Interview

La disparition des abeilles en chorégraphie
Entretien avec Veronika Akopova

Arts

Photo de Paweł Wyszomirski, Flying bodies across the fields, avec l’aimable autorisation de Veronika Akopova

Avec quatre interprètes et un essaim de drones, la chorégraphe Veronika Akopova explore dans son spectacle Flying bodies across the fields le phénomène de disparition progressive des abeilles et le recours à des drones pollinisateurs pour compenser le déclin. À l’occasion du forum « Environnement, que faire pour demain ? », Balises l’a interrogée sur ses créations.

Quel est votre parcours artistique ?

Je commence la danse à l’âge de 5 ans, en Russie. Diplômée de la faculté des lettres de l’Université d’État de Moscou et du Collège universitaire français, je reçois une bourse du gouvernement français pour mener une recherche sur les rapports entre poésie et danse à Paris-Sorbonne.

Je me forme en tant qu’artiste chorégraphique à ACTS, l’école de Danse contemporaine de Paris, où je rencontre Sylvain Groud et rejoins ses propositions artistiques au CHU de Rouen. Il s’agissait « d’aller à la rencontre du corps à l’hôpital, du corps empêché par les actes médicaux ». Je rencontre également Iván Pérez (chorégraphe pour le ballet de l’Opéra de Paris, le NDT 2) et danse dans ses pièces The Inhabitants, Impression et Becoming au Dance Theatre Heidelberg, en Allemagne. En tant qu’interprète, je travaille également avec la compagnie israélienne C.a.t.a.m.o.n dance group, pour la pièce Sub-mission, une coopération entre la Russie, Israël et le Brésil. Je suis lauréate 2020 du Fonds régional pour les talents émergents (FoRTE Île-de-France) avec Flying bodies across the fields, ma première pièce chorégraphique, explorant le phénomène de disparition des abeilles et le recours à des drones pollinisateurs pour compenser cette perte.

Comment est née l’idée de Flying bodies across the fields ?

Flying bodies across the fields est une convergence de plusieurs éléments : l’idée d’allier le corps et le végétal dans les costumes, l’intérêt esthétique pour les insectes, une rencontre avec les drones, un rapport sensible à la nature, et enfin une campagne choc de Greenpeace représentant un champ où les fleurs sont butinées par des robots volants. Puis, en faisant des recherches, je me suis rendu compte que les tentatives de remplacer les abeilles par des drones étaient bien réelles, que cette peur de la disparition des abeilles était profondément ancrée dans notre société et dans notre inconscient collectif depuis l’Antiquité. La figure mythologique d’Aristée, premier apiculteur chez les grecs, un être mi-humain mi-divin ayant vu ses abeilles disparaître subitement, inspire le personnage d’apiculteur-programmeur de drones dans Flying bodies across the fields.

Photo de Paweł Wyszomirski, Flying bodies across the fields, avec l’aimable autorisation de Veronika Akopova

Quel message vous paraît le plus important à transmettre dans Flying bodies across the fields ?

Dans Flying bodies across the fields, j’aimerais parler des tentatives de l’humain de recréer des palliatifs face à des choses qu’il ne contrôle plus et de ses difficultés à imiter la nature. À travers la danse, il s’agit de montrer ce vivant innové, qui essaye de s’adapter à la nouvelle abeille, des corps qui se réinventent et recherchent leur forme et leur survie. J’aimerais livrer une réflexion métaphorique sur la place du vivant dans un monde où la machine serait responsable de la reproduction des plantes, et donc de la création de vie.

Comment avez-vous choisi la musique pour entrer en résonance avec la chorégraphie ?

La création musicale pour Flying bodies across the fields est réalisée par le compositeur russe Andrei Karasyov, lauréat du prix Nika, principale récompense nationale de cinéma en Russie. Il utilise une méthode expérimentale qui consiste à scanner une image, en extraire les propriétés géométriques et colorimétriques par traitements multiples, pour la transformer en son, à l’aide d’un logiciel informatique. Il s’est aperçu qu’en « écoutant » une image, le programme semblait particulièrement sensible aux motifs géométriques répétitifs produits par les activités humaines : grilles, filets, etc.

Pour Flying bodies across the fields, je lui ai demandé de scanner des images de ruches d’abeilles formées par une multitude d’alvéoles hexagonales, et les résultats obtenus étaient très inspirants. Il a ensuite décidé de scanner des cartes mères de drones pour en percevoir les ressemblances avec les abeilles à travers le code informatique. En retravaillant les sons sortis des images des ruches d’abeilles encodées, Andrei a notamment créé des amalgames sonores qui enchevêtrent nature et technologie.

Cet univers musical, composé de mélodies brutes, sorties du programme informatique, mais aussi du bruit inquiétant produit par les hélices des drones est en résonance avec la chorégraphie, inspirée à la fois du vivant et des algorithmes informatiques.

Vous vous inspirez des algorithmes informatiques basés sur le comportement des abeilles pour créer votre œuvre. Pouvez-vous expliciter ce point ?

De nombreux algorithmes informatiques sont inspirés des abeilles, car leur fonctionnement est étonnamment efficace et complexe. Nous nous inspirons particulièrement du premier algorithme basé sur le comportement des abeilles, Bee System de T. Sato et M. Hagiwara, qui utilise les méthodes de recherche de nourriture développées par les abeilles.

À travers les principes de cet algorithme, il s’agit de créer un ensemble de corps enchevêtrés en perpétuelle transformation, de percevoir sa capacité de morphogenèse, du grec « naissance d’une forme ». Ce terme renvoie au développement des formes, des structures d’une espèce vivante, comme une entité générant une infinité de mutations algorithmiques évoluant vers la forme suivante.

Quels ont été les défis techniques auxquels vous avez dû faire face pour cette chorégraphie ?

Nous utilisons des mini-drones programmables Crazyflie, développés par la start-up suédoise Bitcraze, et conçus initialement pour la recherche scientifique. C’est une technologie toujours en cours de développement à l’heure actuelle et son application dans le domaine des arts vivants offre énormément de possibilités, mais est aussi un vrai challenge sur le plan technique. En ce qui nous concerne, les principaux défis ont été l’encodage des trajectoires, la synchronisation entre les drones, et les séquences en essaim autonome où l’algorithme réagit face à l’environnement immédiat.

Publié le 27/09/2021 - CC BY-SA 4.0

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