Sélection

Appartient au dossier : Cinéma du réel 2022

6 documentaires africains incontournables

De l’Égypte au Niger en passant par le Sénégal, des réalisateurs comme Safi Faye, Med Hondo, Atteyat Al Abnoudy ou Brahim Tsaki se sont emparés du genre documentaire, construisant un patrimoine cinématographique aux accents formalistes et politiques. Balises vous présente six films qui ont marqué l’histoire du documentaire en Afrique, alors que Cinéma du réel propose en 2022 une programmation autour de dix figures tutélaires du cinéma africain.

Publié le 28/02/2022 - CC BY-SA 4.0

Cabascabo, d’Oumarou Ganda | Niger, 1969, 45 minutes

Né au Niger, Oumarou Ganda (1935-1981) rencontre le cinéma à Abidjan (Côte d’Ivoire) à la fin des années cinquante : il interprète l’un des premiers rôles du film Moi, un Noir (1959) du réalisateur et ethnologue français Jean Rouch. Il intègre ensuite le groupe Culture et Cinéma de Niamey (Niger) et réalise plusieurs films qui reflètent sa conception du cinéma comme source de loisir et d’éducation. Ses moyens-métrages et longs-métrages révèlent aussi un intérêt pour les problèmes et rapports sociaux du quotidien : il évoque tour à tour la polygamie et les relations de pouvoir (Le Wazzou polygame, 1970), l’adultère et les traditions (Saïtane, 1973), l’amour et le poids de la parole donnée (L’Exilé, 1980). Ce dernier film mobilise par ailleurs le conte traditionnel comme source d’inspiration, un aspect qui sera ensuite repris par d’autres cinéastes africains.

Pour Cabascabo (1969), son premier film, Oumarou Ganda s’inspire de sa propre expérience au sein du corps expéditionnaire français en Indochine pour évoquer le retour au pays d’un tirailleur nigérien, qui dilapide sa prime de démobilisation dans les fêtes, l’alcool et les cadeaux aux amis opportunistes. La porosité entre réalité et fiction fait ici écho au film de Jean Rouch, tandis que la simplicité du noir et blanc et l’attention portée à la vie de tous les jours, dans le scénario comme dans les cadrages, annoncent la suite de l’œuvre d’Oumarou Ganda. Ce moyen-métrage dont il est à la fois auteur, réalisateur et interprète est sélectionné pour la Semaine de la critique du Festival de Cannes en 1969 et récompensé par plusieurs prix et mentions dans d’autres festivals internationaux.

Sambizanga, de Sarah Maldoror | Angola, République du Congo, France, 1972, 1h42

Sarah Maldoror, de son vrai nom Marguerite Sarah Ducados, est une cinéaste française née en 1929 et morte en 2020. D’abord actrice, reçue à l’école de la rue Blanche, elle est cofondatrice en 1958 de la première compagnie de théâtre française composée exclusivement de comédiens noirs, Les Griots, créée afin de s’affranchir des rôles stéréotypés et de mettre en valeur la littérature africaine et antillaise. Sarah Maldoror part ensuite deux ans à Moscou pour étudier le cinéma au VGIK. Elle est la compagne de Mario de Andrade, fondateur et premier président du Mouvement pour la libération de l’Angola (MPLA). Ensemble, ils fréquentent poètes et écrivains noirs et coécrivent plusieurs scénarios, dont celui de Sambizanga.

En 1969, son premier court-métrage de fiction, Monangambee, est basé sur un roman de l’écrivain angolais Luandino Vieira, alors emprisonné par le pouvoir colonial portugais. En évoquant la torture par l’armée portugaise d’un sympathisant de la résistance angolaise, la cinéaste commence à porter son regard sur les guerres de décolonisation africaines. Son œuvre, politique et poétique, se déploie ensuite dans plus de quarante films de fiction et de documentaires, portant autant sur les luttes de libération africaines que sur des poètes et des peintres. De fin 2021 à mars 2022, le Palais de Tokyo lui consacre une exposition rétrospective.

Sambizanga est une fiction basée sur des faits réels. Tourné en République du Congo d’après un roman de José Luandino Vieira, le film se déroule en 1961, au début de la guerre d’indépendance de l’Angola. Sambizanga suit d’abord Domingos Xavier, ouvrier sur les chantiers et militant révolutionnaire, qui rentre dans son village après une journée de travail. Après que Domingos Xavier est arrêté chez lui en pleine nuit, le récit est porté par Maria, son épouse. Alors que lui est emprisonné et torturé par l’armée portugaise, elle part à sa recherche.

