Chronologie

Histoire de l’industrialisation de l’élevage. Une course implacable à la productivité

Le modèle de l’élevage industriel se répand à travers le monde. L’animal, produit comme un autre, est optimisé dans les usines : amélioré par sélection, identifié pour la traçabilité, transplanté dans des environnements artificiels, réduit à ses besoins physiologiques… Comment en est-on arrivé là ? Peut-on concilier productivité, respect de l’animal et de son environnement ? Quelles sont les répercussions sur les êtres humains qui travaillent dans ces installations ? Balises retrace l’évolution du métier d’éleveur·euse et du rapport à l’animal.

Gros plan sur la tête d'une vache blonde. À son oreille, son étiquette d'identification
Photo de madasapsy, CC BY-NC-ND 2.0, via Flickr

Le métier d’éleveur·euse a profondément muté en quelques décennies, avec l’avancée de la technologie et sous l’influence de la concurrence d’un marché mondialisé. Les fermes familiales se raréfient et font place à de plus grandes structures, connectées, automatisées et closes. Les espoirs de productivité, de rentabilité et de moindre pénibilité, qui accompagnaient cette industrialisation, ne sont pas au rendez-vous. D’autres inconvénients apparaissent, comme la souffrance des animaux ou les impacts sur l’environnement. La multiplication des élevages intensifs dessert l’image des éleveur·euses, autant qu’elle distend leur lien avec l’animal, autrefois compagnon de travail. Retour sur les dates et les événements qui ont transformé le regard sur l’animal d’élevage.

Quelques définitions

gros plan sur un museau de veau qu'une main caresse

[Élevage] L’élevage désigne l’ensemble des activités mises en œuvre pour assurer la production, la reproduction et l’entretien des animaux dits domestiques. Encyclopédie Universalis

[Intensif] Se dit d’un élevage dont les animaux reçoivent une alimentation qui leur permet de réaliser de hautes performances zootechniques (forte production laitière, croissance forte et rapide). Larousse 

[Élevage intensif] L’élevage intensif consiste à élever un maximum d’animaux sur une surface minimale et à leur fournir une alimentation très riche afin de favoriser une croissance extrêmement rapide et/ou de garantir une production au rendement le plus élevé possible. OABA, association de protection des animaux de ferme, de l’élevage à l’abattage

Selon la législation française, les élevages intensifs de volailles ou de porcs sont des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Elles sont soumises à autorisation environnementale unique quand elles dépassent un seuil correspondant au nombre d’animaux détenus.

Il n’y a pas de consensus sur la définition de l’élevage industriel ou intensif. Élevage intensif, mégaferme ou regroupement d’exploitations, les mots varient aussi en fonction des opinions.

Chronologie

USDA Photo by Preston Keres sur RawPixels

À la fin du 19ᵉ siècle, les États-Unis mettent en place les premiers systèmes d’élevage bovin intensifs, dans une logique capitaliste. La chaîne de production est constituée de structures complémentaires : des élevages pour la reproduction, des parcs d’engraissement dans lesquels nourriture et médicaments sont administrés pour une croissance rapide des nombreux bovins (jusqu’à 100 000 têtes par unité d’élevage), puis les abattoirs. 

En France, la zootechnie débute et l’élevage se rationalise

1848 : Création de l’Institut agronomique de Versailles et ouverture d’une chaire de zootechnie, confiée à Émile Baudement, dont l’objectif est de « créer une doctrine nouvelle de la production animale fondée sur la science expérimentale et dont le caractère fondamental consiste précisément dans la manière de considérer le bétail en économie rurale ». L’animal est une « machine vivante à aptitudes multiples », étudiée sans son contexte (troupeau, géographie, relation à l’éleveur).

À partir du début du 20e siècle :  Début de la gestion contrôlée de la reproduction et des pedigrees (attestant de la généalogie d’une race). Vers le milieu du siècle, la spécialisation des lignées et les croisements génétiques débutent en Amérique du Nord, puis en Europe et dans les pays de l’OCDE (source : L’Ombre portée de l’élevage. Impacts environnementaux et options pour leur atténuation, FAO, 2009).

1946 : Création de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) par la loi du 18 mai 1946, comportant un secteur de recherche dédié aux productions animales.

reprise des données avec picto : en 1950, 47 millions de tonnes de viande sont produite dans le monde. En France, on consomme 30 kg de viande par an et par habitant

1950 : Abandon progressif des systèmes traditionnels de polyculture-élevage au profit d’une spécialisation dans un type de production. L’objectif : un meilleur rendement et des pratiques agricoles plus simples.

