De nombreux termes désignent les pratiques et les attitudes qui font de la domination masculine un rouage encore incontournable de nombreuses sociétés. Balises vous donne quelques définitions pour accompagner le cycle « Le féminisme n’a jamais tué personne », qui se tient début 2021 à la Bpi.
Mettre un mot sur un comportement ou une pratique sexiste rend cette attitude visible. En définissant une inégalité, un mot la désigne comme telle. Il montre qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé, qu’elle fait système. Un mot permet également de retracer l’histoire d’une pratique et de montrer qu’il s’agit d’une construstruction socio-culturelle. En circonscrivant un comportement problématique, le mot permet enfin de réfléchir aux moyens de lutter pour s’en affranchir.
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Cette notion, élaborée par la féministe américaine Susan Faludi, signifie en français « retour de bâton ». Dans son ouvrage Backlash : la guerre froide contre les femmes, paru initialement en 1991, elle développe l’idée que les avancées féministes obtenues durant les années soixante-dix ont entraîné une réaction conservatrice lors de la décennie suivante, remettant en cause les acquis des luttes féministes. Ce ressac est favorisé par la diffusion d’idées anti-féministes dans les médias et la culture populaire. Elle se traduit notamment par l’interruption de la recherche sur la contraception durant les années quatre-vingt aux États-Unis.
Cette analyse resterait valable aujourd’hui encore, au lendemain de la vague #MeToo, comme l’illustre la tribune défendant « la liberté d’importuner » publiée dans le journal Le Monde du 9 janvier 2018.
Historiquement, les boys’ clubs sont des lieux apparus à la fin du 19e siècle en Angleterre pour permettre aux hommes riches, blancs et fortunés, issus des écoles privées du pays, de se retrouver entre eux en dehors de l’espace domestique.
Le principe se perpétue par le biais des fraternités non mixtes, au sein des universités américaines par exemple, jusqu’à ce que le terme inclut les réseaux informels, souvent exclusivement masculins et socialement homogènes, dont les membres sont choisis par cooptation afin de s’entraider. Ce dispositif a priori solidaire s’appuie sur une logique de ségrégation et d’exclusion : le boys’ club permet de développer le pouvoir de ses membres au détriment de ceux qui n’en font pas partie, en particulier les femmes, mais aussi les personnes homosexuelles, racisées, ou issues d’autres milieux sociaux.
La Ligue du LOL, groupe Facebook privé créé par le journaliste Vincent Glad, très actif entre 2009 et 2012 et dont les agissements ont été dénoncés début 2019 sur Twitter, puis dans un article de Libération, est emblématique du fonctionnement des boys’ clubs. La Ligue du LOL regroupait une trentaine de personnes, pour la plupart des hommes, qui, sous couvert d’humour, ont coordonné sur Internet des campagnes de dénigrement et de harcèlement à l’encontre de femmes, de militants féministes et antiracistes, d’homosexuels, de personnes racisées, grosses ou en dehors des normes de la masculinité dominante. De nombreux membres de la Ligue du LOL occupaient à l’époque des postes à responsabilités au sein de journaux comme Slate, Les Inrockuptibles ou Libération, d’agences de communication ou de publicité.
Un épisode du podcast Les Couilles sur la table décrypte la logique de domination masculine que suscite l’entre-soi du boys’ club, mais aussi les normes de virilité et de masculinité permettant le développement de ces réseaux de socialisation masculins qui structurent de nombreuses sociétés.
Le bropropriating désigne une situation dans laquelle un homme s’approprie les idées d’une femme, consciemment ou non. Le terme a été employé pour la première fois en 2015 par Jessica Bennett, journaliste au Time. Cette situation est courante dans le monde du travail et va souvent de pair avec le « manterrupting ». L’homme ne laisse pas sa collaboratrice s’exprimer et reprend à son compte l’idée qu’elle tentait de formuler. De plus la parole de la femme ou son travail sont moins pris au sérieux, ce qui accorde à ses collaborateurs plus de crédit.
La charge mentale désigne la charge cognitive que représente la gestion quotidienne du foyer. Le terme ne renvoie pas à la réalisation de tâches domestiques, mais au fait d’anticiper et de coordonner la réalisation de ces activités. Si la répartition de la charge mentale varie en fonction de la situation familiale, professionnelle et économique, elle incombe encore aujourd’hui majoritairement aux femmes au sein des couples hétérosexuels. Non seulement les femmes continuent à effectuer plus de tâches ménagères que leurs conjoints, mais elles assument davantage la responsabilité de la bonne tenue et du fonctionnement du foyer.
