L’État et les institutions religieuses en France #3 : les lieux de culte
À qui appartiennent les lieux de culte ? Quelles sont leurs modalités de construction, de rénovation et de valorisation ? Balises se penche sur les relations entre l’État et les organisations religieuses en France, à l’occasion de la rencontre « Les institutions religieuses dans et face à l’Histoire » organisée à la Bpi en juin 2023.
La France compte environ 100 000 lieux de culte, en cours de recensement par l’Observatoire du patrimoine religieux – une association fondée en 2006 dans le but d’encourager la connaissance et la préservation de ces espaces et bâtiments. Cette estimation inclut à la fois les lieux de culte actifs et les édifices désacralisés, abandonnés ou en ruine. 90 % d’entre eux seraient liés au catholicisme.
À qui appartiennent les lieux de culte ?
La propriété d’un lieu de culte, et donc ses modalités de gestion, dépendent en grande partie de la date de construction et, de fait, de la religion concernée. Au 19e siècle, les édifices des cultes reconnus – catholique, protestant réformé, protestant luthérien, israélite – relèvent des établissements publics des cultes. La loi de séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905 prévoit ensuite un transfert de propriété vers les associations cultuelles nouvellement créées. C’est donc à ce type d’associations qu’appartiennent, aujourd’hui encore, la plupart des synagogues et temples protestants construits avant 1905 – sauf exceptions liées, notamment, au maintien du concordat en Alsace-Moselle.
L’Église catholique, en revanche, refuse de constituer de telles associations cultuelles en 1905. Les lieux de culte concernés deviennent donc, en vertu de l’article 9 de la loi de séparation, la propriété des communes, et viennent s’ajouter aux biens du clergé déjà nationalisés sous la Révolution. Les édifices religieux appartenant à une collectivité publique restent néanmoins affectés aux cultes, qui en disposent à titre gratuit, exclusif et perpétuel grâce à la loi du 2 juillet 1907.
À l’inverse, les églises catholiques bâties ou acquises après 1905 relèvent de la propriété privée. C’est également le cas de la plupart des lieux relevant des autres cultes anciennement concordataires, et de tous ceux liés aux cultes non reconnus par le concordat de 1801 – islam, bouddhisme, hindouisme, évangélisme, christianisme orthodoxe… –, quelle que soit leur date de construction ou d’acquisition. Leurs propriétaires peuvent être des associations diocésaines, culturelles ou mixtes, des groupements d’associations, des fédérations ou, plus rarement, des États étrangers.
Cette chronologie induit donc un certain déséquilibre entre les cultes : selon un rapport sénatorial sur les collectivités territoriales et le financement des lieux de culte, déposé en mars 2015, « 90 % des édifices du culte catholique sont la propriété des communes, alors que ce chiffre ne représente que 12 % pour le culte protestant, 3 % pour le culte juif, et 0 % pour le culte bouddhiste et le culte musulman. » Un autre rapport sur le patrimoine religieux des collectivités, datant de juillet 2022, estime que « plus de 40 000 des édifices cultuels qui demeurent affectés à cet objet sur le territoire français appartiennent à des collectivités publiques et non aux cultes. Il s’agit d’une particularité française. »
Les lieux de culte propriétés publiques : quelles obligations pour l’État et les communes ?
Près de 40 000 églises catholiques paroissiales appartiennent ainsi aux communes et non aux associations diocésaines, de même que 87 cathédrales propriétés de l’État ou de la Collectivité de Corse. L’Église catholique dépend donc, dans ce domaine, de l’implication des autorités publiques. Si les articles 13 et 14 de la loi de 1905 en font une possibilité plutôt qu’une obligation, les collectivités propriétaires d’édifices religieux en assument fréquemment les charges d’entretien et de rénovation. L’État et les autres collectivités peuvent également accorder aux communes des subventions pour la préservation du patrimoine bâti, en particulier lorsque celui-ci est protégé au titre des monuments historiques – ce qui est le cas d’environ 15 000 édifices cultuels en France, en grande majorité catholiques. Ces interventions publiques représentent un avantage non négligeable pour le culte catholique, même si le financement communal n’est pas toujours aisé.
L’amenuisement des ressources publiques, le manque de formation des élu·es sur ces questions et la fréquentation en berne des lieux de culte catholiques rendent souvent ces dépenses irrégulières, insuffisantes ou difficiles à justifier, alors même que la désertion et les fermetures répétées de certains édifices accélèrent leur dégradation sanitaire. Ce risque est particulièrement marqué dans les zones rurales et dans les petites et moyennes communes en dévitalisation. Les fusions de communes ou leur regroupement au sein d’établissements publics de coopération intercommunale constituent un autre facteur d’abandon de certains édifices cultuels, jugés inutilement nombreux pour une seule circonscription administrative. Le manque d’entretien peut alors conduire à la fermeture permanente de ces églises pour des raisons de sécurité, voire – plus rarement – à leur destruction.