1952 :  L’édition 1952 du Larousse agricole retranscrit la volonté de normer et de concevoir des processus de rationalisation du travail, dans un objectif productiviste du milieu agricole de l’époque. Elle souligne la primauté du « devoir productif » collectif de l’agriculture par rapport à l’intérêt individuel de l’agriculteur·rice ou du groupe social auquel il ou elle appartient.

L’industrialisation de l’élevage

Poulets dans un poullailler à forte concentration
Photo de Artem Beliaikin sur Unsplash

1960 : Invention de la ferme industrielle (élevage hors sol, nourriture et soins calculés, surface par animal optimisée). (Source :L’Avenir de notre planète commence dans notre assiette, Jonathan Safran Foer). Pratique de l’insémination artificielle de manière courante (source : L’Ombre portée de l’élevage. Impacts environnementaux et options pour leur atténuation, FAO, 2009).

1966 : Solutions techniques pour compenser les comportements des animaux. Ex : Pour éviter l’agressivité des poulets envers leurs congénères, stressés par l’artificialisation de leur environnement, on leur pose des lentilles déformantes. Jugées peu commodes pour les travailleur·euses, les lentilles sont remplacées par le débecage électrique (source : L’Avenir de notre planète commence dans notre assiette, Jonathan Safran Foer).

1973 : Naissance de l’éthologie, avec les travaux fondateurs de Konrad Lorenz, Nikolaas Tinbergen et Karl von Frisch, prix Nobel de médecine et de physiologie 1973. L’éthologie étudie le comportement des animaux dans leur environnement naturel et social. Les éleveurs·euses sont incité·es à prendre en compte le bien-être de leurs bêtes pour obtenir plus de docilité et pour pouvoir travailler en sécurité.

En France, l’industrialisation des élevages décolle avec l’informatisation

1980 : Premier constat de pollution. Le rapport Hénin relève une contribution forte du secteur agricole au problème de pollution des eaux par les nitrates et réclame des actions sur les pratiques agricoles.

1980 : Début de l’informatisation des élevages. Apparition et diffusion des premiers logiciels agricoles dédiés à la comptabilité et à la gestion des troupeaux (suivi des vêlages, reproduction, production laitière, alimentation).

Années 2000 :  Apparition des stations de contrôle laitier automatisées, des colliers de détection d’activité et des premiers logiciels intégrés reliant données de production, reproduction et santé… )

Les éleveur·euses soulignent le gain de temps (pour 77 %) et la réduction de la pénibilité (pour 71 %), une certaine liberté dans l’organisation quotidienne. D’autres constatent une amélioration du bien-être animal et de la santé du troupeau. (Enquête de l’IDELE). La prise en compte des externalités négatives sur l’environnement demeure un angle mort à cette époque.

Étiquette et puce RFID à l'oreille d'une vache
Identification par RIFD. Crédits: Sandstein — Travail personnel, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons
Vache laitière dans un robot traite avec capteurs
Robot de traite. Crédits :St. Krug, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons

L’opinion publique prend conscience des externalités négatives des élevages intensifs

ferme des mille vache
Vue aérienne des bâtiments d’élevage composant la « ferme des mille vaches », situés à proximité de l’aérodrome d’Abbeville, 2016. NB80, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia

2006 : Élevage intensif, un problème pour le réchauffement climatique. Le rapport intitulé L’Ombre portée de l’élevage : enjeux et options environnementales déclare que l’élevage représente 18 % des émissions anthropiques. Il est publié par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), organisme qui « vise à évaluer l’impact total du secteur de l’élevage sur les problèmes environnementaux, ainsi que les approches techniques et politiques potentielles pour l’atténuation ».

2008 : L’excès de nitrates favorise la prolifération des algues vertes, notamment sur le littoral breton. En effet, « la région ne couvre que 7 % de la surface agricole française, mais concentre 50 % des élevages de porcs français, 50 % des élevages de volailles et 30  % des bovins » rappelle Reporterre. C’est le début du scandale sanitaire et environnemental des algues vertes.

2009 : Projet d’une exploitation laitière conçue pour 1 000 vaches, dans la Somme. Surnommée la ferme des mille vaches, elle ne fut autorisée à en accueillir que 500. Elle démarre son activité en 2014 et en accueillera 850. Projet très controversé, il est abandonné fin 2020. Ce projet a permis de médiatiser et de mettre à l’agenda du débat citoyen les questions de nature sociale, économique, environnementale et éthique (autour du bien-être animal, mais aussi du salariat et des conditions de travail).