Cette inégale répartition des rôles constitue une forme d’oppression insidieuse car les hommes se déchargent d’une responsabilité sur leur compagne et attendent d’elles une performance spécifique, un travail invisible, chronophage et anxiogène. Le concept de « charge mentale » a été forgé en sociologie dans les années quatre-vingt, mais il a été largement popularisé en France en 2017 grâce à la bande dessinée Fallait demander, d’Emma.
La charge émotionnelle consiste à se sentir responsable du confort émotionnel de son entourage professionnel, amical et familial, bien souvent au détriment du sien propre. Si le travail émotionnel fait partie sans distinction de genre de nombreux métiers qui supposent des interactions sociales (les métiers du care étant néanmoins principalement occupés par des femmes), la charge émotionnelle, elle, est principalement supportée par les femmes, et particulièrement inégalement répartie au sein des couples hétérosexuels.
Dans ce contexte, la charge émotionnelle consiste à prévenir les besoins et les désirs de son conjoint et à minimiser les siens propres pour ne pas les lui faire supporter. La charge émotionnelle s’étend donc à tous les domaines de la vie conjugale, comme la santé, les loisirs ou la vie sexuelle. Porter la charge émotionnelle du couple suppose plus largement pour les femmes d’endosser la responsabilité du lien affectif sur lequel se fonde la vie conjugale, sans recevoir en retour de la part de leur compagnon l’attention nécessaire à leur bien-être ou à la persistance de leurs propres sentiments. La dessinatrice Emma a illustré de nombreux aspects de cette logique de domination masculine dans son blog Le Pouvoir de l’amour en 2018.
Le concept de « culture du viol » désigne un ensemble de comportements et de discours, très répandus et socialement acceptés, qui minimisent, banalisent, voire encouragent les violences sexuelles. Des études anthropologiques démontrent qu’il existe des sociétés sans viol et d’autres enclines au viol, dont font partie les sociétés occidentales. Par exemple, en France, alors qu’environ 16 % des femmes ont subi au moins un viol ou une tentative de viol au cours de leur vie, ce qui s’apparente à un véritable phénomène de société reste largement ignoré.
La culture du viol se manifeste à travers des stéréotypes sexistes qui font porter sur la victime la responsabilité des agressions sexuelles (jupes trop courtes, sorties nocturnes, mauvaises fréquentations…). Le non-consentement est ainsi mis en doute et le traumatisme minimisé. De nombreuses situations de viol sont niées : par exemple, les viols par le conjoint ou une connaissance, qui sont pourtant les cas les plus fréquents. Parallèlement, les stéréotypes masculins excusent ou valorisent les comportements violents et les propos insultants au nom de la « séduction » ou du « désir ».
La sexualité hétérosexuelle reste ainsi largement considérée comme un rapport de domination de l’homme sur la femme dont la violence ne peut être exclue, tandis que la nécessité du consentement est dénoncée comme un nouveau puritanisme.
Ce concept sociologique analyse le déni ou la minimisation systématique de la contribution des femmes scientifiques à la recherche. Ce phénomène d’invisibilisation a été théorisé en 1993 par l’historienne des sciences Margaret Rossiter, en référence à Matilda Joslyn Gage, une militante féministe américaine qui avait dénoncé, dès le 19e siècle, « la tendance des hommes à s’attribuer les inventions technologiques des femmes ».
Margaret Rossiter fait remonter sa théorie au 12e siècle avec la femme médecin Trotula de Salerne, dont les ouvrages de référence sur la santé des femmes ont souvent été attribués à des hommes en raison de leur qualité intellectuelle. Parmi les oubliées de la science, on peut également citer Nettie Stevens, qui a identifié les caractères chromosomiques XY, Rosalind Franklin, découvreuse de la structure à double hélice de l’ADN, Marthe Gautier, qui a décelé le chromosome surnuméraire à l’origine de la Trisomie 21.
Cet effacement au profit d’une postérité toute masculine s’illustre par un chiffre : les femmes représentent seulement 3 % des lauréats du prix Nobel en sciences. Au-delà du monde de la recherche, l’effet Matilda concerne tous les domaines, artistiques, littéraires ou sportifs, et contribue à nourrir un sexisme institutionnalisé.
