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La Callas
La nouvelle voix de la légende

Les inconditionnels l’ont su avant tous et la presse spécialisée s’en est emparé avec délectation : un coffret sublissime de la Callas est sorti fin 2014 chez Warner. Les grincheux diront « encore ! », les irrévérencieux évoqueront un coup marketing, les fans seront en extase. La Bpi, pour votre unique plaisir (et à l’aveu, un peu le nôtre), a acquis ce bijou fabuleux, 26 opéras et 13 récitals, fruit d’une technologie de pointe au service de l’unique, de la soprano « assoluta » (absolue), Maria Callas.
Petite présentation de cette nouvelle acquisition à écouter sans modération, au 3e niveau de la Bpi, Espace Musique et Documents parlés.

Portrait de "Maria Callas divina"
Photographie « Maria Callas divina » de Cecil Beaton/Sotheby’s (CC BY-NC-SA 2.0)

Encore et toujours Callas

La Callas demeure l’alpha et l’oméga du chant, la soprano sfogato*nul chanteur lyrique contemporain ne pouvant prétendre se mesurer à sa notoriété, si ce n’est à son don. Le mystère a, bien sûr, été étudié, disséqué, les ressorts tragiques de son art et de sa vie mis à jour, en une tentative rationalisant la naissance du mythe. Car la légende s’explique : Callas a remis à l’honneur le répertoire lyrique italien du début du 19e siècle de Rossini, Donizetti et Bellini, avec notamment Norma, rôle qu’elle interpréta le plus ; elle alliait un jeu scénique magnétique à une voix unique et une technique vertigineuse (puissance, étendue, longueur de souffle, agilité mais surtout un timbre inclassable et unique). Combinés à l’exposition de sa vie sentimentale, à la fulgurance de sa carrière, à sa fin solitaire, ces points auraient suffit à jeter les bases d’une renommée spectaculaire mais il y eut plus : le mystère ultime, la perte de sa voix, l’incarnation finale d’une tragédie sans mesure. Autant d’éléments qui, conjugués et incarnés, ont fait naître une divinité du panthéon lyrique, la Divina, celle que l’on ne peut écouter sans invoquer cette légende, ces fantasmes qui resteront à jamais intrinsèquement liés à ce timbre. Il paraît délicat (ne mâchons pas nos mots, à notre sens cela est impossible) de croire que l’on peut encore l’entendre avec recul et objectivité, sans que ne surgisse la multitude d’émotions attachées à ce chant, les images, rares mais révélatrices, ô combien, de la profondeur de son engagement sur scène, et de la puissance superlative de sa présence.

Exemples très connus (mais on ne s’en lasse jamais), extraits du concert filmé lors d’une soirée de gala à l’Opéra de Paris le 19 décembre 1958 :
Norma, Casta Diva

Il Barbiere di Sviglia, Una voce poco fa, air de Rosina

Le producteur musical d’EMI, Walter Legge, avait senti sans conteste le potentiel de la chanteuse lorsqu’il la fit signer pour la marque en 1952. Ce sont ces enregistrements, l’ensemble des enregistrements en studio de la Callas pour EMI, qui sont proposés dans ce coffret édité par Warner (ce dernier a racheté une partie des actifs d’EMI en 2013).

Remasterisation de LA voix

Les enregistrements concernés ne constituent pas une simple réédition de ce que l’on avait déjà connu, les coffrets EMI parus en 1988 et 1997. Un travail considérable, déroulé sur plus d’une année, a permis aux ingénieurs et techniciens des studios d’Abbey Road de travailler sur les bandes magnétiques originales : pour la Carmen de 1964, il a même fallu rechercher la bande originale à Paris, inaccessible depuis cette même date. Ce projet s’accompagne d’une évidente mission patrimoniale de conservation des originaux qui ont dû être restaurés avant le travail de numérisation. La prouesse technique consiste en une numérisation en haute définition de ces bandes, une première, et a permis, ainsi, de nettoyer toute les imperfections et sons parasites, révélant une Callas nouvelle. Le chant et la voix sont délestés des oripeaux vieillis du filtre et de l’écho rajouté, les accompagnements instrumentaux eux-mêmes retrouvent une seconde jeunesse. 
A l’écoute, les journalistes se rêvent poètes :

« La voix de Callas semble à la fois plus lumineuse… et plus polémique que jamais, car nulle acidité, nulle fêlure n’échappe à l’oreille, par rapport aux transferts plus anciens qui adoucissaient le timbre en l’assombrissant. Surtout, ce phrasé suprême réapparaît dans son incroyable subtilité, la mouillure d’une lèvre impulsant une scansion rythmique qui ne s’alanguira qu’au bout du plus ténu des soupirs… »

(Extrait de l’article « Et la lumière fut » dans Diapason no 628, octobre 2014, par Vincent Agrech, p. 84-85.)

