Interview

Appartient au dossier : En luttes ! Qu’en pensent les plantes ?

« Le droit de la nature considère l’interdépendance entre humains et non-humains »
Entretien avec Marine Calmet

Économie et droit

Image par jesslef de Pixabay

Marine Calmet, juriste spécialisée en droit de l’environnement et présidente de l’association Wild Legal, milite pour faire reconnaître les droits de la nature et établir un nouveau rapport au vivant.
Elle répond aux questions de Balises dans le cadre du cycle sur l’intelligence des plantes organisé par la Bpi en 2020. 

Qu’apporte l’idée de « droit de la nature » et en quoi ce droit diffère du « droit de l’environnement » ?

Le droit de l’environnement est très sectorisé, avec des lois qui limitent l’usage qu’on peut faire de l’eau, des sous-sols, des plantes, etc. C’est un droit qui relève souvent d’une conception anthropocentrée de la nature : les entités naturelles sont protégées partiellement et seulement en raison de leur utilité pour les humains ou pour leur valeur monétaire.

Le droit de la nature prend en considération le lien d’interdépendance entre les humains et les non-humains. Les humains sont dépendants de leur écosystème, il faut donc protéger l’environnement en donnant aux entités naturelles des droits similaires aux humains à vivre et à perdurer.

Des plantes poussent sur un terrain vague, devant une usine crachant ses fumées
Photo by Wim van’t Einde – Unsplash [CC0]

Est-ce une idée nouvelle ?

Historiquement, de nombreuses cultures ont reconnu des droits aux entités naturelles. Le respect de la Terre-Mère, la Pachamama, se retrouve chez les sociétés premières d’Amérique du Sud. En Afrique du Nord, la gestion de l’eau se faisait en commun en veillant à la durabilité. En Europe du Nord, les territoires pour l’agriculture et l’élevage ont longtemps été gérés et protégés collectivement par les hommes. On a cessé de reconnaître des droits à la nature assez tardivement dans l’histoire humaine : d’abord avec le mouvement des enclosures, c’est-à-dire l’appropriation privée des terres, puis avec l’industrialisation. 

Ces questions ont fait leur retour dans les années soixante-dix. Le juriste Christopher Stone, en s’opposant à un projet de la compagnie Disney qui nécessitait de raser une forêt de séquoias, s’est interrogé sur la possibilité pour des arbres d’être aussi des sujets de droit. À partir de là, la question de la valeur intrinsèque des éléments naturels et de la reconnaissance de leurs droits s’est posée de nouveau.

Quels sont aujourd’hui les droits reconnus aux entités naturelles ? 

Il y a de nombreux exemples. En 2008, l’Équateur a inscrit les droits de la nature dans sa constitution. En 2010, la Bolivie a voté une loi sur « les droits de la Terre Nourricière ».

Les exemples de reconnaissance de droits à des entités naturelles se multiplient également.En 2014, la Nouvelle-Zélande a reconnu que le parc national de Te Urewara disposait d’une personnalité juridique. Ses droits sont garantis et défendus en cotutelle par l’État et par les peuples maoris qui considèrent qu’ils ont un lien de filiation avec la nature.  

L’une des dernières réussites majeures, c’est la reconnaissance des droits de la forêt amazonienne de Colombie. Au départ, de jeunes colombiens ont attaqué en justice l’État de Colombie car la déforestation s’accélérait alors l’État s’était engagé à la réduire en signant l’Accord de Paris. En avril 2018, la Cour suprême de Colombie a reconnu la forêt d’Amazonie colombienne comme un « sujet de droit » que l’État a le devoir de protéger, d’entretenir, de restaurer. Cela a obligé l’État à mettre en place un plan d’action pour lutter contre la déforestation.

La déforestation et les incendies dans la forêt amazonienne au Brésil durant l’été 2019 ont montré que la communauté internationale ne dispose d’aucun outil juridique adapté. C’est pourquoi la juriste Valérie Cabane tente de faire reconnaître le crime d’écocide par la Cour pénale internationale. La demande a été faite officiellement l’année dernière par le Vanuatu. Cela nécessite de modifier les statuts de la CPI, ce qui ne se fera pas sans de longues négociations auprès de tous les États membres.

