La dette écologique, réparer le passé et assurer l’avenir
La dette écologique questionne la responsabilité de l’homme sur la nature. L’extraction excessive des ressources naturelles sur les territoires cause des préjudices à la fois à l’environnement et aux populations. Se pose alors la problématique d’une « justice restitutive » pour réparer les dégâts faits à la nature et à l’homme. Balises fait le point sur les enjeux de la dette écologique, pour accompagner la rencontre « Croissance et climat : un couple infernal ? ».
Le terme de dette écologique apparaît pour la première fois en 1985 dans le livret jaune Femmes en mouvement, écrit par l’écoféministe Eva-Maria Quistorp et édité par Bündnis 90, le Parti vert allemand. À la fin des années quatre-vingt, un débat est lancé en Amérique latine, autour de la disparition du « patrimoine vital de la naturalité ». Au Chili, le rapport Deuda Ecológia (« Dette écologique ») de Robleto et Marcelo est publié en 1992 par l’ONG Instituto de Ecológia Politica. L’institut met en cause les pays riches pour la production de chlorofluorocarbures qui est responsable en partie du trou dans la couche d’ozone. Il part du constat que la diminution de la couche d’ozone a des impacts en termes de coûts de santé.
Lors du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro en 1992, des ONG comme Accion Ecologica et les Amis de la Terre se rassemblent pour signer le Traité de la dette (Debt Treaty). Ce document insiste sur la reconnaissance de la dette écologique des pays du Nord envers ceux du Sud. Il appelle à l’annulation de la dette extérieure de ces derniers. Selon Accion Ecologica, la dette écologique peut être définie comme : « la dette accumulée par les pays industrialisés du Nord envers les pays du tiers-monde à cause du pillage des ressources, des dommages causés à l’environnement et l’occupation gratuite de l’environnement pour le dépôt des déchets, tels que les gaz à effet de serre, provenant des pays industrialisés ».
Parallèlement, à Jernelöv en Suède, est rédigé en 1995, le rapport Miljöskulden (« Dette environnementale ») pour le Conseil consultatif de l’environnement. Les chercheurs suédois calculent la « dette environnementale générationnelle » de leur pays et l’estiment à 60 milliards de dollars.
Un calcul qui fait débat
Il existe un dissensus autour de la méthodologie de calcul de la dette écologique. Les économistes de l’environnement parlent d’« évaluation » et de « monétarisation » des actifs environnementaux alors que les ONG se disent défavorables à l’idée d’estimation monétaire des biens de la nature. Elles considèrent que la valeur de l’environnement est difficile à établir. De nombreux paramètres sont à prendre en compte dans le calcul monétaire de la dette écologique. Par exemple, les impacts environnementaux de certaines pratiques sont incertains, et peuvent être différents d’un lieu à un autre. Ou encore, le coût doit prendre en compte la relation éthique lorsque les peuples donnent à la nature dans laquelle ils vivent un caractère sacré.
La dette écologique peut être quantifiée en fonction de quatre variables :
La dette du carbone prend en compte les dégâts environnementaux futurs liés aux gaz à effet de serre émis par les pays industrialisés.
Les passifs environnementaux correspondent à l’extraction de ressources naturelles dont l’exportation sous-rémunérée sera néfaste aux pays producteurs. Il s’agit par exemple du pétrole, des minerais, ou encore des ressources forestières et marines.
La biopiraterie se définit comme l’accaparement, par l’industrie agro-alimentaire, de connaissances traditionnelles dans le domaine des semences et des plantes médicinales.
L’exportation de déchets dangereux vers les pays en développement qui les stockent à bas coût sur leur territoire.
Chaque aspect de la dette est quantifié grâce à des indicateurs physiques. Il est ensuite analysé grâce à des normes qui définissent ce qu’est une utilisation soutenable des ressources.
En 2003, le chercheur américain Mariano Torras a proposé un modèle de calcul de la dette écologique à partir de l’indicateur d’empreinte écologique. Il a identifié seize pays à fort « déficit écologique », c’est-à-dire ceux dont l’empreinte écologique est supérieure au potentiel de leurs propres ressources naturelles. Son étude évalue leur déficit écologique total mesuré en hectares de terre. Selon lui, 10 % de leur déficit annuel est lié à l’exploitation de territoires appartenant à quarante-six pays du Sud. Il donne à chaque hectare exploité une valeur monétaire moyenne. Son calcul met en évidence que la dette écologique des pays du Nord est supérieure à la dette financière des pays du Sud. Cependant, cette méthode illustre la difficulté de calcul de la dette écologique car elle repose sur des hypothèses et des facteurs variables dans le temps et l’espace.