Un féminicide est le meurtre d’une personne de sexe féminin en raison de son sexe.
Le terme apparaît au 19e siècle dans la langue française. Dans les années soixante, en Amérique latine, une réflexion sur la spécificité des violences faites aux femmes s’engage, notamment à la suite du triple meurtre des sœurs Mirabal le 25 novembre 1960. En leur honneur, la journée du 25 novembre est dédiée depuis 1999 à la lutte contre les violences faites aux femmes. En anglais, le terme « femicide » est popularisé au début des années quatre-vingt par Jill Radford et Diana Russell.
Le concept est utilisé par les mouvements féministes pour souligner la violence spécifique des hommes envers les femmes. La définition donnée par l’Organisation mondiale de la Santé en 2012 inclut quant à elle les homicides commis par une femme sur une autre femme. En France, l’usage du terme est préconisé dans le domaine du droit depuis 2014. « Féminicide » fait son entrée au dictionnaire Le Robert en 2015 mais, en 2020, il n’est toujours pas reconnu par l’Académie française.
Depuis 2016, un recensement des femmes présumées victimes de crimes conjugaux est effectué par le collectif Féminicides par compagnons ou ex. Il recense 128 féminicides conjugaux présumés en 2016 ; 138 en 2017 ; 120 en 2018 et 152 en 2019. L’Agence France Presse (AFP) tient son propre compteur de cas présumés en menant des investigations complémentaires. L’existence et la particularité de ce crime ont également été mises en avant ces dernières années en France par plusieurs quotidiens nationaux comme Le Monde ou Libération, qui ont publié à la fois des décomptes réguliers des victimes, des portraits et des enquêtes approfondies.
Le cookie féministe désigne, symboliquement, la récompense que pensent mériter certains hommes qui se targuent de bien se comporter avec les femmes. Dénoncer le harcèlement de rue, tenir un discours en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes, ou encore partager les tâches domestiques sont des actes basiques certes bénéfiques aux luttes féministes, mais faut-il pour autant remercier leurs auteurs ? Le cookie féministe est une réponse ironique à cette question.
Les comptes fisha (du verlan « affiche ») sont des comptes ouverts sur les réseaux sociaux pour héberger des contenus qui s’apparentent à des revenge porn (ou « pornodivulgation ». Ils viennent compléter l’arsenal du harcèlement sexiste en ligne. Les premiers comptes fisha sont apparus en 2018 et se sont multipliés durant le confinement de mars 2020, tout comme les sextorsions (chantage à la diffusion d’images à caractère sexuel) comme l’indique cet article du Monde, du 7 avril 2020.
Les victimes sont généralement des femmes, souvent mineures qu’on « affiche » comme filles faciles en diffusant des selfies, photos et vidéos à caractère sexuel réalisés dans la sphère privée, souvent accompagnés des coordonnées de la jeune fille.
Le terme de forceur désigne celui qui, dans une relation avec une femme, écarte tout refus de la part de son interlocutrice d’entrer dans un rapport de séduction. Son attitude s’apparente à du harcèlement par le déni du consentement qu’elle manifeste. Convaincu d’être dans son droit par ses sollicitations répétées et insistantes, le forceur utilise tous les moyens pour parvenir à ses fins : entendre oui quand on lui dit non, refuser de tenir compte de la gène qu’il provoque, culpabiliser celles qui n’entrent pas dans son jeu, etc.
Le « gender gap » ou fossé de genre désigne toutes les inégalités sociales et juridiques qui, dans de nombreuses sociétés, favorisent les hommes au détriment des femmes. Il existe par exemple un fossé de genre reconnu dans le traitement salarial entre hommes et femmes, les premiers étant mieux payés que les secondes à compétence et expérience égale, mais le fossé de genre s’illustre également par un accès inégal à l’éducation, ou encore par une inégale représentation des femmes dans certains métiers, certains domaines ou à certains niveaux de responsabilités.
Le terme de « frotteur », désignant à l’origine celui qui frotte les parquets et les planchers, s’est généralisé ces dernières années pour désigner une personne, souvent un homme, qui profite de la proximité dans les transports en commun pour frotter ses organes génitaux sur une autre personne, parfois jusqu’à éjaculation. Une tribune signée par un collectif de cent femmes dans Le Monde du 9 janvier 2018 sur la « liberté d’importuner », affirmait qu’être victime d’un frotteur dans le métro peut être envisagé comme « l’expression d’une grande misère sexuelle, voire comme un non-événement ». Il s’agit en réalité d’une agression sexuelle caractérisée passible de cinq ans de prison et jusqu’à soixante-quinze mille euros d’amende.