Le droit est-il un levier plus efficace que la politique pour faire avancer la cause écologique ? 

Les juristes peuvent faire évoluer la lecture du droit, en essayant d’obtenir des jurisprudences qui prennent en compte une nouvelle vision des problèmes écologiques, centrée sur le vivant et non sur les seuls intérêts humains ou sur les intérêts économiques. Mais nous travaillons aussi sur l’écriture du droit en intervenant sur des propositions de lois ou en proposant d’introduire la question écologique dans la constitution. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs reconnu, le 31 janvier 2020, une valeur constitutionnelle à la protection de l’environnement. Pour que les droits de la nature soient inscrits dans notre corps juridique, il faut donc que la politique se préoccupe de ces questions. 

L’association Wild Legal que je préside lutte aujourd’hui pour qu’un organisme soit dédié, en France, à l’évaluation des activités humaines en appliquant le concept des limites planétaires. Ces limites correspondent aux équilibres biologiques de la terre à divers niveaux :  les émissions de gaz à effet de serre, la disparition de la biodiversité, la transformation de l’usage des sols, les captations en eau potable… L’enjeu est d’analyser la viabilité des activités humaines au regard du bon fonctionnement des écosystèmes. Le Ministère de l’Écologie emprunte cette voie dans son dernier rapport sur l’état de l’environnement. Il s’appuie sur les limites planétaires et conclut sur un large dépassement de celles-ci. C’est un premier pas…  

Publié le 02/03/2020 - CC BY-SA 3.0 FR

Sélection de références

Des droits pour la nature

Collectif
Utopia, 2016

Cet ouvrage collectif a été écrit pendant la COP21 dans le cadre du troisième Tribunal international des droits de la Nature. Il rassemble les contributions de spécialistes et militants d’ONG qui proposent que de nouveaux droits soient accordés aux écosystèmes. Ils luttent pour que le crime d’« écocide » soit reconnu et vienne punir les atteintes à l’environnement.

Les Arbres doivent-ils pouvoir plaider ?

Christopher D. Stone
Le Passager clandestin, 2017

Pionnier du droit de la nature, Christopher D. Stone a été l’un des premiers juristes occidentaux à affirmer la nécessité d’accorder des droits aux entités naturelles. En 1972, opposé à la destruction d’une forêt de séquoias pour construire un parc Disney, il publie ce texte devenu un classique pour la reconnaissance des droits de la nature. Le texte de Stone est précédé d’une préface de Catherine Larrère qui relie cette réflexion aux luttes environnementales contemporaines.

À la Bpi, niveau 3, 341.68 STO

 

Couverture du livre Un nouveau droit pour la Terre

Un nouveau droit pour la Terre : pour en finir avec l'écocide

Valérie Cabanes
Le Seuil, 2016

Valérie Cabanes, juriste en droit international, défend le projet de faire reconnaitre la nature comme sujet de droit. La destruction de la nature ruine les conditions de la vie sur Terre, pour les humains comme pour les non-humains. Faire reconnaître le crime d’écocide et les limites planétaires en droit international est nécessaire pour protéger la vie des générations actuelles et préserver les générations futures.

À la Bpi, niveau 3, 341.68 CAB

Logo de Nature rights

Nature Rights

Nature Rights est une association engagée pour la préservation des droits de la nature et des peuples autochtones. Elle fédère un réseau d’ONG qui œuvrent, sur tous les continents, à la mise en place de systèmes de gouvernance relevant du « Droit de la Terre » et soutient les initiatives émergentes dans ce domaine.

Image de Wild Lega

Wild Legal

Wild Legal a pour objectif le développement des connaissances et compétences juridiques via des cycles de conférences, actions collectives, et concours de plaidoiries sur la justice environnementale. En proposant une méthode de formation et en diffusant des informations, cette association souhaite démocratiser et faire appliquer le droit de la nature.

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