Interview

Appartient au dossier : Le documentaire mouille le maillot

Enseigner le sport par l’image

Cinéma - Vie pratique

L'Empire de la perfection, Julien Faraut © UFO Productions, 2018

L’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (INSEP) accompagne les athlètes préparant des compétitions de haut niveau. Cette institution entretient également une relation de longue date avec le cinéma. En écho au cycle « Plus vite, plus haut, plus fort. Filmer le sport » proposé par la Cinémathèque du documentaire à la Bpi à l’automne 2019, Julien Faraut, responsable de l’iconothèque, explique comment les films ont été peu à peu intégrés dans l’entraînement des athlètes.

Qu’est-ce que l’INSEP ?

L’INSEP est un établissement sous tutelle du ministère des Sports, ouvrant ses infrastructures aux fédérations sportives qui ont besoin d’accompagnement. L’INSEP accueille notamment des athlètes qui souhaitent être sélectionnés en équipe de France et contribuer ainsi au rayonnement international du pays.

Ses origines remontent à la naissance de l’école normale de gymnastique de Joinville-le-Pont en 1852, dont la vocation était l’entraînement de militaires.
Les formations s’orientent vers le sport lorsque la pratique sportive commence à se généraliser à la fin du 19e siècle, notamment grâce à la réintroduction des Jeux olympiques en 1896. Après la Première Guerre mondiale, l’école devient un centre de préparation olympique. Elle ferme en 1939 et renaît en 1945 sous le nom d’Institut national du sport.

Quelle relation au cinéma l’INSEP entretient-il ?

Le cinéma fait partie de l’institution depuis longtemps. Georges Demenÿ, qui utilise la chronophotographie pour comprendre le geste sportif et faire évoluer les entraînements, arrive à l’école de Joinville en 1902 comme directeur du laboratoire de physiologie et y reste jusqu’en 1907. Comme Joinville est une école militaire, la naissance du service cinématographique des armées en 1915 permet également de tourner des films, notamment dans les années vingt.
Par ailleurs, Paramount disposait de studios à Joinville, tout comme Pathé, et des laboratoires de tirages de pellicule se trouvaient non loin… Ce contact a encouragé la culture de l’image à l’INSEP.

Comment les collections audiovisuelles de l’iconothèque se sont-elles constituées ?

Les films tournés à l’école de Joinville avant la Seconde Guerre mondiale ont brûlé par accident. Le fonds commence donc avec les films produits par le ministère de la Jeunesse et des Sports à partir de 1945, agrémentés des productions en interne qui ont recommencé en 1962.
En 1996, dans le sillage du centenaire de la naissance du cinéma et du plan national de sauvegarde des films, l’iconothèque est créée et une salle de stockage est construite.
Aujourd’hui, les acquisitions se poursuivent et consistent en des films argentiques déposés par les Centres régionaux de ressources, d’expertise et de performance sportive (CREPS) ou les fédérations.

Nous conservons environ 2 500 films. C’est un volume modeste ; en revanche, ces films ne sont archivés nulle part ailleurs, ni à l’Institut national de l’audiovisuel (INA) parce qu’ils ne sont pas passés à la télévision, ni aux Archives françaises du film parce qu’ils n’ont pas de visa d’exploitation pour les salles de cinéma.

Quels genres de films composent le fonds ?

Environ 60 % des films sont des films d’instruction, en général des commandes de fédérations pour former leurs pratiquants. 40 % du fonds est constitué de reportages et de captations d’événements. Ces images de championnats permettent aux athlètes de connaître ce qui se fait de mieux dans chaque discipline.

Nous avons enfin quelques « documentaires de propagande », c’est-à-dire des films d’incitation à la pratique sportive tournés après-guerre pour être diffusés en avant-programme dans les salles de cinéma. C’était une façon pour le ministère et les fédérations de promouvoir le sport à un moment de reconstruction de la nation française.

Toutes les disciplines sont représentées mais les sports olympiques majeurs comme l’athlétisme, la gymnastique ou la natation font l’objet de plus de films. Nous disposons également de 150 films sur le ski parce que l’iconothèque a accueilli les collections de l’École nationale de ski d’alpinisme de Chamonix.

