Sélection

Gabrielle Piquet en 5 BD

Depuis sa première bande dessinée en 2007, adaptée de nouvelles de Tonino Benacquista, à La Mécanique du Sage, récompensée par le Prix de l’audace au festival d’Angoulême 2021, Gabrielle Piquet développe un style précis et délicat au service d’histoires émouvantes et subtiles.

Balises vous propose de découvrir cinq bandes dessinées de Gabrielle Piquet, à l’occasion du jeudi de la BD qui lui est consacré en mai 2021 à la Bpi.

Publié le 26/04/2021 - CC BY-NC-SA 4.0

La Mécanique du sage

Gabrielle Piquet
Atrabile, 2020

« Charles Hamilton a tout pour être heureux. Seulement voilà : il n’y arrive pas. » Ainsi commence ce récit qui conte la recherche du bonheur d’un jeune aristocrate cyclotomique. Passant ses journées entre fêtes orgiaques et abattements mélancoliques, Charles Hamilton trouve néanmoins le temps de tomber amoureux et de devenir papa d’une petite fille. Mais cela aussi s’avère finalement bien décevant. Il se lance alors dans les tentatives les plus farfelues pour remédier à son mal. Recherchant dans l’ascèse un remède définitif, il se met en quête de livres et de modèles, jusqu’à louer les services d’un « ermite ornemental » ! Sa fille, délaissée par ce père trop changeant, cherche de son côté à être heureuse… 

Ce récit, tout en nuances, ironise doucement sur la quête du bonheur qui, à force de devenir obsédante, nous mène d’impasse en impasse. L’histoire est servie par un style graphique rétro, dans lequel Gabrielle Piquet excelle. Dessinant personnages et décors avec un grand souci du détail, elle révèle toute la richesse d’un univers foisonnant et amusant… qui laisse paradoxalement son anti-héros indifférent. 

À la Bpi, niveau 1, RG PIQ M

La Nuit du Misothrope

Gabrielle Piquet
Atrabile, 2017

La nuit du 4 août, quelques personnes disparaissent inexplicablement dans une petite ville américaine. La peur gagne les habitants qui se perdent en conjectures sur les raisons de ces disparitions. Josepha les croit liées à l’invisibilité qui pèse sur certains : les citoyens discrets, exclus, en marge semblent frappés d’abord. Mais à qui imputer ces évanouissements mystérieux ? Peut-être à un « misothrope », personnage mauvais et solitaire, qui s’emparerait des invisibles… Josepha en vient même à soupçonner son frère, qui a tout du misanthrope, alors qu’elle-même n’est qu’empathie et générosité.

Derrière ce récit énigmatique, Gabrielle Piquet livre une fable sur ce qui nous lie les uns aux autres. Quelles relations sont tissées entre les habitants d’une commune ? Comment expliquer l’absence de liens qui semble détruire les autres et qui en vient à produire ce malfaisant « misothrope » ? Dans un style graphique qui rappelle Will Eisner et les grands illustrateurs des années cinquante, Gabrielle Piquet croque avec délicatesse ce quartier et ses habitants.

Arnold et Rose

Gabrielle Piquet
Casterman, 2012

Arnold et Rose grandissent dans un village de montagne au début du 20e siècle, où la religion, la morale et l’éducation rigide laissent peu de place aux enfants rêveurs. Arnold, victime d’une grave maladie dont il réchappe, est élevé par un père exigeant, à l’autorité duquel il se conforme sans révolte. Rejeté par les autres enfants à cause de sa différence, il développe une ambition sans faille : « Je serai mieux qu’un homme, je serai un poète… » Il fait la connaissance de Rose, fillette rebelle et rêveuse qui a perdu sa mère et dont le père s’occupe peu. Résolument athée, elle refuse d’entrer dans les ordres et décide de suivre Arnold à la ville.

Ils découvrent à deux la vie urbaine d’après-guerre, entre les bâtiments en ruine et la vie culturelle foisonnante des années vingt. Avant de s’éloigner peu à peu, Arnold cherche sans y parvenir à se faire un nom dans les cercles intellectuels mondains, tandis que Rose poursuit son propre chemin auprès d’un vieux et sage peintre. Leurs voies ne vont cesser de s’éloigner lorsque Rose entrera dans le monde artistique libertaire des Années folles et qu’Arnold fera la connaissance des groupes fascistes naissants.

Cette bande dessinée enchevêtre tout en délicatesse la petite histoire et la grande, avec un trait noir et blanc capable tout à la fois de planter un décor champêtre enchanteur, un paysage de ville dévastée et des individualités fortes qui grandissent et évoluent dans ces décors.

Les Enfants de l'envie

Gabrielle Piquet
Casterman, 2010

Première bande dessinée dont Gabrielle Piquet signe à la fois l’histoire et le dessin, Les Enfants de l’envie raconte avec sensibilité une histoire passionnante qui se passe dans le Nord, à Laon, dont se dessine en toile de fond le patrimoine architectural classé. En contrepoint de ces bâtiments anciens, Basile peint, de manière obsessionnelle, les buildings new-yorkais. On entre progressivement dans l’intimité de ce peintre déclassé, qui a quitté Paris et le monde de l’art pour retourner vivre chez sa mère à Laon, et subir son obsession à elle pour le piano et la star locale, Raoul Duboc. Enfermés dans leurs solitudes et leurs manies, Basile et sa mère parlent peu du passé. Basile sait seulement qu’il est le fils d’un Américain de passage, Henry, qui n’a plus donné signe de vie.

À travers ce récit intime, l’autrice nous plonge dans l’histoire de ces bases américaines installées en France après la guerre, et les bouleversements induits sur les populations locales à leur arrivée (séduction et fascination pour la culture et le mode de vie américains, création d’emplois et essor de la consommation de masse), jusqu’à leur départ au milieu des années soixante (chômage et désenchantement).

Gabrielle Piquet offre à cette fascinante histoire un écrin à sa mesure, avec des décors d’une grande précision encadrant des personnages vivants et mouvants. L’articulation du dessin, des dialogues et de l’histoire, tout en fluidité, apporte un réel plaisir de lecture en plus de la poésie de l’ensemble.

Trois fois un

Gabrielle Piquet
Futuropolis, 2007

Cette adaptation en BD de nouvelles de Tonino Benacquista est la première œuvre de Gabrielle Piquet. On y trouve déjà son goût pour les décors urbains, qui ouvrent chaque nouvelle en plan large, d’un trait de plume noir très soucieux du détail, qui rappelle les architectures fourmillantes d’un Sempé. Puis apparaissent des silhouettes, floues d’abord, puis plus définies, avant que le plan se fixe sur le personnage central de l’histoire.

Dans la première, un jeune homme rentre de Budapest pour se rendre au chevet de son oncle mourant, dont la dernière volonté sera d’être enterré à côté de la volière. À charge pour le neveu de mener l’enquête afin de découvrir la nature de cette mystérieuse volière, et du même coup, de mettre à jour une belle histoire d’amour. La seconde histoire, à la manière d’un film d’action, raconte la journée rocambolesque d’un jeune journaliste persuadé que sa vie est sur le point de changer. Sauver un prisonnier politique, retrouver la femme de ses rêves et interviewer une star de cinéma internationale : il refuse de choisir et n’aura rien des trois. La dernière nouvelle, plus courte, esquisse en quelques pages l’histoire d’un petit garçon surdoué qui s’imagine être Dieu, pour échapper à la solitude que lui impose sa condition.

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