Pour une éthique de la dette écologique
Le concept de dette écologique s’appuie sur l’éthique environnementale, c’est-à-dire sur les responsabilités que l’homme a vis-à-vis de la nature. Les emprunts à la biodiversité, au sol et au sous-sol de la Terre induisent des dédommagements sur le long terme. Le philosophe américain Paul Taylor parle de « justice restitutive » pour rembourser la dette écologique et réparer les dégâts faits sur les organismes vivants. Cette contrepartie relève, selon lui, de « l’éthique biocentrique » qui considère que tous les êtres vivants possèdent une valeur intrinsèque et ont droit au respect. Pour l’écologiste américain Aldo Léopold, la communauté biotique, c’est-à-dire tous les êtres vivants et non-vivants sur Terre, doit être préservée de manière juste et pérenne. Il utilise le terme d’« éthique écocentrique » pour désigner le rôle de l’homme sur le maintien du bon fonctionnement des écosystèmes et des processus écologiques. Pour lui, toute disparition d’une espèce vivante aura des conséquences « injustes » sur l’environnement. Ces deux perspectives suggèrent que l’homme a une dette écologique envers la nature et qu’il doit la rembourser dans son intégralité. L’idée de restauration de la nature est un « compromis », d’après le sociologue Jack Katz. Il est impossible de lui redonner son état originel. La dette apparaît comme non-remboursable car la nature fait un don permanent qui implique un contre-don équivalent.
Ces approches sont à mettre en parallèle avec l’idée d’une dette écologique anthropocentrée, où les responsabilités des dommages causés à la nature sont partagées. La dette peut être intergénérationnelle. Dans ce cas, les générations du passé ont utilisé des ressources naturelles et ont, en contrepartie, créé des biens de production nécessaires à la survie des générations futures. Cette dette s’apparente plus à un échange entre générations et renvoie à l’idée de succession au sein d’un même groupe. Elle est intragénérationnelle quand une même génération a contracté une dette envers une autre génération et peut s’en acquitter. Une génération d’un pays « riche » qui a utilisé les ressources d’un pays « pauvre » doit prévoir les contreparties financières pour dédommager la génération impactée par d’éventuelles externalités environnementales. Cette dette pose la question de la capacité de remboursement. Par exemple, entre 1964 et 1990, lors de l’affaire de déversement de déchets toxiques liés à l’extraction pétrolière en Amazonie équatorienne, la justice néerlandaise a condamné la multinationale Chevron à verser 9,5 milliards de dollars au collectif représentant les Indiens autochtones.
Un cadre juridique et économique ambivalent
Pour les chercheurs de l’université de Gand, la responsabilité d’une dette écologique revient aux États ou aux communautés d’États qui appliquent des règles juridiques en matière de gestion des ressources naturelles. Ces ressources peuvent être présentes sur plusieurs territoires et concerner différents États. Lorsque des dommages ont été causés à l’environnement du territoire exploité et portent atteinte à la pérennité et à l’intégrité de celui-ci, il y a alors une dette écologique d’un État envers un autre État. Le droit international et le droit environnemental sont alors mobilisés pour résoudre un conflit qui peut concerner de nombreuses parties prenantes comme les communautés locales, les entreprises, la société civile.
Dès lors qu’un État adhère au cadre juridique d’un marché mondial pour l’allocation de ses ressources naturelles, il s’inscrit dans un système économique générateur d’un « échange écologiquement inégal », explique l’économiste espagnol Juan Martinez Alier. Les prix des produits exportés par les États « pauvres » ne tiennent pas compte des coûts sociaux et environnementaux liés à leur production. Selon Noémie Candiago, doctorante au Centre d’étude juridique et politique (CEJEP), la dette écologique est porteuse d’un cadre économique et juridique « ambivalent ». Les États sont à la fois souverains dans leur gestion des ressources naturelles et soumis aux lois du marché financier. La constitution d’une contre-culture juridique et écologique a permis de contester cet ordre économique établi. De ce courant de pensée a émergé la dette écologique qui constitue désormais « une approche critique déconstructiviste ».
L’ouvrage expose les principes de la compensation, dispositif social utilisé pour réparer un préjudice personnel, et analyse ses conditions d’efficacité lorsqu’il s’applique aux politiques publiques environnementales.
Alors qu’on s’interroge sur la soutenabilité de la dette publique, focus sur la dette cachée de nos économies, la dette écologique qui fragilise l’avenir de notre croissance et de nos organisations.
L’objet de ce colloque est de tester la validité scientifique du concept de dette écologique. Il vise à permettre à des chercheurs d’échanger, dans une logique expérimentale, sur leur définition d’une « dette écologique », sur la pertinence du concept, sa force théorique et son potentiel en terme d’effectivité.
La dette écologique est un discours politique qui s’est développé au début des années quatre-vingt-dix pour lutter contre le fardeau des dettes financières qui grevait les budgets des États en développement. États et société civile se sont alors appropriés les acquis théoriques et pratiques des sciences économiques et sociales pour contester un ordre du monde inégalitaire et conduisant à la dégradation continue de l’environnement, caractéristique d’un « échange écologiquement inégal ». Mais dans la bouche des différents acteurs, la dette écologique a pris des sens différents, si bien que l’on peut dissocier quatre discours de la dette écologique. À chacun de ces discours correspondent un ou plusieurs outils juridiques, outils qui, après analyse, s’avèrent souvent inaptes à valider les prétentions des partisans de la dette écologique.
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