Gaslighting ou détournement cognitif, décervelage, évaporation
Le terme « gaslighting » fait référence au film Gaslight(Hantise, 1944), de George Cukor, dans lequel un homme fait croire à son épouse qu’elle devient folle : elle perçoit notamment un changement d’intensité de l’éclairage au gaz (gaslight, en anglais) dans leur maison à certains moments particuliers, et il la fait douter de ses perceptions en niant lui-même cette baisse de luminosité.
Le terme est utilisé en psychologie à partir des années 1950 aux États-Unis, puis dans les discours féministes pour désigner une forme de violence psychologique fondée sur la manipulation cognitive exercée au sein du couple. La première définition du terme est donnée par le dictionnaire Merriam-Webster : « Manipulation psychologique, généralement sur une période prolongée, qui amène la victime à remettre en question la validité de ses propres pensées, de sa perception de la réalité ou de ses souvenirs, et qui entraîne généralement une confusion, une perte de confiance et d’estime de soi, une incertitude quant à sa stabilité émotionnelle ou mentale, et une dépendance à l’égard de l’agresseur. »
Avec le temps, le concept s’est élargi pour englober les dynamiques entre hommes et femmes, puis des pratiques politiques ou médicales. Il permet de dénoncer le recours à des outils, bien souvent rhétoriques, pour faire douter les oppressé·es de leur légitimité afin de les réduire au silence ou de les faire disparaître. Dans son essai intitulé Le Gaslighting ou l’Art de faire taire les femmes (2023), Hélène Frappat s’intéresse au gaslighting opéré dans le domaine culturel et qui participe à l’« évaporation » des femmes dans la société.
Harcèlement de rue ou street harassment
Le harcèlement de rue est une forme de harcèlement sexiste dont les femmes sont victimes dans l’espace public. Des personnes inconnues adressent à des passantes des compliments crus, des remarques déplacées, des sifflements ou des insultes sexistes, racistes ou homophobes qu’elles n’ont bien évidemment pas sollicités et qui redoublent d’intensité quand la victime répond ou cherche à les éviter.
Souvent relativisé et considéré comme une pratique de séduction maladroite, ce comportement inadéquat vise pourtant à l’objectivisation sexuelle de la femme et à l’appropriation masculine des espaces publics en contribuant au climat d’insécurité.
L’étude de ce phénomène commence dans les années quatre-vingt-dix aux États-Unis principalement. La cinéaste Maggie Hadleigh-West en fait le sujet de son documentaire War Zone en 1998. Elle filme des harceleurs et leurs réponses à ses questions sur leur comportement. En France, le terme est utilisé dans les milieux féministes mais n’est médiatisé qu’en 2012. Cette année-là, Anaïs Bourdet ouvre son tumblr Paye ta shnek en 2012 et recueille quinze mille témoignages de femmes victimes de harcèlement sexiste dans l’espace public, qui attestent de la généralisation et de la violence du phénomène.
Ce n’est qu’en juillet 2018 qu’une loi est votée en France pour sanctionner l’outrage sexiste dont relève, entre autres, le harcèlement de rue.
« Non, c’est non ! » revendiquent de nombreuses participantes aux manifestations féministes afin de dénoncer les agressions sexuelles dont les femmes sont les victimes majoritaires. Pour Noémie Renard, qui anime le blog antisexisme.net et a publié Pour en finir avec la culture du viol (2018), la question du consentement lors des relations sexuelles doit être envisagée de manière plus complexe. En effet, les modalités de contrainte pour accéder à une interaction sexuelle ne passent pas uniquement par la violence physique ou verbale. Peuvent être exploitées des contraintes économiques, du chantage, des propositions très insistantes, la timidité de la victime, etc. De plus, la sidération face à la violence des actes empêche de nombreuses victimes de s’opposer à leur agresseur… et même lors de relations sexuelles a priori désirées par les deux partenaires, le consentement doit être constant au fil du temps.
L’autrice élabore donc le concept de « relations sexuelles à coercition graduelle ». Il permet de définir les violences survenant au cours d’une interaction sexuelle qui a commencé de manière consentie ou par le biais de contraintes insidieuses. L’agresseur déploie sa violence progressivement, en profitant de la présence et du consentement initial de sa victime pour commettre contre elle des actes non désirés. De nombreux témoignages de coercition graduelle peut être lus sur antisexisme.net.