Filmant les corps d’assez près, dans un noir et blanc sobre et des cadres composés, Sambizanga décrit avec humanité la répression du MPLA. Tourné avec des acteurs réels de la lutte, le film est réalisé alors que l’indépendance de l’Angola n’a pas encore été proclamée (la guerre se termine en 1975). Il acquiert ainsi une forte portée militante, amplifiée par les prix reçus en 1972 aux Journées cinématographiques de Carthage et en 1973 à la Berlinale.

Les Bicots-nègres, vos voisins, de Med Hondo | France, Mauritanie, 1973, 1h42

Med Hondo (1936-2019) est un acteur, réalisateur, scénariste et producteur francomauritanien, né en Mauritanie et vivant en France à partir de 1959. Il poursuit une carrière d’acteur avec succès tout au long de sa vie, notamment au théâtre et dans le doublage, mais devient également scénariste et réalisateur dans le courant des années soixante. De 1965 à 1969, il écrit et réalise Soleil Ô, sur la condition des ouvriers immigrés. Le documentaire, anticolonialiste, remporte plusieurs prix en festivals en même temps qu’il est interdit dans plusieurs pays. Med Hondo réalise toute sa vie des films s’érigeant contre le colonialisme et pour la liberté des peuples, mettant ses expérimentations formelles au service de son engagement politique. En 1977, Nous aurons toute la mort pour dormir évoque la lutte pour l’indépendance du Sahara oriental. En 1979, le docu-fiction West Indies ou les Nègres marrons de la liberté raconte l’histoire du peuple antillais, du 17e au 20e siècle, en s’appropriant le genre de la comédie musicale pour raconter les mouvements de population liés à la traite négrière, à la colonisation et à la misère.Les fictions réalisées par Med Hondo, comme Lumière noire (1994) et Watani, un monde sans mal (1998) ont elles aussi une forte portée sociale, parlant de racisme, de chômage, de bavures policières et de lutte des sans-papiers. Les films de Med Hondo sont conservés dans la Collection Ciné-Archives, le Fonds audiovisuel du Parti communiste français et du mouvement ouvrier.

Les Bicots-nègres, vos voisins prend la forme d’une série de saynètes qui soulignent le poids du colonialisme français sur le sort des travailleurs immigrés africains. L’esthétique du collage visuel et sonore, qui rappelle les ciné-tracts et les vidéos politiques du début des années soixante-dix, sert un propos ouvertement politique qui est aussi une réflexion sur le cinéma. Dans une longue introduction, l’acteur Bachir Touré discourt de manière burlesque sur la représentation de l’Afrique au cinéma. Puis, c’est un cours de géographie marxiste qui est proposé pour évoquer la circulation de la main-d’œuvre entre l’Afrique et l’Europe. Ensuite, une saynète satirique de fiction voit s’entretenir plusieurs riches hommes blancs d’âge mûr sur le sort des travailleurs et de pays aux noms à peine imaginaires, dans le jardin luxuriant d’une maison coloniale. Témoignages, discours, manifestations… les régimes d’images s’entrechoquent pour faire émerger, souvent par l’humour, la violence et l’absurdité d’une situation sociale directement liée à l’histoire coloniale.

Fad'jal, de Safi Faye | Sénégal, 1979, 1h48

Safi Faye (née en 1943), est une anthropologue, ethnologue et réalisatrice sénégalaise. Alors qu’elle exerce comme institutrice à Dakar, elle rencontre Jean Rouch qui la fera tourner dans son film Petit à petit (1971). Elle part ensuite étudier l’ethnologie en France, puis le cinéma. Première Africaine à entrer à l’École nationale de photographie et cinématographie de la rue de Vaugirard (actuelle ENS Louis-Lumière), elle réalise en 1972 un court-métrage, La Passante, considéré comme le premier film réalisé par une femme d’Afrique subsaharienne. En 1975, elle tourne Kaddu Beykat (Lettre paysanne), un documentaire sur le monde rural, son sujet d’élection. Elle réalise ensuite des docu-fictions, des documentaires qui rejouent la réalité. En 1996, sort Mossane, son premier film de fiction.

