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Appartient au dossier : Être ingénieur aujourd’hui

Ingénierie durable 3/3 : la dépollution des sols

La conscience de la rareté des ressources naturelles et les lois environnementales incitent à une meilleure gestion des pollutions générées par l’activité industrielle et agricole. Mais il reste à régler le problème du passif. Comment traiter les sols et eaux pollués pour un nouvel usage sans risque ?
Balises vous présente trois tendances de l’ingénierie qui visent à réduire l’impact environnemental des installations humaines, pour accompagner la rencontre sur les évolutions du métier d’ingénieur organisée par la Bpi en février 2021.

Site industriel d'Hayange, en Moselle
Site industriel d’Hayanage, Moselle, par François Morard, [CC BY-ND 2.0] via Flickr

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Le modèle de l’eau

Les pollutions des sols et de l’eau sont étroitement liées puisque les polluants voyagent par capillarité, par ruissellement, par ventilation. Mais si les polluants à traiter sont sensiblement les mêmes, les traitements et les coûts diffèrent.

La dépollution de l’eau de surface entre dans un processus quotidien et industrialisé dont les acteurs sont bien identifiés. Chaque année, 15 300 usines d’eau potable produisent 6 milliards de m3 d’eau (source : SOeS-SSP, 2008). Cette eau est traitée par des procédés physiques, physico-chimiques, chimiques et biologiques. Le coût du traitement est à la charge de l’usager de l’eau, complété par des taxes sur le principe pollueur/payeur. L’eau étant considérée comme nécessaire à la vie, le suivi des ressources et le contrôle de la qualité de l’eau sont réguliers.

Particularités du sol

En 2018, la base Basol recense 6 800 sites et sols pollués ou potentiellement pollués en France. Ces situations de pollution sont souvent héritées du passé industriel du pays et le plus souvent découvertes à la fermeture d’un site ou lors d’un accident. Elles font l’objet d’une surveillance par l’État et les informations concernant ces sites sont mises à la disposition du public. Les pollutions issues des guerres, de l’agriculture, de la chasse ou du tir ne sont pas prises en compte dans la base Basol.

Le sol n’a longtemps été considéré que sous l’angle de la géologie, comme une matière inerte. La vie dans le sol n’est étudiée par des agronomes et des pédologues que depuis une soixantaine d’années. Ceux-ci ont mis en évidence sa vie microbienne et la fragilité de cet écosystème. D’après les auteurs de l’Atlas français des bactéries du sol de l’Inra Dijon, paru en 2018, il y a « un milliard de bactéries dans un gramme de sol et un million d’espèces différentes ». Les polluants, mais aussi certains traitements de dépollution, portent atteinte à cette vie et à la fertilité des terres. De plus, une grande partie des terres dépolluées hors site après excavation acquiert le statut de déchet et à ce titre fait l’objet de restriction d’usage et de précautions particulières. Sachant que 11 % des terres du monde sont cultivables sans contraintes majeures (déboisement, irrigation, relief…), il s’avère essentiel de préserver les terres de la pollution et de l’artificialisation, mais aussi de récupérer celles qui sont polluées.

Or, la dépollution du sol s’avère extrêmement complexe, longue et coûteuse, en raison de la nature du sol, de celle des polluants et de la combinaison de ceux-ci, de l’ancienneté de la pollution… Elle concerne des surfaces parfois si vastes et qu’aucune solution n’est applicable si ce n’est l’abandon des terres pour toute activité humaine ou agricole.

Évolutions de la politique de gestion de la pollution

En France, une commission du Sénat a enquêté de février à septembre 2020 sur la politique de gestion des sols pollués. Dans sa synthèse, elle réclame une définition législative de la pollution des sols comme pour l’eau ou l’air et constate un état des lieux fragmentaire des sites pollués. La commission préconise de meilleurs leviers pour actionner le principe pollueur-payeur, comme des garanties financières ou des assurances obligatoires pour les exploitants, ainsi que des délais de garantie plus longs. Elle déplore des coûts de dépollution dissuasifs. Ils peuvent parfois dépasser la valeur foncière du site à construire et favorisent un procédé : l’excavation des terres, traitement rapide mais peu écologique qui, de plus, est réalisé majoritairement à l’étranger. De nombreux procédés existent pourtant, mais ils ne sont pas industrialisés. Leur coût reste donc élevé, d’autant qu’il faut souvent combiner plusieurs traitements. La commission souhaiterait que les traitements de dépollution évoluent vers un système d’économie circulaire. 

En novembre 2020, le ministère de la Transition écologique faisait part à la Commission européenne de son projet d’arrêté fixant les critères de sortie du statut de déchet pour les terres excavées et sédiments ayant fait l’objet d’une préparation en vue d’une utilisation en génie civil ou en aménagement. Cette disposition a pour but de faciliter la valorisation des terres excavées et de dispenser les aménageurs de nouvelles contraintes induites par le statut de déchet.

