Sélection

L’enfance abîmée, sujet d’écriture

L’enfance en souffrance est un thème très souvent abordé par la littérature contemporaine. Balises propose une sélection de romans sur ce sujet, à l’occasion de l’édition 2025 du festival Effractions.

Un ours en peluche à moitié dans l'ombre
© David Griffiths Unsplash

La maltraitance, l’inceste, l’abandon, le manque d’amour, les déchirements entre les parents, l’enfant est à la fois témoin et victime de toutes les formes de violence au sein de la famille. Au moment de l’adolescence, la difficile transition vers l’âge adulte provoque aussi des bouleversements, des blessures. L’écriture apparaît alors comme une échappatoire, un moyen de réagir et crier son désespoir. 

Publié le 10/02/2025 - CC BY-SA 4.0

Notre sélection

Tombée du ciel

Alice Develey
L'Iconoclaste, 2024

Dans ce premier roman, Alice Develey délivre une fiction composée de « débris » de ses souvenirs à l’hôpital, où elle a séjourné parce qu’elle souffrait d’anorexie. L’autrice nous plonge dans le milieu hospitalier et dans la spirale de la maladie. Elle se montre critique à l’égard de la prise en charge des patient·e·s anorexiques : « Pourquoi m’a-t-on fait ce que l’on m’a fait ? J’étais une enfant. »

Son écriture est incisive, tranchante, crue. Elle ne mâche pas ses mots et décrit avec justesse et précision les mécanismes de la pensée anorexique : mensonges, calcul incessant des calories, stratégies diverses pour rester enfermée dans la boucle infernale de la privation d’aliments.

Tombée du ciel est un récit du « dedans regardé », selon l’expression de l’autrice. L’écriture rend palpable la spirale destructrice dans laquelle se trouve la jeune fille. La rythmique des mots et des phrases, la répétition des schémas narratifs construisent l’enfermement mental d’Alice dans l’enfer de la maladie. L’intervention de Sissi, l’amie imaginaire, permet de figurer la voix intérieure d’Alice, et d’évoquer son conflit avec elle-même pour ou contre la vie. Un récit poignant sur l’anorexie.

Retrouvez la chronique de Tu vas voir ce que tu vas lire sur Instagram.

À la Bpi, Langues et littératures, 840″20″ DEVE 4 TO

 

Ilaria

Gabriella Zalapi
Zoé, 2024

Ilaria, une petite fille de huit ans, est enlevée par son père alcoolique, qui fuit un divorce dont il ne veut pas. Ce roman est une road story immersive. Aux côtés d’Ilaria, nous sommes transporté·es dans la voiture sur les autoroutes d’Italie, dans les chambres d’hôtel et les gares. Comme elle, nous sommes baladé·es d’une ville italienne à une autre. Par le biais de ces changements de lieux, nous ressentons la perte de repères de la petite fille, arrachée à sa vie d’avant, à sa mère et à sa sœur, restées à Genève.

L’écriture de Gabriella Zalapi est cinématographique, composée d’ellipses et de fondus enchaînés. Ses phrases sont courtes et percutantes, comme des plans brefs qui se suivent pour mieux traduire la succession des heures et le défilement des paysages.

L’autrice ne commente pas les événements mais nous place dans la situation de témoins directs, comme lors de l’échange téléphonique où le père oblige sa fille à dire des horreurs à sa mère. Gabriella Zalapi nous fait sentir de près, avec simplicité et sans voyeurisme, la souffrance et la solitude d’une enfant, victime d’un père qui ne peut accepter la séparation d’avec sa femme.

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Couverture du roman Ootlin de Jenni Fagan

Ootlin

Jenni Fagan
Métailié, 2024

L’ouverture du livre nous plonge dans le réel par le biais d’une lettre d’une femme décidée à se donner la mort. On ne sait encore rien de ses blessures, de sa vie, mais elle exprime le souhait de se suicider et consigne dans le livre les raisons qui la pousse à songer à cet acte de désespoir. 

