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Appartient au dossier : Helena Třeštíková, filmeuse au long cours

Helena Třeštíková, une vie de rencontres

La documentariste tchèque Helena Třeštíková filme sur de longues périodes des anonymes dans leur vie de tous les jours. Les Strnad (2017), qui raconte trente-cinq ans dans la vie d’un couple, et Katka (2010), qui suit une femme quatorze années durant, sont emblématiques de ce cinéma d’exploration.

Helena Třeštíková réalise des films au long cours depuis son film de fin d’études à l’Académie du film de Prague (FAMU) en 1975 : elle y suit un jeune couple jusqu’à la naissance de son premier enfant. Intime sans être intrusive, régulièrement présente sans être dérangeante, la caméra de Helena Třeštíková plonge au cœur de vies de famille ou dans l’univers de personnes atypiques. Ces récits filmés peuvent alors devenir un reflet de nos propres vies et nous poussent à réfléchir sur notre place dans le fil de notre existence.

Les Strnad, ensemble à tout prix 

le couple Strnad montre une photo de leur mariage, extrait du film
Helena Třeštíková, Les Strnad (Strnadovi) © Negativ, Aerofilms, Ceská Televize, 2017

Le film Les Strnad débute en 1980, la veille du mariage des deux protagonistes, Irina et Vladik. Ils sont étudiants et leurs visages en noir et blanc sont souriants et insouciants. On assiste à la cérémonie de mariage puis à leur installation dans leur petit appartement. Au-delà de la sphère privée, le début du film montre la société tchèque des années quatre-vingt, encore rattachée au bloc soviétique.

Pendant les premières années, Helena Třeštíková les filme tous les six mois environ. Très vite, alors que leurs études ne sont pas finies, le jeune couple a un premier enfant. Entre la thèse à terminer, l’appartement à aménager et l’arrivée du bébé, Irina et Vladik sont débordés mais gardent sourire et bonne humeur. Ils obtiennent tous les deux leur diplôme et Vladik part accomplir son service militaire. Les voilà séparés par intermittence mais cela ne semble pas déranger Irina, qui s’occupe du bébé et réalise des peintures. Toute sa vie, Irina gardera cette fibre créative. En 1985, arrive un deuxième garçon. Vladik devient professeur d’ébénisterie et fabrique des meubles. En 1986, une fille rejoint la fratrie et la famille emménage à la campagne. 

Puis le film change d’époque : en 1999, sur des images en couleur, apparaît une grande maison bourgeoise. Irina est restée menue mais a les cheveux courts. Vladik ne change pas. Ils ont désormais cinq enfants. Alors que Vladik a de grands projets professionnels, Irina connaît une première dépression. Trop de fatigue, trop de travail, pas de temps pour elle. Les aînés, devenus jeunes hommes, sont en rébellion. Puis arrivent la crise économique et l’ouverture à l’Europe. Les temps sont durs mais Vladik, toujours exigeant, essaie de ne pas se décourager. Helena Třeštíková vient filmer la famille environ une fois par an. Le spectateur assiste à ses difficultés financières, familiales et intimes. Irina enchaîne des épisodes de démence, jusqu’à l’hospitalisation. 

Le talent de Helena Třeštíková réside dans sa capacité à laisser parler librement ses personnages et à leur faire prendre du recul sur leur vie. « Si c’était à refaire, je prendrais le même chemin », déclare ainsi Irina. « Je souhaite que mon mariage dure pour la vie, j’y travaille vraiment », explique de son côté Vladik. Ces paroles recueillies semblent agir sur eux comme un remède. Helena est à leurs côtés et le spectateur aussi. Ce dernier devient un compagnon de route, assistant sans voyeurisme à des scènes intimes. Entre rire et larmes, Helena Třeštíková transforme un récit familial en film à suspense. 

Le naufrage de Katka

Gros plan sur Katka s'allumant une cigarette
Helena Třeštíková, Katka © Negativ, Ceská Televize, 2010

Katka est le portrait intimiste d’une jeune femme à la dérive, prise dans l’enfer de la drogue. Helena Třeštíková commence à filmer Katka en 1996, quand elle a dix-neuf ans. Elle vit dans un centre pour personnes dépendantes. Elle raconte son enfance difficile, sa mère qui la met à la rue à seize ans, son beau-père violent et ses débuts avec la drogue. Au fil des années, on assiste à la déchéance de cette jeune femme charismatique et attachante : ses rencontres amoureuses souvent malsaines, ses efforts vains pour s’en sortir, la prostitution, la rue, la souffrance physique… « Quand tu prends de la drogue, plus rien ne te ramène à la vie », dit Katka.

En 2001, Katka prend conscience de son état et tente un traitement de substitution pour se sevrer. Elle vit dans un grenier insalubre, son état physique se détériore. Helena Třeštíková n’épargne pas le spectateur, impuissant face à cette réalité dramatique. La cinéaste filme en gros plan le visage abîmé de Katka et ses mains esquintées. 

Jusqu’en 2002, Helena Třeštíková suit le personnage environ une fois par an. En 2007 et 2008, elle est présente plus souvent car Katka est enceinte. Elle raconte ses tentatives pour se faire aider par les institutions et son combat sans fin contre la drogue. La réalisatrice devient moins discrète : elle fait entendre sa voix, essayant d’interférer dans les choix de Katka et lui faisant tenir des promesses. Cette vertigineuse chute devient sans doute insupportable pour la cinéaste comme pour le spectateur, ensemble désarmés. La force du film réside d’ailleurs dans le lien ininterrompu entre Helena et Katka, qui transforme ce documentaire en un témoignage unique et bouleversant. L’histoire de cette figure anonyme, devenue une héroïne grâce à la caméra, marquera la mémoire du spectateur.

Publié le 28/12/2020 - CC BY-SA 4.0

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