2010 : Application de la génomique et du génotypage en sélection animale.

2016 : L’ONG Oxfam révèle qu’une majorité des 250 000 ouvrier·ères du secteur de la volaille aux États-Unis portent des couches au travail, faute de temps de pause suffisant pour aller aux toilettes.

2017 : Plus de 5 000 élevages laitiers sont équipés de robots de traite qui suivent en continu la production, la consommation de concentrés, les caractéristiques du lait, le poids des animaux, les comportements, l’état corporel… D’autres outils captent des données axées sur la gestion de la reproduction (insémination, mises bas).

2018 : Plus de 99 % des animaux consommés en Amérique avaient été élevés dans des fermes industrielles. 60 % de tous les mammifères de la Terre sont des animaux qu’on élève pour l’alimentation, 59 % de la terre fertile est utilisée pour nourrir le bétail (source : L’Avenir de notre planète commence dans notre assiette, Jonathan Safran Foer).
En Europe, 80 % des animaux d’élevage européens sont issus de systèmes intensifs (chiffres France Inter).
Chaque minute qui passe, à l’échelle de la planète, environ 115 000 animaux sont tués pour leur viande. (Les Filières animales françaises : caractéristiques, enjeux et perspectives, Lavoisier, 2014).

2021 : En France, plus de 8 animaux abattus sur 10 sont issus des élevages intensifs, selon l’association L214.

2022 : Bascule de l’opinion des Français·es : 83 % des interviewé·es pour une enquête IFOP se disent favorables à ce que les animaux d’élevage soient abattus non plus en abattoir mais sur leur lieu d’élevage, pour éviter les transports d’animaux, et 82 % adhèrent à l’idée selon laquelle « la pratique consistant à abattre des animaux en pleine conscience est inacceptable quelles que soient les circonstances ». Enfin, l’interdiction du transport d’animaux d’élevage vivants est approuvée par 85 %.

Et pourtant, peu de freins à l’élevage intensif

Crédits : Wolfgang Mennel, via Unsplash
truies reproductrices dans des cages de gestation
Farm Sanctuary, 2005, CC-BY-1, via Vikimedia Commons

2023 : 90 % des éleveur·euses sont connecté·es. 76 % des exploitations en bovins lait ou mixtes utilisent des logiciels spécialisés et 66 % utilisent des automates pour la traite, le nettoyage, l’alimentation. 

2024, la Commission européenne abandonne trois des quatre réformes du bien-être animal prévues de longue date de son programme de travail, dont l’interdiction de l’élevage en cage.

Source : Radio France

Avril 2025 : La Ferme du Pré, située dans l’Oise, obtient l’autorisation d’étendre son élevage intensif de volailles pour accueillir 1,2 million de poules.

Août 2025 : L’article 3 de la loi Duplomb prévoit un assouplissement des procédures d’autorisation environnementale, ce qui « pourrait conduire au doublement du nombre d’élevages industriels et du nombre d’animaux enfermés dans ces exploitations. Une pente extrêmement dangereuse pour notre modèle d’élevage », selon un collectif de six organisations. La loi relève notamment les seuils (ICPE) à partir desquels une autorisation environnementale est requise de 40 000 à 60 000 pour les poules pondeuses, de 2 000 à 3 000 pour les cochons et de 750 à 900 pour les truies reproductrices. 

2025 : L’Hexagone compte 3 075 exploitations de taille industrielle, dont 2 342 élevages de volailles, se plaçant en tête sur ce segment.

Un nouvel âge de l’élevage ?

2025 : La révolution par l’intelligence artificielle (IA). L’IA est perçue à la fois comme une aide à la décision (42 %) et un levier d’automatisation (31 %), capable d’optimiser la gestion des tâches répétitives et des ressources. Les usages émergents concernent : la surveillance prédictive des animaux (anticiper vêlages, chaleurs, maladies), les algorithmes de conduite du troupeau et de planification des accouplements, l’analyse d’images et de sons pour détecter précocement des troubles de santé, ou encore la gestion administrative assistée par IA (26 % des agriculteur·rices y voient un fort intérêt). En Chine, des gigaporcheries « intelligentes » sont déjà en activité depuis 2022. Abritée dans des immeubles de 26 étages, celle d’Ezhou, au centre de la Chine, peut accueillir jusqu’à 600 000 cochons.

