Interview

Appartient au dossier : La Chine, sur la voie de la puissance

La Chine sur le front de l’art

Arts - Politique et société

Le China Art Museum of Shanghai, musée d’art moderne installé dans l'ancien pavillon chinois de l'Expo 2010. - Hauke Musicaloris, CC BY 2.0, Flickr

La Chine, consciente des enjeux politiques, économiques et stratégiques de l’art, l’a inscrit dans sa politique internationale. Yun Kusuk, docteur en sociologie de l’art, curateur, et auteur de Territoires de l’art contemporain et mondialisation, ouvrage abordant la question du développement de l’art contemporain en Chine, au Japon et en Corée, revient sur l’évolution du statut de l’art en Chine.

Comment se porte le marché de l’art contemporain en Chine et quel rayonnement a-t-il à l’étranger ? 

En tant que secrétaire général du Parti communiste chinois, Deng Xiaoping annonçait en 1961 l’ouverture de la Chine vers le monde occidental, sur le modèle économique capitaliste. Après les Jeux olympiques de 2008, l’autorité chinoise opte pour une politique culturelle favorisant l’industrie du tourisme, la construction de musées, l’enrichissement des collections, la publication et la diffusion de revues d’art. Le gouvernement chinois réforme l’aspect juridique de la vente aux enchères, ce qui facilite l’émergence des stars de l’art contemporain sur le marché de l’art mondial. La nouvelle politique se matérialise par l’ouverture de dix sites culturels devenus aujourd’hui des lieux de pèlerinage pour les touristes et les amateurs d’art contemporain. De nombreuses entreprises publiques et privées acquièrent des œuvres d’art avec, en perspective, la création de musées ou de collections privées. Ces acquisitions ont suscité l’intérêt du gouvernement, qui a investi dans la construction massive d’environ 1 500 musées. 

Le monde de l’art contemporain a vu, dans les années quatre-vingt-dix, l’émergence et la reconnaissance d’artistes chinois emblématiques comme Zhang Xiaogang, Yue Minjun, Huang Yong Ping ou Fang Lijun, qui ont tous participé à la Biennale de Venise. La véritable explosion des artistes chinois a lieu au milieu des années deux-mille. Zhang Xiaogang vend Tiananmen Square pour 2,3 millions de dollars chez Christie’s à Hong Kong, en 2006. Zeng Fanzhi bat, en 2008, le record du prix d’une œuvre asiatique avec Mask Series 1996 No. 6, vendu 9,6 millions de dollars à la même maison de vente, puis établit un nouveau record avec une vente à 40,9 millions de dollars pour La Cène au Hong Kong Convention and Exhibition Center. En 2010, la Chine est le premier pays non-occidental dans l’histoire du marché de l’art mondial a remporté la première place de la vente aux enchères.
Les foires d’art contemporain et les galeries se développent à la même époque. La Shanghai Art Fair s’ouvre en 1997, suivi dix ans plus tard, du Sh Contemporary, regroupant à part égale une centaine de galeries asiatiques et occidentales. 256 galeries se sont installées en Chine en 2015 et la Hong Kong Art Fair invite aujourd’hui plus de 260 galeries issues de 38 pays. Le marché de l’art connaît une croissance exponentielle à tous les niveaux, et les nouvelles fortunes chinoises qui s’intéressent à l’art contemporain sont chaque jour plus nombreuses. 

Le China Art Museum of Shanghai, musée d’art moderne installé dans l’ancien pavillon chinois de l’Expo 2010. – Hauke Musicaloris, CC BY 2.0, Flickr

De nombreux artistes chinois ont choisi l’exil pour créer et pouvoir vivre de leur art. Est-ce toujours le cas aujourd’hui ?

Marqué par le régime maoïsme, l’art contemporain a longtemps été considéré comme « dégénéré ». L’art n’était qu’un service de l’État ou du peuple chinois qui doit se soumettre au pouvoir politique. Lors de la Révolution culturelle, à la fin des années soixante-dix, un groupe d’artistes pékinois appelé Xingpai (Étoiles) organise des expositions de jeunes artistes contestataires. Ce dynamisme de Pékin a permis l’émergence, en 1985, de 2 250 artistes, rassemblés sous le nom de Nouvelle Vague 85. Marquée par la manifestation de la place Tian’anmen, l’année quatre-vingt-neuf a été aussi un moment de révolution pour de jeunes artistes, qui ont initié l’exposition « Avant-garde chinoise » posant les bases d’une nouvelle esthétique : le « réalisme cynique ». Ces artistes exprimaient alors le désenchantement face aux changements rapides de la Chine dans le sillage de la mondialisation.
Les artistes chinois, internationalement connus en Occident comme Ai Weiwei, Yue Minjun, Zhang Xiaogang, Wang Guangyi, Fang Lijun ou Zeng Fanzhi, qui n’ont pas pu développer leur art à cette époque, se sont exilés vers les pays occidentaux. Certains d’entre eux comme Huang Yong Ping, Shen Yuan, Wang Keping ou Li Chevalier, se sont installés en France. 

Le gouvernement chinois a prononcé pour la première fois, en 2007, le terme « industrie de la culture », issu d’une nouvelle ligne politique appelée aussi soft power. Elle est mise en œuvre en 2009 avec un investissement astronomique. La Chine a compris que l’art contemporain peut rapporter de l’argent en charmant les Occidentaux par son parfum typiquement chinois. C’est ainsi que les artistes chinois utilisent l’exotisme esthétique provenant de l’ancien royaume en représentant la tête de Bouddha ou celle de Mao. La nouvelle génération d’artistes chinois émigre pour acquérir un succès international.

Mais, à partir des années deux-mille, la tendance change : de nombreux jeunes artistes restent en Chine tout en présentant activement leurs créations à l’étranger. Liu Bolin, artiste pékinois né en 1973 et surnommé « l’homme invisible », est reconnu, particulièrement en France. Liu Wei, né en 1972 à Pékin, travaille sur l’histoire récente de la Chine, dans son rapport au pouvoir, à la mémoire et à l’oubli. Née en 1978 à Guangzhou, Cao Fei doit sa renommée à ses films et ses installations reflétant le rapide changement de la société chinoise. Ren Ri, jeune artiste pékinois de 37 ans, est connu en Occident pour ses sculptures fabriquées à l’aide d’abeilles. Il est ainsi désormais admis que des artistes chinois peuvent accéder à une reconnaissance internationale tout en restant dans leur pays, devenu un nouveau terrain de promesses favorables à la création artistique.

Publié le 20/09/2021 - CC BY-SA 4.0

Territoires de l'art contemporain et mondialisation : l'Occident et trois pays d'Asie de l'Est : Japon, Chine, Corée du Sud, 1971-2010

Yun Kusuk
L'Harmattan, 2021

Avec la mondialisation, le monde occidental s’est vivement engagé dans la découverte des arts visuels du monde. Les artistes des pays dits « périphériques » tentent de répondre aux attentes du monde occidental dans leurs créations, espérant ainsi intégrer le réseau mondial dominé par quelques pays. Yun Kusuk s’intéresse plus particulièrement au Japon, à la Chine et à la Corée du Sud et étudie la manière dont les artistes issus de ces trois pays d’Asie communiquent sur la scène internationale de l’art contemporain.

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