Interview

Appartient au dossier : Comment traduire une œuvre ?

Découvrir l’hébreu en bande dessinée

Langues - Littérature et BD

Gilles Rozier par Goesseln - CC-BY-SA

Comment découvrir une langue dont on ne connaît rien, et s’ouvrir ainsi à un nouvel univers culturel ? À l’occasion du Printemps de la traduction, Gilles Rozier, traducteur de l’hébreu, animera à la Bpi un atelier de « traduction intuitive ». Nous l’avons interrogé sur cette méthode de traduction.

Qu’est-ce que la traduction intuitive ? Est-ce que cela nécessite une connaissance préalable de la langue hébraïque ? 

Pas forcément. Compte tenu de la thématique du printemps de la traduction « Au commencement était l’image », nous souhaitions que les participants se réfèrent d’abord à l’image dans une forme narrative comme le roman graphique ou la bande dessinée. Nous expérimentons la manière dont l’image permet d’informer le contexte et si elle délivre suffisamment d’indications pour le faire. Sous une forme ludique, les participants sont ainsi invités à entrer dans une langue. À partir de planches sur lesquelles il y aura de l’hébreu et, ils ont invités à imaginer ce que les personnages peuvent bien se dire. 

Photo de Mick Haupt sur Unsplash

Comment appréhender la grammaire et comprendre des mots sans rien connaître d’une langue ? 

Après avoir expliqué quel est le contexte, nous utilisons une méthode qui s’apparente à la méthode globale, autrefois utilisée pour l’apprentissage de la lecture en France, où on apprend à reconnaitre des mots entiers. Quand il y a trois mots, on peut imaginer qu’ils forment une phrase avec sujet verbe et complément. Quand il n’y a qu’un mot, il peut s’agir d’une interjection, etc. La difficulté pour le lecteur est de s’habituer à l’idée que c’est une langue qui se lit de droite à gauche. Il s’agit donc de découvrir une langue et une graphie nouvelles, une langue un peu mystérieuse que peu de français a priori sont susceptibles de connaître. 

En termes de grammaire, l’hébreu fonctionne comme une langue européenne. C’est assez simple, puisqu’il n’y a qu’un temps du passé, un temps du présent, un temps du futur. Au début, les participants peuvent être déroutés parce que le vocabulaire n’est pas du tout commun avec une langue latine, à part quelques mots. Il y a aussi la difficulté de la graphie qu’il faut surmonter. Mais le fonctionnement des verbes est plus simple qu’en français. C’est très systématique et à partir du moment où on connaît la signification d’une racine on est capable de former tous les verbes qu’on veut. 

Pourquoi avoir choisi cet album : Tunnels de Rutu Modan ?

La bande dessinée et le roman graphique ne sont pas très répandus dans la culture littéraire israélienne, même si cela a commencé à se développer. Cet album se prête bien à la traduction intuitive parce qu’il y a une diversité de personnages bien typés. Le dessin permet de laisser courir la créativité et l’imagination des participants qui peuvent facilement identifier les personnages. Comme l’histoire se déroule dans un contexte archéologique, il y a également beaucoup d’objets qu’on peut reconnaître rapidement, des statues, des véhicules. On trouve le désert, la ville, l’université. C’est un dessin très riche qui peut donc nourrir l’imaginaire. 

De plus, nous avons choisi un roman graphique qui parle de la société et de la politique israéliennes. Dans cet album, il s’agit d’aller chercher l’Arche d’alliance du temple de Jérusalem qui se trouve à la limite entre Israël et les territoires occupés, mais de l’autre côté du mur de séparation. On se retrouve donc avec des protagonistes qui sont Israéliens et Palestiniens, des archéologues et des colons juifs. Les planches donnent à voir les différents types de la sociologie israélienne. Et dans la société israélienne, les gens se reconnaissent facilement à leurs habits. Selon que vous avez une kippa et éventuellement des papillotes ou que vous êtes très brun avec une moustache, vous êtes juif orthodoxe ou Palestinien. Entre un juif avec une kippa tricotée et un juif avec une kippa noire, il y a un univers. Une fois entré dans la traduction, on peut donc expliquer qui sont les protagonistes. Cela permet donc d’ouvrir sur toute une culture.

Publié le 24/05/2021 - CC BY-SA 4.0

Tunnels

Rutu Modan
Actes Sud BD, 2021

Après des études et un parcours professionnel chaotique aux États-Unis, Nilli est de retour en Israël, avec son jeune fils Doc. Quand son frère lui apprend qu’Émile Abouloff lègue sa collection au Département Archéologie, Nilli tente de récupérer une tablette d’argile couverte d’écriture cunéiforme que possède le collectionneur. Le père de Nilli, brillant archéologue, prétendait que cette tablette menait à l’Arche d’alliance, un coffre contenant les tables de loi des chrétiens, et avait entraîné sa fille, âgée de 5 ans à l’époque, à la recherche de ce trésor. Nilli monte une expédition en secret pour reprendre les fouilles dans le tunnel creusé par son père. Mais le tunnel se trouve désormais sous la frontière entre Israël et les territoires palestiniens, ce qui complique les choses. Nilli va devoir faire preuve de diplomatie et d’imagination pour que les différents protagonistes, aux intérêts divergents, travaillent de concert à sa cause.
Le récit est rythmé, rocambolesque et plein d’un humour qui flirte avec l’absurde pour mieux égratigner le petit monde de l’archéologie dont Rutu Modan dénonce les fraudes, les marchandages et les rivalités. L’autrice nous fait également rire des nombreux travers de la société israélienne comme dans ses albums précédents et nous émeut quand elle évoque les relations familiales. La ligne claire et l’harmonie des couleurs par scènes permettent de se retrouver facilement dans ce récit foisonnant de personnages et d’actions.
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