D’autres facteurs, comme la protection au titre des monuments historiques ou l’implantation dans une zone à forte densité de population, favorisent au contraire le bon entretien des lieux de culte appartenant aux communes. Se pose alors, pour les collectivités et pour les associations bénéficiaires, la question de la valorisation patrimoniale et touristique de ces édifices, longtemps rendue délicate par le principe de l’affectation cultuelle. En effet, puisque l’affectataire dispose d’un usage exclusif et perpétuel du lieu, son propriétaire ne peut l’utiliser à sa guise – et ne peut donc, sauf exceptions, introduire un droit d’entrée. Quant à l’affectataire, il n’a le droit de l’utiliser que pour le culte.
Des initiatives comme L’Art dans les chapelles – manifestation artistique organisée depuis 1992 dans des édifices affectés au culte – montrent qu’une certaine valorisation fut toujours possible ; mais celle-ci est indéniablement facilitée par une ordonnance du 21 avril 2006, qui introduit explicitement dans le Code général de la propriété des personnes publiques une éventuelle utilisation de ces lieux de culte pour d’autres « activités compatibles avec l’affectation cultuelle ». Des visites, expositions et concerts peuvent donc y être organisés, sous réserve de l’accord de l’affectataire.
Si l’État et les collectivités publiques ont donc un rôle évident à jouer dans la gestion des édifices religieux dont ils sont propriétaires, ils peuvent aussi soutenir certains projets de construction ou de rénovation des lieux de culte appartenant à des structures privées : les églises catholiques construites après 1905 mais aussi, et surtout, les lieux relevant des autres cultes.
Les lieux de culte propriétés privées : quels soutiens des autorités publiques ?
Le principe constitutionnel de laïcité et la loi de 1905 interdisent le versement de subventions aux associations cultuelles. Une exception existe néanmoins depuis 1942, autorisant une aide publique à la conservation des lieux de culte : « Ne sont pas considérées comme subventions les sommes allouées pour réparations ainsi que pour travaux d’accessibilité aux édifices affectés au culte public, qu’ils soient ou non classés monuments historiques. » Néanmoins, cette disposition n’est pas toujours utilisée, car les associations cultuelles et les autorités représentatives des cultes n’en sollicitent pas forcément l’application.
Certaines collectivités territoriales peuvent également soutenir, indirectement, la construction ou l’aménagement de nouveaux espaces cultuels. Sur ce point, les priorités diffèrent d’un culte à l’autre. La communauté juive, par exemple, dispose d’un nombre de lieux de culte relativement adapté à son poids démographique et se concentre d’abord sur la préservation et la sécurisation des espaces existants. À l’inverse, d’autres cultes mettent en avant la nécessité de bâtir, d’acquérir ou de louer de nouveaux lieux de culte, pour disposer d’une surface en adéquation avec leur nombre de fidèles – c’est le cas du culte musulman – ou pour répondre à la croissance démographique de leur communauté – en particulier le culte orthodoxe et les Églises protestantes évangéliques. Cette expansion des cultes et de leur patrimoine immobilier touche en priorité les grandes villes et les métropoles.
À ce sujet, l’article L3231-5 du Code général des collectivités territoriales prévoit que « les départements peuvent garantir les emprunts contractés pour financer la construction, par des associations cultuelles […], d’édifices répondant à des besoins collectifs de caractère religieux. » C’est également le cas des communes, mais uniquement « dans les agglomérations en voie de développement » (article L2252-4). Cette disposition peut donc faciliter la recherche de prêts bancaires par les associations porteuses de tels projets, comme en témoigne la grande mosquée de Créteil, construite entre 2006 et 2008 avec une garantie de la commune et du département du Val-de-Marne. Néanmoins, le rapport sénatorial de 2015 souligne que ce soutien indirect est loin d’être systématique, d’autant qu’il engage la responsabilité financière de la collectivité concernée – qui devra se substituer à l’association cultuelle si celle-ci n’est pas en mesure de rembourser son emprunt.
D’autre part, une commune peut accorder un bail emphytéotique à une association cultuelle. Cette dernière dispose alors, pour une redevance modérée et une très longue durée – jusqu’à quatre-vingt-dix-neuf ans –, d’un bâtiment ou d’un terrain municipal sur lequel elle peut faire aménager ou construire, à sa charge, un édifice religieux. En Île-de-France par exemple, ce type de bail a facilité la création de centaines d’églises paroissiales depuis les années 1930 ou, plus récemment, de mosquées comme celles de Créteil ou de synagogues intégrées au Centre culturel israélite de Levallois-Perret ou au Centre européen du judaïsme à Paris. L’engagement de la commune est alors double : à court terme, elle met à disposition un bâtiment ou un terrain dont elle renonce à tirer un profit plus élevé ; à l’issue du bail, elle deviendra propriétaire de l’édifice construit par l’association cultuelle, dont elle devra donc assumer les coûts d’entretien et de rénovation, quand bien même le lieu serait mis en location – une charge de long terme pour les finances publiques, pointée par le sénateur Hervé Maurey dans son rapport de 2015. La jurisprudence a par ailleurs établi, à l’occasion d’un conflit portant sur la salle de prière intégrée à l’Institut des cultures d’islam, que ce type de bail ne pouvait être conclu qu’avec une association cultuelle au sens établi par la loi de 1905, et non avec d’autres types d’organisation intervenant, de fait, dans la gestion de certains lieux de culte. D’autre part, le recours à un bail emphytéotique n’a rien d’obligatoire pour créer des lieux de culte : ces derniers peuvent également être bâtis ou aménagés sur des terrains ou dans des bâtiments privés, et l’implication de la municipalité passe alors essentiellement par la délivrance du permis de construire et par la veille au respect des règles de sécurité et du plan local d’urbanisme.