Publié le 03/11/2025 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Le bien-être animal au cœur de nos élevages | Ministère de l’Agriculture, de l’Agro-alimentaire et de la Souveraineté alimentaire

Qu’est-ce que le bien-être animal ? Comment est-il pratiqué dans les élevages en France ? Qu’en est-il de la réglementation et du transport des animaux ?

The Face of European Farming (Le visage de l'agriculture européenne)

Les élevages intensifs prolifèrent en Europe, avec des milliers d’élevages industriels désormais en activité. Faut-il s’inquiéter ? Une enquête menée par Agtivist, un consortium de journalistes européen·nes.

FAO - Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture

L’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), créée en 1945, est l’agence spécialisée des Nations Unies qui mène les efforts internationaux vers l’élimination de la faim dans le monde. À cette fin, la FAO fournit une assistance technique aux pays en développement, produit des statistiques, synthétise les informations et harmonise les normes dans les domaines de la nutrition, l’agriculture, les forêts et la pêche. Elle organise des forums entre les États pour débattre des problèmes relatifs à l’agriculture, l’alimentation et la sécurité alimentaire et mène des actions d’information et de prévention auprès des populations.
Les statistiques d’indices de production de la FAO sur les cultures et le bétail sont enregistrées pour 278 produits. Un espace dédié aux systèmes d’élevage.

Mémento de zootechnie

Jean-Pierre Vaissaire
Éditions France agricole, 2023

Ce mémento présente les notions générales et transversales, avant de s’intéresser aux différentes espèces d’animaux avec des fiches techniques complètes sur leurs caractéristiques, leur mode de reproduction et d’alimentation, les points clés de l’élevage. © Électre 2023

À la Bpi, Santé, Sciences et Techniques, 636.08 VAI

Savoirs et controverses liés au bien-être des bovins. Comment des enseignants de zootechnie les prennent-ils en compte ? par Amélie Lipp et Laurence Simonneaux | Recherche en didactique des sciences et des technologies, n°18, 2018

Cet article étudie comment les controverses liées à la notion de sensibilité des bovins, orientent l’activité d’enseignement de trois enseignant·es de zootechnie de lycées professionnels agricoles.

À la Bpi, dans la base OpenEditions

Les Filières animales françaises. Caractéristiques, enjeux et perspectives

Marie-Pierre Ellies-Oury et Bordeaux Sciences agro.
Tec & doc-Lavoisier, 2014

Une synthèse des espèces animales élevées en France pour être consommées en alimentation : ruminants, équidés, volailles, coquillages. Pour chaque filière sont abordés le contexte de la production, le mode de conduite des animaux, la transformation et la valorisation des produits, le marché et les échanges.

À la Bpi, Santé, Sciences et Techniques, 636 FIL

Éthologie appliquée. Comportements animaux et humains, questions de société

Claude Baudoin, Alain Boissy et Minh-Hà Pham-Delègue
Quae, 2009

Panorama des diverses facettes de l’éthologie appliquée, discipline qui s’intéresse au comportement des animaux dans leur milieu habituel et en interaction avec l’humain·e. Études consacrées pour l’essentiel aux animaux d’élevage, aux relations qu’ils entretiennent avec les choix alimentaires, l’utilisation de l’espace agricole, la santé humaine.

À la Bpi, Santé, Sciences et Techniques, 592.3 BOI

Faut-il manger les animaux ?

Jonathan Safran Foer
Points, 2012

L’enquête se déroule en trois temps : après avoir convoqué souvenirs d’enfance, données statistiques et arguments philosophiques, l’écrivain interroge les croyances, mythes et traditions familiales et nationales liées aux relations que les hommes et les femmes entretiennent avec les animaux qu’ils et elles consomment. Il part ensuite en expédition clandestine sur le terrain entre élevages et usines d’abattage.

À la Bpi, Santé, Sciences et Techniques, 636 FOE

La Vérité sur la viande. L'Appel de 23 experts internationaux contre les menaces de l'élevage industriel : manger moins de viande peut sauver la planète

Niko Koffeman, Fabrice Nicolino et Marianne Thieme
Les Arènes, 2013

Cette enquête sur l’élevage industriel, s’appuyant sur les arguments et les données de 25 expert·es internationaux·ales, éclaire ses conséquences sur le réchauffement climatique.

À la Bpi, Santé, Sciences et Techniques, 636 VER

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