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Appartient au dossier : Helena Třeštíková, filmeuse au long cours

Helena Třeštíková
Une femme heureuse du temps qui passe.

La cinéaste et documentariste Helena Třeštíková a réalisé plus de cinquante films qui ont tous un point commun : le tournage se déroule sur plusieurs années, voire plusieurs dizaines d’années. Elle mise sur le temps pour comprendre tous les enjeux humains et sociologiques des sujets qu’elle aborde. Elle est l’invitée d’honneur du mois du film documentaire 2012 à la Bpi.
 

Diplômée en 1974, de la FAMU, l’école supérieure de cinéma de Prague, Helena Třeštíková s’est très vite spécialisée dans un genre documentaire particulier appelé l’observation à long terme. Le temps qui passe apparaît comme son meilleur allié pour mettre à jour l’essence de ses personnages et constitue la matière incontournable de chacun de ses films.

Sommaire

Pourquoi l’observation sur le long terme ?

Chaque histoire est unique

Pour Helena Třeštíková, une rencontre ponctuelle est rarement suffisante pour révéler l’histoire personnelle de chacun. 

« Si j’observe quelqu’un sur la durée, je peux observer ce qu’il y a de vraiment unique chez cette personne… Mon  idée générale est que chaque vie est intéressante et unique… je suis à la recherche de la « clef  » de chaque existence et mon film sera le résultat de cette recherche. »

Helena Třeštíková, interviewée par Frederikke Lett, European Fim Academy, Copenhague, décembre 2008.

Un besoin instinctif de saisir le temps

Helena Třeštíková est persuadée que cette attirance pour cette méthode de travail est en elle depuis longtemps. Elle a toujours ressenti un besoin instinctif de saisir le temps.

Dans sa jeunesse, elle a tenu son journal intime pendant plus de dix ans, trouvant très intéressant d’observer ainsi la vie qui passe au travers de ses notes journalières. Dès le début de ses études de cinéma, elle a su qu’elle incorporerait cet élément dans son travail.

Son premier film d’étudiante se déroule déjà sur la durée. Elle filme pendant une année la vie d’un village destiné à être englouti. En tant que professionnelleson premier film Miracle (1975) retrace, lui aussi pendant un an, la vie d’une femme au moment de la naissance de son premier enfant. Mais, c’est en réalisant Histoires de couple, entre 1980 et 1987, qu’elle mesure l’importance de la relation au temps et cherche à appliquer cette méthode à d’autres projets.

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Quels sont les ingrédients d’un film d’Helena Třeštíková?

Même si sa méthode s’appuie sur le principe du « temps qui passe », elle ne peut se résumer à cet aspect. Son travail repose essentiellement sur trois éléments, toujours présents dans ses films : un personnage observé avec respect et empathie, un contexte social constamment évoqué et bien sûr le temps qui passe, comme élément révélateur de la construction d’une vie et des changement d’une société.

Le saut temporel ou « Time lapse »

Helena Třeštíková peut suivre sur une très longue période de leur vie des personnages qu’elle choisit par instinct ou par intérêt sociologique, ou pour ces deux raisons. Son dernier film Cosmos privé (Soukromy Vesmir) retrace en quatre-vingt-dix minutes, trente-sept ans de la vie d’une famille tchèque, de la naissance de son premier enfant, en 1974, jusqu’à nos jours.

Si cette méthode d’accélération du temps est assez courante dans les documentaires scientifiques pour mettre en évidence un phénomène invisible à l’œil nu ̶  nous avons déjà tous observé ainsi l’éclosion d’une fleur en accéléré  ̶ elle est beaucoup plus rare dans le cinéma documentaire à thème social. Pourtant l’objectif reste le même : donner à voir ce qui est invisible, nous révéler une évolution trop lente pour être perçue en direct et nous permettre ainsi de mieux la comprendre.

Sa première expérience pour la télévision tchèque en 1980, Histoires de couple, est basée sur ce principe. Pour tenter de comprendre l’accroissement du nombre de divorces, Helena Třeštíková décide de choisir six couples au hasard sur le registre de la mairie de Prague et de suivre leur quotidien avec des rendez-vous réguliers pendant sept ans.

Photographie noir et blanc du mariage de Marcela et Jiri
Marcela et Jiri, image du film Marcela, d’Helena Třeštíková

Elle reproduira d’ailleurs l’expérience, vingt ans plus tard, en  retrouvant les protagonistes de la première série.
Mais le « temps » n’est pas le seul ingrédient des films d’Helena Třeštíková. Leurs succès reposent sur d’autres éléments tout aussi importants : sa manière de filmer ses personnages et le regard bienveillant qu’elle pose sur eux.