Enfin, les collectivités territoriales peuvent subventionner la partie culturelle d’un édifice cultuel – bibliothèque, salle de cours, centre d’art, etc. La jurisprudence autorise également le financement public d’aménagements extérieurs annexes au lieu de culte : en 2011, une décision du Conseil d’État portant sur l’installation d’un ascenseur entre l’esplanade et la basilique de Fourvière a jugé légal le soutien apporté par la Ville de Lyon à la fondation propriétaire de l’édifice, dans la mesure où cet équipement « présente un intérêt public local, lié notamment à l’importance de l’édifice pour le rayonnement culturel ou le développement touristique et économique de son territoire ».
Toutefois, ces différentes formes d’implication de l’État et des collectivités territoriales ne doivent pas faire oublier que le financement des lieux de culte repose en grande partie, pour les religions minoritaires en France, sur des fonds privés : dons des fidèles, emprunts par les associations propriétaires ou locataires des lieux, entraide entre associations ou entre communautés à travers le territoire national, etc. Si des financements par des États étrangers existent, ils restent minoritaires au regard du budget total de construction ou d’aménagement des lieux de culte – comme le soulignait, dans le cas de l’islam, un rapport sénatorial de 2016. De plus, ils se concentrent souvent sur des projets d’envergure, à vocation régionale et à forte visibilité, plutôt que sur le culte de proximité – par exemple les grandes mosquées d’Évry-Courcouronnes et de Strasbourg, rachetées ou partiellement financées par le royaume du Maroc, ou les cathédrales orthodoxes de Nice et de la Sainte-Trinité à Paris, propriétés de la fédération de Russie. À ces soutiens étatiques officiellement déclarés, qui peuvent aussi porter sur le fonctionnement du lieu et sur la rémunération des ministres du culte, viennent toutefois s’ajouter les financements provenant d’acteurs privés de nationalité étrangère, plus difficiles à estimer. Les pouvoirs publics cherchent encore un équilibre entre leur volonté de mieux identifier ces mouvements financiers, leur obligation laïque de neutralité vis-à-vis de toutes les religions, et leur devoir de garantie du libre exercice des cultes, qui passe par l’existence de lieux adéquats.
La Gazette des communes consacre un dossier de six pages au financement des édifices cultuels, en se penchant à la fois sur la gestion du patrimoine immobilier existant, en particulier catholique, et sur le positionnement des communes face à la construction de nouveaux lieux de culte.
Le site Internet Vie-publique.fr répond ici à quelques interrogations relatives à l’implication des communes dans la gestion des édifices cultuels : qu’est-ce que le patrimoine religieux ? En quoi concerne-t-il les communes ? Quelles dépenses sont alors engagées ? Une commune peut-elle valoriser, vendre ou démolir un tel édifice ?
Établi par le sénateur Hervé Maurey (groupe Union centriste) à l’initiative de la délégation aux collectivités territoriales du Sénat, ce rapport dresse un état des lieux de l’implantation et des besoins de financement des édifices cultuels en France, avant de se pencher sur le statut juridique des lieux de culte et sur les formes de soutien que peuvent proposer les collectivités territoriales. Il formule également plusieurs recommandations.
Ce rapport a été réalisé par les sénateur·rices Pierre Ouzoulias (groupe Communiste, républicain, citoyen et écologiste) et Anne Ventalon (apparentée au groupe Les Républicains) au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat. Il interroge l’état du patrimoine religieux, les risques pesant sur sa conservation et les moyens à mettre en œuvre, en s’intéressant plus particulièrement aux lieux de culte appartenant aux communes, qui sont dans leur immense majorité des édifices catholiques.
Ministère de l'Intérieur
La Documentation française, 2016
Ce guide proposé par le ministère de l’Intérieur vise à faciliter l’édification et la gestion des lieux de culte. Il s’adresse à la fois aux porteur·ses de projet (associations cultuelles, représentant·es des cultes…) et à leurs interlocuteur·rices institutionnel·les (élu·es, services techniques territoriaux…).
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