Cette loi fait référence à la Loi de Godwin qui affirme que « plus une discussion en ligne dure longtemps, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s’approche de 1. » La loi de la licorne stipule, elle, que « la probabilité qu’une femme dans l’open source finisse par faire une conférence sur le fait d’être une femme dans l’open source, s’approche de 1. »
Ici, le mot « licorne » incarne l’exceptionnel et fait référence au milieu informatique dont est issue l’autrice de la formule, Emma-Jane Hogbin, mais la loi peut être étendue à tous les domaines dans lesquels les femmes sont encore minoritaires. Lorsqu’une femme excelle dans ces milieux, elle finira par être enfermée dans son rôle de femme et réduite à parler de sa relation avec le domaine plutôt qu’à partager son expertise.
Le male gaze est une attitude générale dans les œuvres audiovisuelles (films, séries, publicités,…) qui invite à adopter le point de vue d’un homme hétérosexuel, en sexualisant systématiquement les femmes et leur corps et en les transformant en objets. Ce phénomène est particulièrement visible lorsque la caméra s’attarde sur les formes du corps féminin (comme par exemple dans les films d’Abdelatif Kechiche) ou quand les femmes sont présentées comme passives dans les scènes de sexe avec un homme.
Le concept du « male gaze » a été inventé par la critique de cinéma Laura Mulvey dans son essai Visual Pleasure and Narrative Cinema publié en 1975. Elle dénonçait ainsi les violences exercées sur les femmes par le patriarcat et le capitalisme à travers une forme de voyeurisme mais aussi de narcissisme.
Les male tears, littéralement les larmes d’homme, désignent les plaintes des hommes cisgenres qui se victimisent en évoquant les difficultés qu’ils rencontrent dans la société du fait de leur position, en minorant simultanément les difficultés rencontrées par les femmes. Les male tears désignent par exemple les propos accusant les féministes de détester les hommes, de prendre le pouvoir sur eux ou de rendre impossible tout rapport de séduction hétérosexuel. La définition a été forgée par les féministes anglo-saxonnes, le terme désignant à l’origine le sperme en argot.
Le manspreading est un comportement consistant pour un homme assis dans les transports en commun à occuper plus que sa place assise en écartant ostensiblement les jambes, ne laissant que très peu de place aux autres passagers présents, et plus particulièrement aux femmes.
[De « man » (homme) et « interrupt » (interrompre)] Dans le même ordre d’idées que le mansplaining, on peut évoque le manterrupting, qui désigne les situations dans lesquelles un homme interrompt une femme au cours d’une discussion ou d’un débat. C’est Jessica Bennett, chroniqueuse au magazine Time, qui emploie ce terme pour la première fois en 2015. Dans un cas comme dans l’autre, l’homme suppose qu’il a a priori davantage de légitimité que la femme pour prendre la parole et occuper l’espace sonore.
[De « man » (homme) et « slam » (heurter, écraser)] Le manslamming est un comportement masculin qui consiste à occuper l’espace et considérer que c’est aux femmes de dévier leur trajectoire pour éviter une collision. C’est l’américaine Beth Breslaw qui a popularisé ce terme en 2015 suite à une expérience qu’elle a réalisée : elle ne déviait pas de sa trajectoire laissant à l’autre le soin de l’éviter. Selon ces calculs, les collusions étaient majoritairement dues aux hommes. Cette expérience très controversée comporte sans doute de nombreux biais mais le terme s’est imposé et complète le concept de manspreading.
[De « man » (homme) et « explain » (expliquer)] Une mecsplication a lieu lorsqu’un homme explique à une femme quelque chose que cette dernière sait déjà, voire lorsqu’il aborde un sujet qu’elle connaît mieux que lui, le tout sur un ton généralement condescendant. Cette pratique récurrente a été décrite pour la première fois en 2008 par l’autrice américaine Rebecca Solnit dans un article publié par le Los Angeles Times, « Men who explain Things ».
Ce terme, employé pour la première fois en 1914 par la militante Charlotte Perkins Gilman, désigne les mouvements d’hommes hostiles aux droits des femmes. Les masculinistes prétendent que l’égalité entre les femmes et les hommes est désormais atteinte et que le pouvoir est passé entre les mains des femmes. Ces évolutions remettraient en question la différence entre les femmes et les hommes, qu’ils considèrent comme naturelle. Les hommes, victimes des excès de ce nouvel ordre social, ne sauraient plus comment être des hommes.