Portrait noir et blanc e de Marcela en costume paramilitaire
Marcela, image du film Marcela d’Helena Třeštíková

Un regard bienveillant et neutre sur son sujet

Helena Trestilova transforme des existences qui peuvent paraître banales ou à l’inverse parfois très marginales, en récits passionnants et uniques.

Son objectif : comprendre

Son principal objectif est de se rapprocher du point de vue de ses personnages, de leur façon de penser pour comprendre leur vision du monde sans moraliser. Ce principe théorique n’est pas toujours évident à respecter, surtout lorsque qu’il s’agit de se pencher sur des destins particulièrement tragiques comme celui de la jeune héroïnomane Katka. Mais en s’y tenant, la cinéaste nous permet à nous spectateurs, de nous approcher au plus près de la vérité de chaque personnage, sans filtre protecteur ou moralisateur. C’est ce qui fait la grande force et la qualité de son travail.

Comment sont choisis ses personnages ?

Helena Třeštíková choisit souvent des personnalités au parcours atypique, toujours fascinantes, parfois imprévisibles. Son choix, plutôt instinctif, est une sorte de pari sur l’avenir. 

La réalisation de séries autour de plusieurs personnages, lui permet de repérer des personnalités avec qui elle poursuivra l’aventure sur la durée, cette fois pour d’autres films. Ce fut le cas pour René, qui suit le sort d’un délinquant rencontré pour la première fois dans le cadre de la série Parle-moi de toi, ou encore Katka dont l’héroïne participait à la série Femmes au tournant du siècle

Katka – Official Trailer from Taskovski Films on Vimeo.

Les personnages choisis par Helena Třeštíková sont  toujours replacés dans un contexte historique et dans le contexte d’une société, ou en marge de celle-ci. Quoiqu’il en soit, ces histoires humaines donnent un point de vue sur la société tchèque dans laquelle elles s’inscrivent.

L’importance du contexte social, l’observation sociologique

La société tchèque et son actualité sont le fil rouge des histoires personnelles que nous raconte Helena Třeštíková. Son dernier film, par exemple, Cosmos privé, est largement ponctué d’images d’actualité diffusées par la télévision tchèque. 
Elle se passionne pour l’histoire de son pays comme pour celle de ses personnages et ne s’imagine pas du tout tourner ailleurs. Les changements des dernières décennies, les mutations actuelles sont toujours très présents, quand ils ne sont pas le sujet même du documentaire, tout comme la césure avant /après le communisme qui est un thème récurrent dans son œuvre.

Parallèlement à son activité de documentariste, elle a d’ailleurs fondé avec plusieurs sociologues et des réalisateurs, en 1991, la fondation Cinéma et Sociologie (Nadace Film a sociologie) avec l’objectif d’apporter un nouveau regard sur cette société en pleine transition post-communiste. 
Si certains de ses films tournent autour d’un personnage central, ils sont donc également pour elle, l’occasion de décrire des institutions, les centres pour délinquants par exemple ou des phénomènes sociaux, la toxicomanie, le divorce, etc..

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Une méthode qui n’est pas sans contrainte

Patience et persévérance

Pour accomplir ce travail de fourmi qui avance pas à pas, année après année, une grande dose de patience et de confiance dans son sujet sont indispensables. Les histoires se construisent  lentement, dans l’attente des événements qui font la signification d’une vie. Après chaque journée de tournage, Helena Třeštíková prend des notes et retranscrit tout ce qui a été filmé pour pouvoir revenir à tout moment sur le projet. Le montage lui-même n’interviendra que lorsque l’ensemble sera filmé.

Incertitudes

Helena Třeštíková fait un pari lorsqu’elle choisit ses personnages. Elle n’a jamais aucune certitude sur le résultat. Le sujet et son histoire se dessinent au fur et à mesure des années qui passent. La fin elle-même ne peut être fixée par avance. D’ailleurs, à quel moment déterminer la fin ?

« Les histoires que je filme ne se terminent pas avec la dernière image. J’espère revenir encore aux destins de mes héros. »

 Helena Třeštíková

Adaptations

Filmer sur une longue période implique l’utilisation de technologies différentes, le matériel évolue, les formats changent. Le montage peut alors devenir complexe. Aux évolutions technologiques, s’ajoutent les contraintes humaines. Il est rare qu’une équipe de tournage reste identique sur le projet d’un film et suive l’intégralité du tournage, surtout s’il dure plus de dix ans. 

