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Au Liban, créer c’est espérer

Dans un pays en guerre, la création musicale peut être une arme contre le chaos. C’est ce que démontrent les réalisateurs français Grégoire Orio et Grégoire Couvert, dans leur documentaire Khamsin (2020) tourné au Liban entre 2016 et 2018, et projeté le 13 décembre 2024 dans le cadre des « Yeux doc à midi ».

Khamsin, film de Grégoire Orio et Grégoire Couvert (2020) @ Stank
Khamsin, film de Grégoire Orio et Grégoire Couvert (2020) @ Stank

« Faire de Beyrouth l’endroit où l’on a envie de vivre » ; « La musique s’est imposée. Elle me faisait respirer et me permettait d’avoir une projection de moi-même à long terme. »

Khamsin (Gégoire Orio et Grégoire Couvert, 2020)

Dans Khamsin (2020), de jeunes musicien·nes libanais·es racontent leur envie de vivre, de créer. Entre 2016 et 2018, les réalisateurs français Grégoire Orio et Grégoire Couvert ont suivi, avec leur caméra, Frédéric D. Oberland et Stéphane Pigneul, du groupe français Oiseaux-Tempête, partis à Beyrouth pour faire de la musique expérimentale avec des artistes libanais·es, malgré les tensions liées à la guerre civile syrienne et à l’afflux massif de réfugiés au Liban.

En assemblant témoignages, créations musicales, récitation d’un poème de Mahmoud Darwich et plans de la ville de Beyrouth abîmée par la guerre, les cinéastes traduisent en images et en sons les multiples visages du Liban d’aujourd’hui. Ils tentent de démontrer que la musique, le cinéma, la poésie, l’art en général sont des moyens, pour celles et ceux qui ont grandi avec la guerre de lutter contre un quotidien sans espoir. Khamsin s’inscrit dans la lignée de ces films libanais qui, comme le souligne Elie Yazbek dans Regards sur le cinéma libanais (1990-2010), « racontent principalement l’histoire d’une jeunesse qui cherche à se trouver une place et une identité dans un environnement qu’elle subit sans toujours comprendre ».

S’extraire du chaos

La caméra de Grégoire Orio et Grégoire Couvert filme au plus près celles et ceux dont ils recueillent les témoignages, qui disent l’horreur et décrivent leurs peurs. La proximité de la caméra rend palpable leur urgence à dire leur révolte à fleur de peau, leur écœurement à l’égard des guerres qui se succèdent et de la corruption dans leur pays, leur désir de vie. « C’était des sifflements et oui, c’était l’enfer » ; « On est dans un chaos, une incertitude »… Dans Khamsin, la jeunesse libanaise ne mâche pas ses mots. Elle se livre sans filtre, parfois face caméra, parfois en voix off, sur des images de la ville saccagée et d’immeubles marqués par des impacts de balles ou de bombes. Leurs paroles, leurs silences et leurs créations musicales sont des livres ouverts sur leur histoire, leurs perceptions de Beyrouth et du Liban.

Des sons contre des maux

Les cinéastes ont filmé les séances de travail durant lesquelles les musicien·nes expérimentent sons grinçants et métalliques, vibrations nerveuses, rythmes saccadés et circulaires pour donner à entendre à la fois leur élan vital et leurs doutes. Leur musique raconte ce manque de confiance dans l’avenir. L’esthétique des plans, au grain vaporeux ou sablonneux en raison du type d’appareil utilisé (un caméscope Sony Hi8), semble faire écho à l’esprit de la musique et aux propos de cette jeunesse confrontée à un « Liban [qui] ne va pas mieux mais [qui] danse », comme dirait Jean-Marie Quéméner dans Liban. La Guerre sans fin.

Et, finalement, la poésie plastique illustre les propos de Dima El-Horr, cinéaste et docteure en études cinématographiques, dans Mélancolie libanaise. Le Cinéma après la guerre civile : « […] la forme maladive, instable, fragile, comme conséquence d’une mémoire non digérée, s’applique parfaitement au cinéma libanais. »

Les battements d’ailes de la colombe blanche, prisonnière entre quatre murs dans Khamsin, symbolisent l’espoir au même titre que les pulsations de la musique qui redonnent aux Libanais·es du courage et un sens à leur vie dans un contexte de guerre sans fin.

Publié le 09/12/2024 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Oiseaux-Tempête x Frédéric D. Oberland - AL-‘AN! - Néoprisme

Le 3e épisode du périple méditerranéen d’Oiseaux-Tempête se conclut au Liban. Et c’est Frédéric D. Oberland qui, de nouveau, l’illustre.

Mélancolie libanaise. Le Cinéma après la guerre civile

Dima El-Horr
L'Harmattan, 2016

Cette étude du cinéma libanais de l’après-guerre civile retrace son histoire, analysant l’évolution d’un art qui s’est développé en parallèle des événements qui ont marqué le pays. S’appuyant sur l’analyse de plusieurs cinéastes et sur les personnages qui peuplent leurs films, il met en lumière la mélancolie qui en émane. La dernière partie est consacrée spécifiquement au cinéma de Gassan Salhab. © Électre 2016

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Regards sur le cinéma libanais (1990-2010)

Elie Yazbek
L'Harmattan, 2012

L’histoire du cinéma libanais de l’après-guerre à travers une lecture des thématiques abordées dans les films : l’exil, l’histoire du pays, la guerre, la représentation de Beyrouth…

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Liban. La Guerre sans fin

Jean-Marie Quéméner
Plon, 2017

Une étude sur la société libanaise contemporaine, mettant en lumière ses forces et ses faiblesses, notamment dans les domaines des droits civils et institutionnels. L’auteur montre également les traces persistantes de la guerre civile dans l’inconscient collectif, ravivées par le conflit syrien, et déplore le manque de volonté politique pour gagner en transparence historique. © Électre 2017

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Liban. Nation martyre

Robert Fisk
A & R éd.-[Panama], 2007

Le reporter international décrit les méandres de la guerre civile libanaise et analyse la politique étrangère des démocraties occidentales au Moyen-Orient. Témoignage également sur l’assassinat de Rafik Hariri et l’enchaînement de violence qui a suivi jusqu’à la guerre avec l’Israël.

À la Bpi, niveau 2, 328(576) FIS

Liban. La Guerre de 1975-1990 dans le rétroviseur

Carmen Hassoun Abou Jaoudé
L'Harmattan, 2020

Un dossier consacré à la guerre civile du Liban, articulé autour de trois axes de recherche : des faits méconnus ou négligés de la guerre comme les mobilisations ouvrières et sociales l’ayant précédée ou l’engagement du Hezbollah dans le conflit, des thèmes en marge des actes de guerre comme les adoptions illégales d’enfant ainsi que des analyses de la sortie de guerre et des enjeux de mémoire. © Électre 2020

À la Bpi, niveau 2, 957.6 HAS

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