Un des courants masculinistes les plus connus est le mouvement des pères séparés, présentés comme les victimes de leurs ex-conjointes. Né aux États-Unis dès les années cinquante, son évolution correspond à l’augmentation du nombre de divorces en Occident. D’abord axé sur le partage des biens et le montant des pensions alimentaires, il se focalise depuis les années quatre-vingt sur l’attribution du droit de garde des enfants. Ce mouvement apparaît en Europe également dans les années quatre-vingt.
La misogynie est un sentiment de mépris ou aversion pour les femmes en raison de leur genre. Ce phénomène de discrimination sexiste n’a rien d’exceptionnel, il se construit dans un contexte d’oppression systémique et patriarcal d’après les féministes. On en trouve des traces jusque dans la langue française (lire l’article Cheres lecteurices, dans Balises).
La misogynie peut conduire à des violences verbales ou physiques envers les femmes et jusqu’au féminicide.
Nice guy, ou « syndrome du gentil garçon » ou wokefishing
Le nice guy est un homme hétérosexuel poli et attentionné qui condamne l’attitude machiste des hommes. Il se présente comme le meilleur ami des femmes, mais son comportement s’apparente plutôt à une stratégie de séduction, consciente ou inconsciente. En effet, le nice guy attend un retour affectif ou sexuel de la femme en récompense de son attitude courtoise et compréhensive. En macho qui s’ignore, il ne conçoit pas d’autres rapports entre homme et femme. Si ce super héros de la cause féminine est éconduit, forcément la femme est ingrate et méchante car elle lui refuse son dû.
Une variante du syndrome du gentil garçon est le wokefishing, qui consiste à revendiquer de manière mensongère des opinions politiques progressistes (notamment féministes et anti-racistes) pour conquérir le cœur de son ou sa futur.e partenaire. Le terme a été inventé en 2020 par la journaliste Serena Smith en contractant deux mots. D’un côté, le « wokisme » désigne le fait de se montrer conscient du système d’oppression qui pèse sur les minorités. Le terme est apparu dans le cadre du mouvement Black Lives Matter et est majoritairement employé par des personnes racisées. De l’autre, le terme « fishing » vient de l’expression « catfishing », c’est-à-dire usurpation d’identité.
Selon le dictionnaire Larousse, « le patriarcat est une forme d’organisation sociale dans laquelle l’homme exerce le pouvoir dans le domaine politique, économique, religieux, ou détient le rôle dominant au sein de la famille, par rapport à la femme ». Dans un système patriarcal, le masculin est supérieur au féminin, mais il fait également figure de référence en étant assimilé à l’universel, invisibilisant de ce fait doublement les femmes.
Le patriarcat s’appuie sur une domination matérielle des femmes, par le biais d’une division genrée des tâches, des revenus, de la propriété, etc. Mais il est aussi fondé sur une domination symbolique, qui s’appuie sur une idéologie sexiste consistant à valoriser les activités et les comportements assimilés au masculin et à mépriser voire interdire ceux qui sont assimilés au féminin, sans que l’assimilation à l’un ou l’autre genre soit fondée sur une logique extérieure à la recherche de la domination elle-même.
Le concept de patriarcat a été fondé dans les années soixante-dix par les mouvements féministes afin de démontrer que la domination masculine et l’oppression des femmes qui en résultait au sein de la grande majorité des sociétés disposait historiquement de fondements sociaux et culturels, et en aucun cas biologiques. Les définitions du terme ont depuis été affinées et nuancées. D’autres auteurs et autrices féministes ont également démontré les intrications historiques entre le développement du système patriarcal et celui du capitalisme (par exemple les militants et militantes écoféministes comme Françoise d’Eaubonne), ou entre patriarcat et racisme (Audre Lorde, notamment).
Ce terme est utilisé par les féministes, lors de la révolution sexuelle dans les années soixante et soixante-dix, pour dénoncer la domination sociale, culturelle et symbolique exercée par les hommes sur les femmes. Il désigne aussi le système mis en place pour assurer cette domination en détournant tous les mécanismes institutionnels et idéologiques disponibles. Ce mot, synonyme du système patriarcal, est tombé en désuétude dans les années quatre-vingt.