En dehors de ces difficultés, une bonne organisation et une gestion du temps efficace semblent des qualités indispensables pour mener parallèlement plusieurs tournages, d’autant plus que les observations sont réalisées sur le long terme. Cosmos privé, par exemple, tourné sur trente-sept année, est sorti en janvier 2012. Sur cette période de trente-sept ans, Helena Třeštíková a réalisé environ cinquante films et achève, également en 2012, un projet sur un musicien rom Vojta Lavicka, tourné pendant seize ans…

Juste distance avec le sujet

Une sorte d’amitié naît inévitablement de ces relations sur la durée entre la documentariste et ses personnages. Elle peut s’avérer complexe, particulièrement avec certaines personnalités, elles-mêmes complexes.
L’équilibre nécessaire entre empathie et distance se révèle parfois  difficile à trouver mais Helena Třeštíková semble cependant toujours réussir ce pari. 
Par exemple, la relation avec René interfère de plus en plus dans la vie personnelle de la réalisatrice, jusqu’au cambriolage de son appartement par ce dernier. Après une interruption de deux ans, leur relation reprendra, épistolaire dans un premier temps.

portrait de René en couleur utilisé pour l'affiche du film
René, Taskovski Films, 2008

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Helena Třeštíková en quelques dates

1949 : Naissance à Prague

1972 : Viva Aqua
Premier documentaire dans le cadre de ses études : observation pendant un an de la vie d’un village devant être détruit pour créer un lac artificiel.

1975 : Miracle
Premier film professionnel, qui retrace un an de la vie d’une femme et  tous les changements auxquels elle doit faire face au moment de la naissance de son premier enfant. Cette femme est la mère de Honza, personnage central de Cosmos Privé, son dernier film.

1980 : Début du tournage d’Histoire de couple,  premier film utilisant les sauts temporels.
« C’est lorsque j’ai travaillé sur ce projet que j’ai commencé à penser à d’autres projets pour lesquels je pourrais appliquer cette méthode. » (Helena Třeštíková)

1987 : Histoires de couple
Six couples de jeunes mariés sont suivis pendant sept ans dans leur vie quotidienne, série réalisée pour la télévision tchécoslovaque.

1991 : Création de la Fondation du film et de la sociologie spécialisée dans les projets de « Time lapse », films qui reflètent le passage du temps et les changements qui les accompagnent.

1992 à 1997 :  Parle moi de toi
Série de portraits de jeunes délinquants suivis pendant 3 à 6 ans après leur sortie de prison : Pavlina (1992), René (1993), Lada ( 1994),  Martin ou d’avoir ou d’être (1994), Milan, l’incubation du Mal (1997)

2001 :  Femmes au tournant du millénaire
Série de films en « timelapse » parmi ces portraits, Katka à qui un autre film sera consacré.

2007 :  Marcela
Prix du meilleur documentaire européen au Festival international de Séville.
Portrait de Marcela, une des protagonistes d’Histoires de couple qui vit désormais seule avec ses deux enfants et rencontre de nombreuses difficultés.

2007 : Histoires de couple, 20 ans après
Helena Třeštíková retrouve les six couples observés lors de la première série en 1987 et les suit de nouveau pendant 6 ans.

2008 : René
Prix Arte de l’European Film academy et Prix du meilleur documentaire aux European Film Awards.

2010 : Katka
Deux prix aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal : Meilleur montage et Doc tap. Un portrait poignant qui retrace la bataille contre la drogue d’une jeune héroïnomane tchèque, filmé pendant quatorze ans.

2012 : Cosmos privé
Sortie en janvier en République tchèque et projection pour la première fois en France dans le cadre du Mois du film documentaire 2012. Le quotidien d’une famille tchèque filmé pendant trente-sept ans, avec, comme personnage central, le fils aîné de la famille Honza.

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Où voir les films d’Helena Třeštíková?

  • en ligne
    Realeyz.tv et Dafilms.fr proposent le visionnage en streaming ou le téléchargement de films d’Helena Třeštíková, sous-titrés en anglais. 

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Publié le 08/11/2012 - CC BY-SA 3.0 FR

Sélection de références

accéder au site du mois du film documentaire

Le Mois du Film documentaire

Cet événement national propose chaque année pendant un mois 1635 films dans des bibliothèques, cinémas, centres culturels…
Nous vous invitons à naviguer sur le site mis en place par Images en bibliothèque, coordinateur de cette fête du cinéma documentaire et vous trouverez certainement près de chez vous un film, un thème, une rencontre.

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