Sélection

Appartient au dossier : Les Blank, Ross Brothers : l’Amérique en périphérie

6 ouvrages sur le documentaire indépendant aux États-Unis

Le cinéma documentaire aux États-Unis est modelé par des choix esthétiques divers, bouleversé par des innovations techniques, et traversé par des prises de position politiques et sociales. Balises vous recommande six ouvrages pour découvrir cette histoire passionnante, alors que la Cinémathèque du documentaire à la Bpi propose, en 2023, un cycle consacré à trois documentaristes états-uniens, Les Blank, ainsi que Bill et Turner Ross.

C’est dans les années 1930, à la suite de quelques propositions antérieures, qu’émerge aux États-Unis un cinéma du réel portant un regard sur la société américaine différent de celui de Hollywood. New York est alors un centre de la résistance politique et cinématographique, animé par des cinéastes affiliés au Parti communiste. Cette veine engagée à gauche du documentaire américain se teinte d’une attention sociale, notamment pour des personnes marginales ou discriminées, dans le cinéma underground des années 1950 à 1970 – on pense à des cinéastes comme Lionel Rogosin, Robert Kramer, ou Barbara Kopple. Elle connaît une riche postérité jusqu’à nos jours, avec des documentaristes tel·les que Michael Moore ou Laura Poitras.

Dans un même mouvement, d’autres cinéastes de la côte Est posent, dès les années 1960, un regard attentif et critique sur les institutions, comme Frederick Wiseman, ou sur les réalités sociales et la culture populaire, comme les frères Maysles. Portés comme eux par les innovations du cinéma direct, Robert Drew et de D. A. Pennebaker, originaires du Midwest, auscultent également la société américaine.

Un tournant intime du documentaire s’opère simultanément à New York, avec des personnalités telles que Jonas Mekas, qui se poursuit ailleurs sur la côte Est, décidément centre névralgique du documentaire, grâce par exemple aux films de Ross McElwee, basé à Boston. Cela n’empêche pas une activité documentaire importante dans d’autres régions du pays, en particulier sur la côte Ouest où réside Les Blank, qui porte quant à lui son regard sur la culture du sud des États-Unis. Un cinéma documentaire engagé voit notamment le jour à Los Angeles dans les années 1960, alternative à l’industrie cinématographique hollywoodienne. Si le cinéma documentaire indépendant états-unien se reconfigure aujourd’hui grâce à de nombreuses innovations technologiques et dans l’écosystème des réseaux sociaux, avec par exemple les desktop movies, il n’en reste pas moins un observateur attentif de la société américaine dans toute sa richesse et dans toute sa complexité.

Publié le 29/03/2023 - CC BY-SA 4.0

Notre sélection

Film on the Left. American Documentary Film from 1931 to 1942

William Alexander
Princeton University Press, 1981

Dans les années 1930, après la Grande Dépression, un groupe de documentaristes états-uniens décide de réaliser des films politiquement et socialement engagés. L’auteur de cet ouvrage, William Alexander, professeur associé d’Anglais à l’Université du Michigan, s’appuie sur de nombreuses archives de journaux, ainsi que sur des entretiens qu’il a menés dans les années 1970 avec plusieurs des cinéastes en question : Sam Brody, Leo Hurwitz, Ben Maddow, Ralph Steiner et Paul Strand. Il analyse ainsi les dynamiques du groupe, la forme de leurs engagements et leur postérité, en s’arrêtant sur plusieurs tournages de documentaires et de fictions effectués dans ce cadre.

Dans un premier chapitre, William Alexander raconte la naissance de la Workers Film and Photo League, syndicat de photographes, réalisateurs et cadreurs communistes, actif à New York entre 1930 et 1935. Il analyse ensuite le développement du groupe de cinéastes Nykino, aux ambitions esthétiques plus affirmées, et l’influence qu’a eue sur lui l’arrivée à New York du cinéaste Joris Ivens en 1936. En 1937, Nykino se restructure en une société de production, Frontier Films, qui sera active jusqu’en 1941 et dont les réalisations sont au cœur des derniers chapitres de cette étude.

Cet ouvrage en anglais, dense et très documenté, met en lumière un épisode méconnu et important de l’histoire du cinéma américain.

À la Bpi, niveau 3, 791.23(7) ALE

Direct Cinema. Observational Documentary and the Politics of the Sixties

Dave Saunders
Wallflower, 2007

Direct Cinema est un ouvrage en anglais, tiré de la thèse de doctorat en cinéma de Dave Saunders, et c’est aussi la première étude approfondie du mouvement du cinéma direct des années 1960 aux États-Unis. Dave Saunders commence par expliquer comment la culture de l’image aux États-Unis au 20e siècle a influencé la manière d’envisager le cinéma direct.  Il s’arrête longuement, pour ce faire, sur Primary (1960), film sur les primaires du parti démocrate réalisé par Robert Drew, qui fait figure de manifeste de ce courant documentaire. 

Il analyse ensuite comment les cinéastes du cinéma direct se sont fait les commentateurs de la contre-culture, en filmant notamment Bob Dylan dans Don’t Look Back (D. A. Pennebaker, 1967), mais aussi plusieurs concerts mythiques dans Monterey Pop (D. A. Pennebaker, 1968), Woodstock (Michael Wadleigh, 1970) et Gimme Shelter (David Maysles, Albert Maysles et Charlotte Zwerin, 1970).

Dans une troisième partie, l’auteur s’arrête longuement sur les cinq premiers films de Frederick Wiseman et sur leur critique des institutions. Il conclut en rappelant sa volonté de contextualiser l’apparition du cinéma direct dans la société américaine des années 1960, et en analysant la manière dont cette esthétique a été utilisée après les années 1970.