Les pages suivantes sont, quant à elles, comme un journal intime. Jenni, le personnage qui porte le même prénom que l’autrice, y consigne ses douleurs d’enfant abandonnée par une mère dépressive. Elle décrit ensuite la maltraitance au sein des institutions d’aide à l’enfance ou des familles d’accueil qui l’ont recueille et, enfin, la descente aux enfers d’une ado en manque d’amour, violée à plusieurs reprises, qui se réfugie dans les drogues pour panser ses plaies. 

Une écriture puissante, écorchée vive, à l’image de la jeune Jenni, qui donne à entendre et à voir les dégâts sur le long terme d’une enfance en errance, sans attache familiale. Un roman qui révèle enfin la puissance de l’écriture, capable de réparer les blessures les plus violentes soient-elles.

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Couverture du roman Après de Raphaël Meltz

Après

Raphaël Meltz
Le Tripode, 2025

Lucas, le personnage principal et narrateur d’Après, est un mort. À H+1 minute, H+1 heure, J+1, J+8; J+30, J+365 de son accident de vélo qui lui a ôté la vie, il raconte la douleur de ses proches. Décédé à l’aube de la cinquantaine, il laisse derrière lui une femme, Roxane, et ses deux enfants Sofia et Lorenzo. Sorte de fantôme, il revient parmi les sien·nes et décrit leur quotidien, les détails qui révèlent leur chagrin, leur vide intérieur, mais aussi son manque à lui de ne plus être des leurs.

En reprenant les ficelles scénaristiques du film américain Ghost (Jerry Zucker, 1990), dans lequel le protagoniste est aussi un défunt, Raphaël Meltz construit un récit sensitif et sensible. Son écriture subjective laisse transparaître le sentiment de la perte à partir des observations et des perceptions du narrateur : « […] voilà qu’arrive un gâteau avec écrit en gros Lucas et des bougies allumées tout autour, c’est, ç’aurait été, ç’aurait dû être son anniversaire de quarante-huit ans, tout à coup ce gâteau c’est trop, trop dur, brutalement Lorenzo fond en larmes, c’est d’une violence incroyable, des sanglots qui le secouent tellement ils sont énormes, la puissance de la jeunesse et la force des larmes […] »

La description des odeurs et des détails du quotidien replonge dans les souvenirs concrets de moments de vie partagés en famille, vécus et à jamais perdus. Raphaël Meltz donne à voir le monde des vivant·es à travers le regard d’un mort, qui a une vision différente des couleurs et un odorat décuplé. Livre bouleversant, dont le thème est la mort, mais qui parle avant tout du goût de la vie.

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Cui-Cui

Juliet Drouar
Seuil, 2025

Nous sommes en mai 2027, et dans le monde de Cui-Cui, les enfants ont le droit de vote. Cui-Cui s’apprête à voter pour la première fois : c’est un·e ado secret·e, coincé·e dans une petite ville, entre un père colérique et une mère soumise. Un mal-être semble l’envahir, à l’image de l’eczéma qui parcourt son corps. Heureusement, il y a le collège et ses amie·s, surtout Leïla. Petit à petit, Cui-Cui va se livrer à sa prof Mme Gisèle, et lui dévoiler le lourd secret qui lae ronge.

Cui-Cui, c’est l’histoire personnelle de l’éclatement d’un secret, la grande histoire fictive du droit de vote des mineur·es et une réflexion plus générale et politique sur le traitement réservé aux enfants dans notre société.

Juliet Drouar, auteur de La Culture de l’inceste en 2022, dessine dans cette dystopie audacieuse le portrait d’un·e enfant victime d’abus dans un ton à la fois drôle et dramatique, en usant d’un langage singulier et inclusif, comme une véritable volonté de parler à hauteur d’ado.

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À la Bpi, Langues et littératures, 840″20″ DROU.J 4 CU

Vos réactions
  • Bénard1234 : 21/02/2025 11:45

    Bonjour,
    Comment replacer tous mes mes favoris classés dans des dossiers thématiques sur la page d’accueil OPERA comme cela était voici deux semaines environ ?

    Merci.

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