Interview

Hassen Ferhani, mentir vrai

Cinéma

Hassen Ferhani, Dans ma tête un rond-point © Allers Retours Films, Centrale Électrique, 2015

Les films du réalisateur algérien Hassen Ferhani entremêlent fiction et documentaire sans souci des étiquettes. En révélant la vérité d’une époque, d’un lieu ou d’un personnage par le biais de détours formels, ils incarnent ce qu’Aragon appelait le « mentir-vrai » d’une œuvre. Hassen Ferhani nous parle de cette position d’équilibriste avant de donner une master classe au Centre Pompidou, en décembre 2021.

Comment avez-vous découvert le cinéma ?

J’allais au ciné-club de mon quartier, où je m’abreuvais surtout de films américains. Et mon père était un peu cinéphile. Il y avait deux VHS à la maison : L’Empire des sens et Le Cercle des poètes disparus. En 2004, j’ai lu une annonce qui parlait d’un ciné-club. Je suis allé à une séance de courts métrages expérimentaux. J’ai rencontré un groupe de fous du cinéma. 

J’ai intégré cette association, Chrysalide, dont sont issus plusieurs cinéastes : Karim Moussaoui, Sofia Djama, entre autres. Nous regardions énormément de films et nous les projetions le vendredi dans la salle de cinéma Zinet à Alger. Mohammed Zinet est un cinéaste algérien qui a réalisé un seul long métrage, devenu culte, Alger insolite (Tahia ya Didou, 1971). Là, j’ai découvert Tarkovski, Antonioni, Kiarostami, Cassavetes… tous ces cinéastes qui ne m’étaient pas accessibles par le vidéo-club de mon quartier.

Comment avez-vous appris le cinéma ?

Au sein de l’association, nous avons commencé à faire des films avec des caméras de touristes, les premiers courts métrages de Karim Moussaoui. On s’exerçait comme ça, avec deux bouts de ficelle. En 2006, j’ai réalisé mon premier court métrage, Les Baies d’Alger, à la suite d’un appel à premiers films lancé par Katia Kameli, une artiste franco-algérienne.

Ensuite, en parallèle de mes études de commerce, j’ai commencé à travailler comme assistant réalisateur. J’ai assisté des cinéastes algériens comme Lyes Sallem, des artistes contemporains comme Kader Attia, des photographes qui venaient à Alger… Cela m’a donné l’opportunité de travailler sur des projets très différents : fiction, documentaire, films d’art… En 2008, j’ai participé à l’université d’été de la Fémis, une formation de deux mois et demi destinée aux ressortissants d’autres pays que la France. Cela m’a donné des clés sur le cinéma du réel. 

Votre cinéma n’est pas simplement documentaire, mais le réel y est toujours présent. Cela a-t-il été un choix dès le début de votre carrière ?

D’abord, avec Chrysalide, nous avons regardé tellement de films que nous avons décloisonné notre regard. Documentaire ou fiction, cela nous importait peu. Le plus important était qu’il y ait du cinéma, de la mise en scène, comme chez Peter Watkins. Nous nous sommes affranchis des catégorisations.

Ensuite, j’ai vu émerger autour de moi, au début des années deux-mille, une génération de cinéastes dont j’ai eu envie de me démarquer. Je ne voulais pas faire de films classiques, avec un scénario écrit… j’avais envie d’explorer d’autres pistes. Les Baies d’Alger sont dans ce sillage. Afric Hotel, en 2009, est un documentaire, mais avec une forte idée de mise en scène. Avec mon coréalisateur, Nabil Djedouani, nous avons donné la caméra aux protagonistes du film pour qu’ils se filment de nuit dans l’hôtel où ils habitaient, parce que nous n’y avions pas accès. Je n’ai pas fait le choix de ne pas faire de fiction, mais j’ai suivi mon instinct pour raconter les histoires un peu autrement.

Vous filmez dans des espaces circonscrits : vos rencontres avec un espace sont-elles votre source d’inspiration ?

J’ai souvent des coups de cœur envers des lieux habités. Pas simplement des endroits, mais des lieux qui sont habités par une âme, une histoire, dont les murs nous parlent. Dans le quartier de Cervantes, dans Tarzan, Don Quichotte et nous (2013), on sent perpétuellement de la fiction, le récit traverse ce quartier. Dans les abattoirs de Dans ma tête un rond-point (2015), à travers l’histoire des ouvriers, on sent cette charge à l’intérieur des lieux. Souvent, j’ai des coups de cœur pour des lieux qui m’intriguent et dans lesquels je ressens ce potentiel cinématographique, de sujet ou de récit.

Hassen Ferhani, 143 rue du Désert © Allers Retours Films, Centrale Électrique, 2020

Ces lieux sont souvent habités par des gens modestes. Est-ce une volonté de votre part de mettre de la lumière sur eux ?

Un jour, on m’a demandé si je faisais des films sur la marge en Algérie. J’ai répondu que ce n’était pas comme cela que je le percevais : j’allais filmer mes contemporains, presque mes semblables. J’ai eu la chance de grandir dans un quartier populaire d’Alger aux côtés de gens qui travaillaient dans l’administration, d’artistes, d’ouvriers… tous se côtoyaient. Ceux que je filme, ce sont les gens que je rencontre et avec qui je prends des cafés, mes amis, mes voisins. J’ai toujours fait en sorte de ne jamais catégoriser. 

Et puis, généralement, la poésie est portée par les gens qui sont en première ligne de ce qui se passe dans le pays : les ouvriers, Malika dans son petit café au 143 rue du Désert (2019), un gardien de parking qui parle de Cervantes…

Est-ce l’intimité avec vos personnages qui vous pousse à leur donner un rôle actif dans vos mises en scène ?

Ce ne sont pas des coréalisations, mais j’aime donner aux gens avec qui je fais un film la possibilité d’apporter leur pierre à l’édifice. Je ne veux pas qu’ils se sentent pris au piège d’un réalisateur, d’un cadre. Il faut être à l’écoute de l’autre et aller dans son sens pour mettre en scène. Quand Malika propose la séquence de la prison, c’est elle qui me dit : « tiens, on dirait une prison ». J’entends sa remarque et je me dis : amusons-nous à faire une séquence sur la prison ! Je crois profondément que tout est permis pour raconter des histoires, sans dépasser la ligne rouge de la morale ou de la trahison.

Comment préparez-vous vos films ?

J’ai toujours vu comme une contrainte l’écriture traditionnelle sur papier, donc j’ai longtemps écrit sur un carnet, des notes comme ça, des choses que je voyais, en fin de journée de tournage. Avec 143 rue du Désert, j’ai réellement rédigé un dossier pour la première fois. Je me suis amusé à le faire une fois que j’ai compris que l’écriture devait être un plaisir et non une contrainte.

Je fais très peu de repérages. Je suis allé une fois dans les abattoirs. J’ai rencontré Malika pendant trois heures et je suis revenu faire un film avec elle. C’est comme une nécessité. Quand je me réveille le matin et que je pense à ce film potentiel, à cette rencontre, je me dis qu’il faut y aller sans attendre.

Publié le 06/12/2021 - CC BY-SA 4.0

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