Appartient au dossier : Quand le réel se rebelle
Les procès littéraires #4 : Histoire de la violence, d’Édouard Louis
« Vérité littéraire ou vérité judiciaire »
Avec Histoire de la violence, Édouard Louis revendique n’avoir écrit aucune ligne de fiction. Il y raconte son viol par un homme, qui sera arrêté quelques années plus tard. La notion de vérité littéraire en fait une affaire unique dans l’histoire récente des procès de la littérature du réel.
Le livre
En 2016, Édouard Louis publie aux éditions du Seuil Histoire de la violence, un roman autobiographique qui raconte sa rencontre dans la rue, un soir de Noël, avec Reda, un jeune homme Kabyle qu’il invite chez lui. Les deux hommes passent la nuit ensemble. Au matin, la situation dégénère quand le narrateur constate la disparition de sa tablette et de son téléphone. Sous la menace d’une arme, Reda le frappe, l’étrangle et le viole avant de disparaître. Édouard Louis revendique que tout est vrai dans ce livre, qui est pourtant une construction littéraire. L’auteur et le narrateur ne font qu’un et « il n’y a pas une ligne de fiction » (entretien à Livres Hebdo, le 4 décembre 2015).
Les procès
C’est d’abord Édouard Louis qui porte plainte pour vol et agression sexuelle. Réticent dans un premier temps, il est convaincu par ses amis Didier Eribon et Geoffroy de Lagasnerie. Cinq ans plus tard (deux jours après la parution du livre), Reda B. est arrêté par la police pour trafic de stupéfiants et reconnu comme l’agresseur d’Édouard Louis grâce à l’analyse de son ADN. Il est placé en détention provisoire pendant onze mois mais il a toujours nié les faits.
En mars 2013, alors qu’il est en détention, Reda B. porte plainte à son tour contre Édouard Louis pour atteinte à la présomption d’innocence et à la vie privée. Il demande la modification du prénom dans toute nouvelle édition du livre, l’inclusion d’encarts dans les exemplaires en vente et 50 000 euros de dommages et intérêts. La plainte est jugée irrecevable par le tribunal (ses avocats demandaient que sur l’encart soit indiqué le nom complet de leur client alors qu’il avait refusé de se rendre à l’audience pour préserver son anonymat.)
Pendant son procès, Édouard Louis se constitue partie civile mais affirme regretter d’avoir porté plainte, se déclarant opposé aux peines de privation de la liberté. Il refuse la confrontation et ne se présente pas au procès. Reda B. est relaxé pour l’agression et condamné à trois mois de sursis pour vol aggravé.
Le livre comme preuve
Cette affaire est considérée comme un cas d’école sur le rapport entre « vérité littéraire et vérité judiciaire » (L’Obs du 13 décembre 2016). En l’absence de confrontation entre l’accusé et le plaignant et face à des déclarations contradictoires et sans preuves univoques, le livre est au cœur du procès malgré les déclarations de la présidente du tribunal qui répète que ce sont les faits qui sont jugés, et non le livre. Les témoins d’Édouard Louis s’y réfèrent pour dire que la vérité s’y trouve et l’avocate de Reda B. a versé le livre au dossier. Un livre présenté comme exempt de fiction peut-il servir de preuve dans un procès ? Il est en tous cas considéré comme tel par la partie civile, alors que pour l’avocate de l’accusé, c’est une confiscation de la parole et de la présomption d’innocence.
Publié le 01/03/2021 - CC BY-NC-SA 4.0
Pour aller plus loin
Le récit de la violence chez Edouard Louis : histoire d'un brouillage entre fiction et non-fiction et de ses conséquences │ France Culture, Signes des temps, février 2020
Inspiré d’un drame individuel, le deuxième roman d’Édouard Louis transpose une agression vécue par l’auteur en un récit universalisant de la violence. Cette mise à distance narrative fait naître une tension entre le caractère fictionnel et factuel du texte. Comment faut-il l’interpréter ?
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