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Appartient au dossier : Le documentaire part à l’aventure

Intéresser les enfants au documentaire

Le genre documentaire est-il à même de captiver le public jeune ? Quels films peut-on leur proposer ? Balises a rencontré Arnaud Hée, programmateur à la Cinémathèque du documentaire et animateur du P’tit cycle « À l’aventure ! » au printemps 2022 à la Bpi, et Delphine Lizot, coordonnatrice à Passeurs d’images, pour tenter de répondre à ces questions.

Andrew Lozovyi © DepositPhotos

Une thématique qui plaît aux jeunes

De nombreux films du cycle « À l’aventure ! » conviennent aux jeunes spectateurs et la thématique de l’aventure constitue une belle porte d’entrée vers les documentaires pour ce type de public, d’après Arnaud Hée. Certains sont donc retenus pour le p’tit cycle auquel il ajoute d’autres films comme La Grande Aventure (1953) et L’Arc et la Flûte (1957), d’Arne Sucksdorff, des classiques qui bénéficient déjà d’une circulation jeune public. Il propose également des films référencés sur la plateforme Nanouk – un dispositif de médiation à destination du jeune public, des parents et des enseignants –, comme Chang (1927), de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack, ou le célèbre Nanouk l’esquimau (1922), de Robert Flaherty, déjà sélectionné pour la version tout public du cycle. Pour Arnaud Hée, « il y a quelque chose de très fort dans l’esprit d’aventure qui touche à l’esprit d’enfance, dans la croyance, la conviction, la manière de se mettre dans un récit ». Beaucoup de ces films parlent du quotidien de familles, ce qui permet une identification pour l’enfant, mais il ne faudrait pas limiter le jeune public aux films où figurent des gens de leur âge.

Un pari du programmateur

Pour Delphine Lizot, de l’association Passeurs d’images, plus que la thématique, « ce qui est important, c’est la posture de celui qui programme et qui va transmettre les films qu’il a envie de faire découvrir aux jeunes. Il ne faut pas forcément partir de la question ”qu’est-ce qui va les intéresser ?”, mais plutôt ”qu’est-ce qu’on a envie, nous programmateurs, de leur montrer comme film ?”. Ce n’est pas pour rien qu’on s’appelle Passeurs d’images. » Pour susciter une appétence vis-à-vis d’un documentaire, il faut être capable de partager l’amour pour ce film et cela commence par expliquer pourquoi on l’a choisi. « En primaire, les enfants ont une grande ouverture d’esprit et il y a moins de réserve à l’encontre des propositions qui sont faites par les pédagogues, les enseignants ou les programmateurs de cinéma ». affirme Delphine Lizot. Leurs goûts sont moins formatés que ceux des plus de onze ans. 

Quels types de documentaires pour le jeune public ?

Passeurs d’images gère la plateforme Nanouk qui accompagne les films du catalogue d’École et cinéma, un dispositif national permettant aux élèves de primaire et à leur professeur de voir des films au cinéma. Le catalogue École et cinéma comporte une centaine de films, sélectionnés en commission, présidée par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), avec les partenaires qui ont des liens étroits avec le dispositif École et cinéma. Le président du CNC recommande de privilégier le documentaire dans la sélection annuelle. 12 % des courts métrages de la base sont des documentaires et 5 % des longs métrages. Les films Bovines (2011), d’Emmanuel Gras ou Arbres(2002), de Sophie Bruneau et Marc-Antoine Roudil ont rejoint le catalogue récemment. On y trouve aussi quelques films qui ont des formes un peu hybrides : Nanouk l’esquimeau, qui peut être considéré comme un film dont le récit s’inspire fortement du réel, ou Chang, une fiction qui s’appuie sur une étude précise des modes de vie en Thaïlande, ou encore Chien jaune de Mongolie, qui n’est pas un documentaire à proprement parler mais qui a une forte veine naturaliste. « Ce ne sont pas des films réalisés pour des publics jeunes. Ce sont des films que nous, membres de la sélection, estimons pouvoir montrer à un public jeune », explique Delphine Lizot. Ce qui prévaut, ce ne sont pas les discours pédagogiques que peut avoir le film sur un sujet mais plutôt sa qualité artistique, car École et cinéma est un projet d’éducation artistique. Les critères qui président aux choix sont donc des critères esthétiques et des critères de compréhension partagée. Le genre documentaire est important à faire découvrir, de même que le cinéma d’animation, la comédie musicale, le cinéma expérimental… Les jeunes spectateurs doivent avoir accès à toute cette diversité. 