À la Bpi, niveau 3, 791.23(7) SAU

Shooting the Truth. The Rise of American Political Documentaries

James McEnteer
Praeger, 2005

Dans cet ouvrage en anglais, écrit sous la présidence conservatrice de George W. Bush, James McEnteer, alors chercheur et journaliste indépendant, analyse la dimension politique des films documentaires américains depuis les années 1960 jusqu’en 2005. Il se concentre sur des œuvres qui analysent le monde politique américain, et qui proposent des récits alternatifs de l’histoire états-unienne contemporaine.

Après avoir consacré deux chapitres à la manière dont s’élaborent les récits historiques officiels, il concentre son analyse sur quatre documentaristes engagés à gauche : Barbara Kopple, Michael Moore, Errol Morris et Robert Greenwald. Il conclut en analysant le traitement documentaire de la campagne présidentielle états-unienne de 2004, puis les tendances esthétiques dans les documentaires politiques les plus contemporains – et leur conséquences éthiques sur le traitement du réel.

À la Bpi, niveau 3, 791.23(7) MCE

American Ethnographic Film and Personal Documentary. The Cambridge Turn

Scott MacDonald
University of California Press, 2013

L’éminent chercheur en cinéma Scott MacDonald retrace, dans cet ouvrage en anglais, l’histoire du cinéma ethnographique et du documentaire personnel, à travers les cinéastes américain·es qui en ont permis le développement. Ces courants sont particulièrement représentés dans la région de Boston, grâce à des institutions telles que la MIT Film Section, ainsi que le Film Study Center, le Carpenter Center et le Visual and Environmental Studies Department de Harvard qui en ont soutenu l’émergence.

L’auteur revient notamment sur le travail et l’influence des réalisations de John Marshall, Robert Gardner, Timothy Asch, Ed Pincus, Miriam Weinstein, Alfred Guzzetti, Ross McElwee, Robb Moss, Nina Davenport, Steve Ascher et Jeanne Jordan, Michel Negroponte, John Gianvito, Alexander Olch, Amie Siegel, Ilisa Barbash et Lucien Castaing-Taylor.

À la Bpi, niveau 3, 791.23(7) MAC

Documentaires américains contemporains

Sylvie Thouard
L'Harmattan, 2001

Dans cet ouvrage, Sylvie Thouard redéfinit les contours du cinéma documentaire américain. Elle rappelle que ses origines et ses évolutions sont étroitement liées aux contextes historiques et politiques qui ont pu faire du documentaire un outil de propagande et de commande. Elle explique que le genre documentaire dépend également des innovations technologiques, avec notamment l’arrivée d’un matériel plus léger et plus maniable qui contribue à l’émergence du cinéma vérité. Elle évoque enfin le bouleversement que constitue un nouveau canal de diffusion, la télévision, permettant à un plus grand nombre de spectateur·rices d’avoir accès à ce cinéma.

L’autrice souligne l’importance des études ayant eu pour objet le cinéma documentaire aux États-Unis, et synthétise leurs différents axes d’analyse et de réflexion – la question de la preuve, la manipulation des spectateur·rices, la parenté du documentaire avec le film de fiction…

Cette étude est aussi l’occasion de revenir sur les films documentaires emblématiques des années 1980 et 1990, sur la définition du documentaire dit postmoderne, sur les mouvements sociaux et communautaires qui ont su utiliser cette forme cinématographique comme une tribune et un outil de lutte, ou encore sur la spécificité du documentaire américain de création ou indépendant, qui se définit comme tel à partir de critères économiques plus qu’artistiques. 

À la Bpi, niveau 3, 791.23(7) THO

Documentary Resistance. Social Change and Participatory Media

Angela J. Aguayo
Oxford University Press, 2019

Documentary Resistance: Social Change and Participatory Media explique comment le documentaire peut, de nos jours, être acteur d’un changement social s’il suscite une identification collective, mais aussi si la production se déroule au sein de structures engagées, qui soutiennent des cultures médiatiques militantes.

L’analyse d’Angela J. Aguayo s’appuie sur la recherche en cinéma, en médias et en communication, ainsi que sur la théorie culturelle, pour analyser comment des luttes pour la justice sociale aux États-Unis sont identifiées et représentées par le genre documentaire, à toutes les étapes de production des films. L’ouvrage comprend plus de soixante entretiens de terrain inédits avec des documentaristes, des critiques, des bailleur·ses de fonds, des activistes et des distributeur·rices.

À la Bpi, niveau 3, 791.23(7) AGU

Pour aller plus loin

« Zoom sur le cinéma documentaire indépendant américain », par Annick Peigné-July et Hélène Coppel | Le Blog documentaire, 2013

Un article précis et synthétique, avec des nombreux exemples, sur l’histoire du cinéma documentaire indépendant aux États-Unis.

Documentary Editing. Principles & Practice

Jacob Bricca
Routledge, 2018

Jacob Bricca, cinéaste et enseignant, a étudié le cinéma à l’American Film Institut. Dans cet ouvrage en anglais, il partage son expérience et reprend presque sous la forme d’un pas à pas le processus de création d’un film documentaire à travers l’étape clé du montage.

Il souligne, à l’aide d’exemples précis et d’illustrations, l’importance de la planification des scènes, qui doit être rigoureuse et exigeante pour transformer des images informes en scènes structurées. Il aborde la question du rythme, des transitions, de la narration, de l’incrustation d’archives, d’entretiens ou de musique et revient sur la spécificité de la relation que doivent entretenir le cinéaste et le ou la monteur·se.

Jacob Bricca met à l’honneur le travail de grandes figures du montage de documentaires américains (Geoffrey Richman, Kate Amend ou Mary Lampson) et termine son ouvrage par l’analyse de quatre films.

À la Bpi, niveau 3, 791.2(07) BRI

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