Des projets prometteurs

La phytoremédiation, c’est-à-dire la dépollution opérée par des végétaux, est souvent le seul remède quand la pollution occupe de larges espaces. Elle nécessite de bien identifier les polluants pour sélectionner la ou les plantes les plus adaptées. Une fois que les végétaux ont rempli leur rôle en capturant les polluants, ils peuvent être revalorisés – compostage, eco-matériaux, méthanisation, bio-carburants, etc. Le projet de Thibaud Sauvageon, doctorant à l’université de Lorraine, fait appel à la phytoremédiation et la revalorisation. Il envisage de planter du chanvre sur les friches industrielles polluées de Lorraine. Cette plante deviendrait la matière première d’une production propre de textiles.

Avec leur projet Bioxyval, Gaëtan Urvoy et Stéfan Colombano étudient un protocole de traitements innovants permettant de réduire les coûts de dépollution aux HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques, des constituants de charbon ou de pétrole), une dépollution complexe qui concerne 16 % des sites pollués recensés dans Basol. L’objectif est de créer une filière de gestion de la dépollution spécifique et de revalorisation de ces sites pollués.
Leur méthode, testée dans une ancienne cokerie en Lorraine, consiste en un chauffage des terres à 50°C, puis un ajout d’oxydants novateurs et l’utilisation de bactéries pour résorber la pollution. Ensuite il faut remettre en fonction le sol en le reconstruisant par l’apport de matière organique, puis en le traitant avec de la chaux pour lui redonner de la consistance. La dernière étape sera la phytoremédiation : des plantes sélectionnées vont absorber la pollution restante. Le protocole s’étale sur plus de sept ans.

La nanoremédiation est également une piste sérieuse. Des nanoparticules de fer ont été testées sur les pollutions par composés chlorés ou par le chrome. Injectés dans le sol, in situ, elles ont montré leur efficacité pour dégrader ou immobiliser les polluants. Des études sur leur possible toxicité sur certains organismes doivent cependant être menées avant de généraliser leur emploi.

Publié le 18/01/2021 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Commission d'enquête sur les pollutions des sols │ Sénat

Des rapports, des vidéos et des infographies expliquent les travaux de la commission d’enquête sur les problèmes sanitaires et écologiques liés aux pollutions des sols qui ont accueilli des activités industrielles ou minières, et sur les politiques publiques et industrielles de réhabilitation de ces sols. Une vidéo  résume les objectifs et les constats de la Commission en trois minutes.

Écologiser le génie civil pour innover dans la restauration des écosystèmes │ Sciences eaux et territoires

Récit de la réhabilitation de la réserve naturelle des Coussouls-de-Crau suite à la rupture en 2009 d’une canalisation d’hydrocarbures sur le site. Des opérations d’ingénierie écologique originales ont pu être mises en œuvre grâce à un dialogue permanent entre les différents acteurs.

« Nous devons innover pour faire baisser les coûts de décontamination des sols » │Actu-environnement

Une interview de Stéfan Colombano (BRGM) et Gaëtan Urvoy (Eodd) pour présenter le projet Bioxyval, qui vise à valider des solutions de gestion intégrées de pollutions complexes de friches industrielles.

Phytoremédiation des sols │ Colloque Chimie et Nature

Jean-Louis Morel, professeur de biologie pour l’environnement à l’ENSAIA de Nancy, participait au colloque Chimie et Nature du 25 janvier 2012 organisé par la Maison de la chimie. Il présente les principes de la phytoremédiation des sols, mais aussi le phytominage qui permet la récupération des métaux du sol en utilisant des plantes « hyperaccumulatrices » et qui fait appel à de nombreuses disciplines : agronomie, chimie, génie des procédés.

« Une réhabilitation stupéfiante des sols » │ Ma thèse en BD

L’Université de Lorraine propose une version BD des travaux des finalistes de l’édition 2017 du concours « Ma thèse en 180 secondes ». Le sujet de recherche de Thibaud Sauvageon, doctorant au Laboratoire d’études et de recherche sur le matériau bois, s’intéresse à la valorisation de plantes fibreuses sur des sites pollués de la région.

Données sur les sols │Infoterre

Le site Infoterre héberge et diffuse les données du BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières), service géologique national. Sur la page dédiée à la politique de gestion des sites et sols pollués, sont résumés les objectifs et l’évolution du cadre législatif de cette politique, complétés par une recension très riche d’outils et de données.

Selecdepol, outil interactif de pré-sélection des techniques de dépollution et des mesures constructives

L’ADEME (l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) et le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) ont développé un outil qui permet d’identifier, sur des bases théoriques, les solutions de gestion de la dépollution a priori applicables. C’est un outil d’aide à la décision qui ne dispense pas du recours aux professionnels de la dépollution.

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