Ce terme désigne les freins invisibles qui empêchent les femmes d’accéder à des postes à responsabilités ou qui freinent leur carrière. Il a été inventé par des sociologues féministes dans les années soixante-dix et reste toujours d’actualité. Hillary Clinton l’évoque dans un discours suite à sa défaite contre Trump en 2016.
Il recouvre une réalité, vérifiée par les chiffres : les femmes sont rares à un certain niveau de responsabilités. À compétences et qualités égales, les hommes sont privilégiés en raison de préjugés ancrés, selon lesquels que les femmes seraient moins compétentes, moins disponibles, n’excelleraient pas dans les sciences ou en politique. Elles doivent lutter contre l’entre-soi masculin, une vision genrée de la répartition des tâches et autres héritages de nos sociétés patriarcales, et toujours redoubler de travail pour légitimer leur place. Ces barrières invisibles se matérialisent parfois dans des propos sexistes quand les femmes s’immiscent dans les domaines préemptés par les hommes, comme la sphère politique. Il suffira de rappeler l’interrogation de Laurent Fabius : « Qui va garder les enfants ? » quand Ségolène Royale entame une carrière politique en même temps que son compagnon François Hollande ou des sifflements qui accueillent Cécile Duflot lorsqu’elle entre dans l’hémicycle en robe à fleurs.
Par extension, le terme de plafond de verre est utilisé pour les personnes discriminées pour d’autres raisons comme la couleur de leur peau, leur origine ou un handicap. On parle aussi de parois de verre, un terme utilisé en 1997 dans un rapport du Bureau international du Travail pour illustrer la féminisation de certaines filières, bien souvent non-stratégiques dans l’entreprise, ce qui constitue un frein supplémentaire à l’accès aux postes de direction.
Le sealioning est une forme de harcèlement, au cours de laquelle l’agresseur feint l’ignorance sur un sujet donné pour multiplier les questions et les demandes de justification à sa victime sur un ton très poli, jusqu’à se positionner lui-même comme victime et décrédibiliser le discours de son interlocutrice, une fois qu’il a poussé celui ou celle-ci à la colère et/ou à demander l’arrêt de la discussion.
Le terme vient d’une bande dessinée publiée par David Malki en 2014, où un lion de mer (« sea lion », en anglais) s’immisce dans une conversation pour demander de manière insistante et absurde à deux personnages de justifier leur manque d’intérêt pour les lions de mer. La communauté des gamers s’empare de l’expression « sealioning » la même année, dans le cadre d’une affaire de harcèlement visant notamment la créatrice de jeu Zoë Quinn.
[ De « slut » (salope) et « shaming » (honte), traduisible en français par « humiliation des salopes »] Popularisée par les féministes américaines et canadiennes, cette expression désigne un ensemble d’attitudes individuelles ou collectives consistant à rabaisser, stigmatiser ou culpabiliser une femme en raison de son comportement sexuel (pratiques, vêtements, discours, etc.). Le slutshaming se base sur l’idée que le sexe serait dégradant pour les femmes, et refuse de les considérer comme des individus sexués et désirants. Le slutshaming participe aussi à ce que l’on appelle la culture du viol.
Ce phénomène a pris une ampleur inédite sur les réseaux sociaux, où de très jeunes femmes sont exposées à du harcèlement sexuel, des injures sexistes, des propos dégradants sur leur personne, leur corps ou leur sexualité. En signe de protestation, des Slut Walks (« marches de salopes ») sont régulièrement organisées à travers le monde pour dénoncer le sexisme ordinaire, les violences sexuelles, la culpabilisation des victimes de viol, et défendre la liberté des femmes à vivre leur sexualité comme elles l’entendent.
[De l’anglais « by stealth » (furtivement)] Le stealthing est une agression sexuelle lors de laquelle, pendant un acte sexuel consenti et protégé, l’agresseur retire son préservatif sans l’accord de sa ou son partenaire.
En 2016, la juriste américaine Alexandra Brodsky alerte l’opinion publique en publiant une enquête dans le Columbia Journal of Gender and Law qui définit le mode d’agression et fait entendre des témoignages. Elle montre que le stealthing peut engendrer des conséquences psychologiques plus ou moins lourdes sur les victimes. Par ailleurs, toutes redoutent une grossesse non désirée ou la contraction d’une MST ou IST. Le stealthing alimente la culture du viol.