Fad’jal raconte la vie dans un village sérère à travers le récit qu’en fait l’ancêtre aux enfants, sous un monumental fromager. Les premières images sont tournées à l’école où l’on enseigne en français l’histoire de France. Ensuite, à part pour lire et commenter un texte officiel, ou pour les rares et sobres interventions en voice-over de la cinéaste, les dialogues sont en wolof. Les scènes de vie au village se succèdent, entre travaux ruraux, rituels et vie quotidienne. « Un jeune Sérère doit savoir danser, travailler et lutter » dit Safi Faye. On pourrait ajouter « aimer » à cette liste tant les rapports entre les personnes sont forts et touchants. Les gros plans sur les sujets en action ou en paroles les mettent en valeur. Les plans larges et fixes saisissent la variété des paysages et des activités des villageois. Safi Faye s’affirme paysanne et pense que l’agriculture est la véritable richesse de l’Afrique. 

Les Enfants du vent, de Brahim Tsaki | Algérie, 1981, 1h10

Brahim Tsaki, né en 1946 à Sidi Bel Abbès, se forme d’abord à l’École d’art dramatique d’Alger puis à l’Institut des arts de diffusion (IAD) en Belgique. Il restera un réalisateur rare dans le paysage du cinéma algérien, en ne tournant que quatre films au cours de sa carrière (Les Enfants du vent, 1981 ; Histoire d’une rencontre, 1983 ; Les Enfants des néons, 1990 ; Ayrouwen, 2006). Dans l’Algérie encore fortement militarisée et marquée par le socialisme d’après l’indépendance, le cinéma de Brahim Tsaki se tourne résolument vers les individus, leur subjectivité et leurs aspirations. Les enfants ou adolescents y occupent les premiers rôles et se trouvent en proie à un monde adulte indifférent et hostile, ou à l’incommunicabilité : de fait, les paroles sont rares dans ses films, qui tirent de l’image leur force poétique. 

Dans Les Enfants du vent, son premier long-métrage, Brahil Tsaki filme avec tendresse et mélancolie trois histoires d’enfants, dans l’Algérie du début des années quatre-vingt. Les trois films réunis dans ce triptyque se font écho en donnant à voir la solitude et la désillusion de ces jeunes personnages aux prises avec une société triste et aliénante. La rêverie et le jeu ne sont pourtant pas absents, et les enfants tentent malgré les obstacles de trouver une forme d’évasion, au-delà de la morosité quotidienne. Prix de la Critique à Venise en 1981, le filme marque, comme la suite de son œuvre, par sa sensibilité et ses qualités esthétiques.

Permissible Dreams (Al-Ahlam al-Mumkinna), d’Atteyat Al Abnoudy | Égypte, 1983, 31 minutes

Atteyat Al Abnoudy (1939-2018) est une réalisatrice et productrice égyptienne, formée au Caire et à Londres. Figure du cinéma documentaire en Égypte, elle donne à voir les inégalités socio-économiques, et plus particulièrement le sort des plus pauvres et des marginaux dans l’Égypte post-révolutionnaire, ce qui attire l’attention de la censure. Ses films sont donc rarement diffusés dans son pays, bien que reconnus à l’international. Elle est également l’une des premières femmes égyptiennes à s’engager dans la production audiovisuelle : une forme de soutien à l’indépendance des cinéastes dans leur choix de thématiques et leur processus créatif.

Plusieurs de ses films interrogent la condition féminine en Égypte. Dans Permissible Dreams (1983), Atteyat Al Abnoudy documente la vie d’Oum Said, une paysanne vivant avec mari et enfants dans un village proche du canal de Suez. Elle filme les gestes du quotidien (les soins aux animaux, le lavage des vêtements, le pétrissage du pain, etc.) et recueille la parole d’Oum Said qui, face à la caméra, évoque son mariage, la fuite de sa famille durant la guerre des Six Jours, leurs difficultés économiques, et surtout sa condition de femme et ses rêves pour ses enfants. À ce titre, ce film est représentatif de l’œuvre d’Atteyat Al Abnoudy, qui met en lumière, dans des documentaires empreints de respect et de sobriété, la force et l’individualité des Égyptiens oubliés des écrans et discours officiels.

 

Rédiger un commentaire

Les champs signalés avec une étoile (*) sont obligatoires

Réagissez sur le sujet