L’accompagnement permet de tout voir

Photographies extraites du film Chang produit par Paramount Pictures, issu du don Cooper et Schoedsack de 1928. Gallica, Bibliothèque nationale de France

« Tout film peut être montré à partir du moment où il est bien accompagné » déclare Arnaud Hée, tout en reconnaissant qu’il s’agit d’une formule. Les séances de son cycle jeune font l’objet d’une forme de médiation. Les films sont présentés, des anecdotes sur le tournage sont racontées. Avec les très jeunes, les intervenants abordent l’analyse de l’image par un travail sur le ressenti, le fait de nommer ou de formuler.

L’éducation au cinéma et à l’image est la mission de Passeurs d’images. L’association met de nombreux outils pédagogiques à disposition de l’enseignant sur la plateforme Nanouk. Ce matériel permet à ce dernier de monter un parcours de cinéma sur l’année autour des trois séances qui lui sont imposées lorsqu’il s’inscrit dans le dispositif. Il comporte des extraits du film et notamment la première séquence, un cahier de notes sur le film, une série de photogrammes, des images-ricochet pour faire des allers-retours avec d’autres disciplines artistiques, des extraits d’autres films qui font écho au film qui va être vu : tout le nécessaire pour contextualiser le film et créer un univers de référencement. Une partie de la plateforme est destinée aux enfants et à leurs familles pour partager l’expérience. Au cinéma, un programmateur jeune public accueille les jeunes spectateurs. Il a pour mission de présenter la séance en rappelant au public les spécificités du film : sa forme, le parti pris, la langue utilisée ou l’absence de paroles… « Le pari qu’on fait, c’est qu’en préparant les spectateurs à la séance, ils auront en main toutes les billes pour apprécier le film qu’ils vont voir. Les enfants sont des spectateurs très intelligents et très avides de découvertes », conclut Delphine Lizot.

Les critères de rejet d’un film

Delphine Lizot cite l’attention que porte la commission au fait que le film sélectionné propose une résolution. Une fin heureuse n’est pas nécessaire mais il est inconcevable de montrer à un jeune public, un film où, par exemple, les adultes sont démissionnaires ou un enfant abandonné par tout le monde. Pour Arnaud Hée, le cinéma ne doit pas toujours être une zone de confort, mais il ne s’agit pas de mettre les enfants dans l’inconfort non plus. Les films présentés sont adaptés au jeune public mais peuvent être dérangeants, susciter des émotions. Pour les plus anciens, certaines questions ne se posaient pas dans les mêmes termes qu’aujourd’hui. Des scènes qui ne choquaient pas à l’époque où ces films sont sortis pourraient révolter les enfants de sept ou huit ans, plus sensibles par exemple aux questions de mort animale, portées différemment par la société actuelle. 

Publié le 11/04/2022 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Nanouk - Plateforme pédagogique d’éducation au cinéma

Cette plateforme pédagogique en ligne accompagne le dispositif École et cinéma. Elle comporte trois parties. La partie publique s’adresse aux enfants et à leurs familles. Elle permet aux parents de préparer ou de prolonger la séance suivie par la classe de l’enfant. Les parties Enseignant et À l’école nécessitent une inscription préalable qui donne accès à des ressources et des outils pédagogiques.

Fonds d'aide au jeu vidéo (FAJV) | CNC

École et cinéma | Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC)

Depuis près de trente ans, ce dispositif d’éducation artistique et culturelle invite les élèves de primaire à découvrir des œuvres cinématographiques dans les salles de cinéma partenaires. Les séances sont accompagnées d’un travail en classe autour des films visionnés à partir de ressources pédagogiques mises à la disposition de l’enseignant.
Le bilan 2019-2020 comptabilise près d’un millions d’élèves ayant bénéficié de ce dispositif.

CinEd (Éducation cinématographique européenne pour les jeunes)

Cette plateforme numérique européenne propose 16 films européens et 3 programmes de courts métrages, dont des documentaires, adressés aux jeunes publics (de 6 à 19 ans) ainsi que du matériel pédagogique pour appréhender la richesse et la diversité du cinéma européen. L’accès aux films et contenus pédagogiques est gratuit mais réservé aux adhérents et porteurs de projets d’éducation à l’image.

Le Cinéma, 100 ans de jeunesse

Un dispositif qui propose aux jeunes une éducation au cinéma par l’analyse de l’image et par la réalisation de films.

Cinéma et Audiovisuel | Ministère de l'Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports.

Les objectifs d’éducation à l’image et la liste des projets ou opérations à destination du public scolaire.

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