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Farid Belkahia en trois œuvres

Farid Belkahia n’a eu de cesse de mêler les arts traditionnels et la recherche picturale moderne. Il est aujourd’hui le plus célèbre représentant de l’art moderne marocain et, plus largement, du monde arabe. Michel Gauthier, conservateur au Musée national d’art moderne et commissaire de l’exposition, commente trois œuvres emblématiques de l’artiste, présentes dans l’exposition du Centre Pompidou, de mai à juillet 2021.

Couple, 1962

Couple
Farid Balkahia, Couple, 1962, peinture sur papier contrecollé sur bois, 127,5 x 75 cm, Collection privée © Adagp, Paris 2021. Ph © Fouad Maazouz

Farid Belkahia n’entend pas être un peintre marocain de la nouvelle École de Paris. Après avoir étudié aux Beaux-Arts de Paris à partir de 1955, il part en 1959 étudier la scénographie théâtrale à Prague, pour prendre ses distances avec un enseignement encore très académique et, plus globalement, avec l’esthétique française. Il y demeure jusqu’en 1962, avant de rentrer au Maroc.

C’est sur les rives de la Vltava que ses premières grandes œuvres voient le jour. Le style expressionniste qui était le sien depuis les débuts y évolue dans plusieurs directions. Dans l’une d’elles apparaît le thème de l’accouplement. Il s’incarne dans une forme sensuelle et ondulatoire qui annonce le style de la future École de Casablanca, dont il sera l’un des protagonistes. Ce thème restera au cœur de toute l’œuvre de Belkahia où les formes du désir se confondent constamment avec le désir des formes.

Sans titre, 1966-67

œuvre a base de cuivre
Farid Belkahia, Sans titre, 1966-1967, Cuivre, 134,4 x 119,5 cm, Mathaf : Arab Museum of Modern Art, Doha © ADAGP, Paris, 2021 Courtesy Mathaf : Arab Museum of Modern Art, Doha

Belkahia est nommé à la tête de l’École des Beaux-Arts de Casablanca à son retour au Maroc en 1962. En compagnie notamment de Mohamed Chabâa et Mohamed Melehi, il y révolutionne l’enseignement artistique en mettant en relation la création contemporaine et l’artisanat traditionnel : peintures de plafond de mosquée, orfèvrerie ou tapis berbères. Au même moment, il abandonne la peinture au profit du cuivre, matériau hautement inscrit dans la tradition artisanale locale.

Ce sont des œuvres sur cuivre comme celle-ci qu’il montre lors de l’exposition « Présence plastique » sur la place Jemaa el-Fna de Marrakech en 1969, manifestation fondatrice de la modernité marocaine. Ces bas-reliefs en cuivre donnent corps aux formes ovoïdes et ondulantes ainsi qu’au jeu du positif et du négatif propres au style de l’École de Casablanca. Malgré une réception pour le moins mitigée, Belkahia, pour qui « le choix du cuivre est d’abord un acte de résistance à la colonisation », ne renoncera pas et ne reviendra pas à la peinture.

Hommage à Gaston Bachelard, 1984

formes abstraites peintes sur une peau
Farid Belkahia, Hommage à Gaston Bachelard, 1984, teinture sur peau montée sur bois, 320 x 296 cm, Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne © Adagp, Paris 2021. Ph © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Philippe Migeat/Dist. RMN-GP

Au milieu des années soixante-dix, après avoir quitté l’École des Beaux-Arts de Casablanca, Belkahia radicalise encore sa pratique en choisissant la peau de chèvre comme matériau, convoquant ainsi l’héritage d’une culture matérielle ancestrale. Outre sa dimension vernaculaire, la peau possède un caractère organique adapté à une poétique de la fécondation et de l’engendrement. La couleur fait son retour, grâce à l’emploi de pigments naturels. Par leurs formes, mais également par l’alphabet de signes tatoué à leur surface, ces peaux montées sur bois témoignent d’un imaginaire de la tension et de l’attraction qui unit érotisme et spiritualité.

Invoquant Bachelard et les archétypes de la rêverie poétique, l’œuvre joue avec une symbolique conjuguant les quatre éléments. La terre est ici en feu : une éruption se prépare, à l’évidente dimension sexuelle. Quant à l’eau et à l’air, un nuage les associe, prêt à recevoir une semence constituée d’un alphabet de formes géométriques élémentaires. Avec son arc solaire polychrome, cette œuvre présente aussi un thème cardinal chez Belkahia : l’aube, le matin des formes.


Farid Belkahia en quelques dates-clés

1934 : Naissance de Farid Belkahia à Marrakech.

1955-1959 : Étudie à l’École des Beaux-Arts de Paris.

1959-1962 : Suit les cours de scénographie à l’Académie de théâtre de Prague.

1962 : Est nommé à la direction de l’École des Beaux-Arts de Casablanca.

1963 : Première exposition internationale d’art contemporain à Rabat. 

1966 : Expose ses premiers cuivres, qui font scandale.

1969 : Initie une première expérience d’art dans la rue à Marrakech.

1974 : Démissionne de l’École des Beaux-Arts de Casablanca. Part s’installer au Portugal. Commence à travailler la peau.

1986 : Exposition à la Maison des cultures du Havre.

1995 : Représente le monde arabe lors de l’exposition-anniversaire des Nations unies à Genève.

2011 : Une salle lui est consacrée au Mathaf, musée d’art contemporain au Qatar.

2014 : Mort de Farid Belkahia à Marrakech.

2015 : Inauguration de la Fondation Farid Belkahia et d’un musée au sein de sa propriété à Marrakech, fondée et présidée par son épouse Rajae Benchemsi.

Publié le 17/05/2021 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

La Fondation Farid Belkahia

Cette fondation, créé par la veuve de Farid Belkahia, vise à perpétuer le rayonnement de l’œuvre de l’artiste décédé en 2014. La fondation soutien également la création avec le prix d’excellence pour les maîtres artisans et un prix d’encouragement pour les jeunes peintres marocains.

Farid Belkahia et l'École des beaux-arts de Casablanca, 1962-1974

Brahim Alaoui et Rajae Benchemsi (dir.)
Fondation Farid Belkahia / Skira, 2020

À la Bpi, niveau 3, 70″19″ BELK 2

Farid Belkahia

Rajae Benchemsi, Jacques Leenhardt et Salah Stétié
Institut du monde arabe, 2005

 Catalogue de l’exposition organisée par l’Institut du monde arabe, à Paris, du 24 mai au 17 juillet 2005.

À la Bpi, niveau 3, 70″19″ BELK 2

Farid Belkahia : procession

Rajae Benchemsi
Climats, 1996

À la Bpi, niveau 3, 70″19″ BELK 2

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