Cette même revue, no 629, en novembre 2014, soulignait l’apport de cette nouvelle édition qui « renoue avec ces merveilles d’antan, parfois même en les surpassant… » en la comparant aux vinyles produits à partir des pressages originaux (Thierry Soveaux, p. 131).

Un ensemble unique

le coffret

Ce travail de réédition présente des enregistrements de Callas s’échelonnant de 1949 à 1969. Si toutes les immortelles sont présentes (Norma, Tosca, Violetta, Lucia, Mimi ou Rosina) quelques perles jaillissent des premiers enregistrements de 1949 avec une Isolde, de Wagner, peu connue du grand public, ou encore, quelques airs de Mozart ou Beethoven. Un double CD de « raretés » propose des enregistrements de tests des sessions de 1953, 1960 et 1964-1965. L’enregistrement de Paris en 1961 avec Georges Prêtre, attire aussi l’oreille, avec une Callas, déjà vocalement tendue, mais qui se paye le luxe de passer de l’Orphée, de Gluck, et de Carmen à la Juliette de Gounod et la Philine du Mignon de Thomas !
Tout est déjà connu, certes, mais au-delà de la qualité d’écoute, ce coffret rassemble un ensemble homogène qui permet de suivre les évolutions du jeu vocal de la Divine sur deux décennies à travers 26 opéras et 13 récitals. Il a bien quelques redondances mais elles s’apprécient justement dans la dimension temporelle : il y a ainsi deux versions de Lucia, de 1953 et 1959, toutes deux sous la direction de Tullio Serafin ou encore deux Norma, l’une de 1954 l’autre de 1960 encore avec Serafin. 
On retrouve les compagnons de route dont les noms restent indéfectiblement liés à celui de Callas : le chef Tullio Serafin, le ténor Di Stefano bien sûr, mais aussi Tito Gobbi ou Nicolaï Gedda, ou encore Georges Prêtre dans les années 60, à la fin de sa carrière. L’accompagnement d’un riche livret de 132 pages, en plusieurs langues et à l’iconographie fournie, présente une histoire des enregistrements de la Callas chez EMI, une chronologie de sa carrière et un chapitre détaillé du travail technique effectué, le tout illustré de photographies de la cantatrice mais aussi de reproductions de lettres des années 50 et 60.

On pourrait digresser à l’infini sur la Divine, la matière ne manque pas et l’emphase n’est jamais loin (on aura noté que ce piège rédactionnel n’aura pas été évité). On soulignera simplement que cette nouvelle édition apporte une qualité de son inégalée jusqu’à présent, faisant dire à certains experts que la voix de la Callas en devient transfigurée. La Bpi, dans son offre à tous les publics de documents variés et, parfois, peu accessibles (ici, au regard du prix éditeur, on comprend aisément qu’il ne peut être question d’achat d’impulsion) vous invite à venir redécouvrir la voix éternelle de la Divina, à vous plonger dans l’écoute délectable du chant qui changea le 20e siècle et qui, dorénavant numérisé en « ultra-giga-méga haute-définition », traversera les siècles à venir, bouleversant nos descendants qui imploreront, peut-être, la « Casta Diva…a noi volgli il bel sembiante, senza nube e senza vel… » (« Chaste Déesse…tourne vers nous ton beau visage sans nuage et sans voile… » Norma, Vincenzo Bellini). 

* Soprano sfogatoPar « sfogato », on entend une voix de soprano possédant une grande étendue, largement supérieure à 2 octaves, aussi à l’aise dans son registre grave, puissant et développé, que dans ses aigus, pouvant atteindre la facilité du soprano léger colorature. Cette voix est caractérisée par son agilité et un timbre sombre et dramatique évoquant, dans l’ambitus le plus grave, le contralto. Ses plus illustres représentantes sont la Malibran, Isabella Colbran, Giuditta Pasta ou Pauline Viardot. Elles furent les inspiratrices pour la création de certains rôles interprétés par Callas : Norma, Amina dans la Somnambule, ou les divers rôles rossiniens, tous démontrant l’exigence de virtuosité et d’étendue attendues des interprètes. Callas passait pour avoir ressucité ces voix de légende du 19e siècle dont les possibilités semblaient sans limites. La distinction avec le soprano dramatique d’agilité semble ténue mais le sfogato paraît employé pour souligner l’exception vocale d’une chanteuse tandis que le dramatique d’agilité désigne un type de soprano.

Publié le 02/04/2015 - CC BY-SA 4.0

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