de la crise sanitaire auxquelles les médias tentent de répondre en mobilisant notamment la figure de l’expert médical. 

En revanche, compte tenu de la distanciation sociale, on voit réapparaître des techniques qui avaient été oubliées, comme la perche pour les prises de son lors des interviews. Les journalistes ne peuvent plus poser de micro-cravate sur leurs interlocuteurs ou s’approcher pour les faire parler dans un micro. Ils sont obligés de se tenir à distance et ils le montrent. La perche recouverte d’une bonnette qui protège le micro est alors visible témoignant ainsi que le journaliste est un citoyen comme les autres, soumis aux mêmes règles de distanciation sociale dans la fabrique de l’information.

Les interventions de spécialistes par appel visio sont une autre technique fréquemment employée. Les JT l’utilisent depuis longtemps, notamment pour diffuser des images d’amateurs, mais à cause de cette crise particulière, les professionnels sont obligés d’y avoir recours, même si cela produit une qualité d’image dégradée.

Publié le 21/04/2020 - CC BY-NC-SA 4.0

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