Gil de Kermadec sur un cours de tennis
Gil de Kermadec à Wimbledon © Gil de Kermadec – Fédération française de tennis (DR)

Comment filmer un geste sportif ?

Selon les disciplines, les besoins sont différents. En gymnastique, la notation est très précise, une pointe de pied non tendue fait perdre quelques dixièmes de point en compétition. Quand le gymnaste réalise un mouvement, filmer son geste permet donc de corriger sa position dans le moindre détail.
En sport collectif, l’aspect technique est moins important que l’aspect tactique sur les images : il faut voir les placements de l’équipe sur le terrain en plan large, par exemple.

Ensuite, il y a des tendances. En France, l’héritage de la décomposition chronophotographique du geste s’est poursuivi et de nombreux films sont des démonstrations en studio. 
Au contraire, les Américains réalisent très tôt, dès 1946 en basket, des films d’instruction avec des images de championnats. Cela permet de montrer que le geste fonctionne dans la réalité de la compétition.

Enfin, des personnalités viennent porter des projets cinématographiques. Par exemple, le premier directeur technique national du tennis, Gil de Kermadec, pratiquait la photographie et s’est donné pour mission d’analyser le tennis par le biais des images. Gil de Kermadec commence à filmer en mettant en scène des gestes-type en gros plans, puis il s’oriente vers le portrait d’athlète.
Il défend l’idée que chaque joueur de haut niveau possède une gestuelle différente et que chacun doit s’approprier la technique en fonction de ses qualités personnelles (taille, souplesse, force…). Il refuse donc de réaliser des tutoriels impersonnels et individualise ses films d’instruction : il filme le tennis selon Martina Navrátilová, selon Björn Borg, etc. Malheureusement, cette démarche n’a pas vraiment fait école.

Malgré tout, à l’époque de la photochimie, la pratique se rapprochait du cinéma parce qu’il fallait savoir utiliser les optiques, la sensibilité, les tables de montage… Ces objets cinématographiques étranges que sont les films d’instruction sont fabriqués par de vrais opérateurs, avec des choix de cadres particuliers en fonction des disciplines et des opérateurs. Gil de Kermadec citait beaucoup Marey et Demenÿ.
Je crois que les films d’instruction sont en fait reliés à l’histoire du cinéma des origines car ils utilisent la caméra comme un outil de captation du mouvement et de la vie.

Qu’est-ce qui est filmé de nos jours à l’INSEP ?

Un service audiovisuel répond toujours aux demandes des fédérations. Les lieux d’entraînement sont eux aussi équipés de caméras. Il ne s’agit plus d’une œuvre documentaire mais d’un flux d’images. En gymnastique, les caméras tournent en permanence. Il y a même un dispositif qui ajoute dix secondes de latence entre la captation et la projection, ce qui permet à l’athlète de rejoindre la télévision pour voir son mouvement juste après l’avoir effectué.
En escrime, les caméras ont été installées mais n’ont jamais tourné, ils n’en ont pas besoin. Certaines disciplines disposeront donc de moins d’archives filmées dans le futur.

Quel impact le fait d’être au contact de ces films a-t-il sur votre démarche de réalisateur ?

Les films d’instruction sont des objets cinématographiques délaissés, alors tout un champ de création s’ouvre avec eux. Je ne réalise donc mes films qu’à partir des images sportives du fonds de l’INSEP. En général, je choisis d’abord mon matériau et c’est par rapport aux images que j’ai découvertes que je développe un sujet.

De cette manière, j’évite l’écueil principal des films sur le sport, celui de réaliser une hagiophrahie. Les réalisateurs sont souvent fans de leur sujet et ont du mal à trouver la sensibilité critique qui doit présider à toute œuvre. 
De plus, les films d’instruction sont peu inscrits dans l’histoire du cinéma et les recomposer par le biais du montage est une manière de les rendre intelligibles. Par exemple, beaucoup d’entre eux sont muets, parce que les athlètes avaient avant tout besoin de se voir, et parce que les instructeurs ne voulaient pas être dessaisis de leur voix par un film. Il y a donc une nécessité à faire parler ces images.

Retrouvez le programme complet du cycle « Plus vite, plus haut, plus fort. Filmer le sport » sur cinemathequedudocumentairebpi.fr

Publié le 07/10/2019 - CC BY-NC-SA 4.0

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