Aux États-Unis, où la pratique est fréquente en particulier chez les étudiants, le stealthing n’a pas de statut juridique et les agresseurs sont rarement condamnés. En Suisse en 2017, un homme de quarante-sept ans, qui avait retiré son préservatif pendant l’acte sexuel sans l’accord de sa partenaire, a été condamné pour viol à douze mois de prison avec sursis.
Syndrôme de la Schtroumpfette ou Principe de la Stroumpfette
La Schtroumpfette est le seule personnage féminin dans l’univers masculin de la bande-dessinée de Peyo. Le principe est énoncé pour la première fois en 1991 par une critique américaine, Katha Pollitt, pour dénoncer la surreprésentation (consciente ou inconsciente) des hommes dans les œuvres de fictions. Non seulement le personnage féminin n’existe que par référence au masculin ou sert d’alibi, mais il incarne à lui seul le genre féminin, ce qui conduit forcément à des stéréotypes de genre par manque de diversité.
Pour déterminer si les personnages féminins dans les films ne sont pas les faire-valoir de héros masculins, une autrice de bande dessinée a proposé en 1985 le « test de Bechdel-Wallace ».
Le « test de Bechdel » a été théorisé par l’autrice de bandes dessinées Alison Bechdel en 1985 dans Lesbiennes à suivre, série de bandes dessinées sur l’homosexualité féminine qui a commencé en 1983 et s’est achevée en 2008. Dans une page de la série intitulée « La règle », Alison Bechdel discute de cinéma avec son amie Liz Wallace et énonce les principes de ce qui sera ensuite connu sous le nom de « test de Bechdel », ou « test de Bechdel-Wallace ». Elle dit ne s’autoriser à aller voir un film que s’il répond à trois critères :
Il faut deux personnages féminins
qui se parlent
et que leur conversation ne porte pas sur un homme.
Ce test, qui n’a pas de valeur scientifique ni vocation à mesurer la qualité d’un film, a servi à mettre au jour le sexisme et le manque de représentativité des personnages féminins dans les productions audiovisuelles.
Le tone policing ou tone argument (littéralement, la « police du ton ») consiste à critiquer l’émotion mise dans l’énoncé d’un argument, plutôt que de débattre du fond d’un sujet. Il s’agit d’une feinte rhétorique destinée à décrédibiliser un discours en attaquant la personne plutôt que ses arguments, et en remettant en cause la légitimité de sa révolte. Le tone policing est en outre une pratique particulièrement misogyne au sens où elle défend l’idée que les femmes, étant dominées par leurs émotions, ne sont pas en mesure de tenir un discours rationnel – sophisme qui fait dépendre de manière fallacieuse le fond d’un argument de la forme de l’énoncé.
Le tone policing n’est pas spécifique aux trolls qui interviennent dans les débats féministes : c’est une tactique de diversion pour quiconque souhaite décrédibiliser un discours minoritaire et asseoir sa position dominante sans tenter de la justifier. La dessinatrice Emma explique dans cette bande dessinée en quoi il s’agit d’une stratégie récurrente de certains dans le but de maintenir une forme de domination masculine.
Les médias contribuent à populariser et à légitimer des formules ou des termes. Ces expressions déforment parfois la réalité mais elles peuvent aussi mettre en lumière une réalité méconnue, car pas ou mal nommée. C’est le cas de la formule « harcèlement de rue » dont Violaine Nicaud retrace l’évolution dans les médias et dans les mentalités.
Ilana Löwy, Catherine Marry
Les Empêcheurs de penser en rond, 2007
Une historienne de la biologie et de la médecine et une sociologue du travail et du genre s’attaquent à déconstruire les mécanismes de la domination masculine en faisant le point sur les soi-disant différences naturelles, biologiques ou psychologiques entre genres. Ce livre prend la forme d’un lexique d’une centaine d’entrées.
À la Bpi, niveau 2, 300.1(03) LOW
Les Gros Mots. Abécédaire joyeusement moderne du féminisme
Clarence Edgard-Rosa
Hugo & Cie, Les Simone
, 2016
Dans cet abécédaire, la journaliste Clarence Edgard-Rosa, également fondatrice de Gaze Magazine, tente de définir ce que veut dire être féministe aujourd’hui à travers le vocabulaire lié aux concepts toujours d’actualité et aux nouveaux enjeux, le vocabulaire hérité de la pop culture ou des expressions populaires et le vocabulaire des militants et militantes initiés.
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