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La ruée vers les pôles, une voie à risques

La fonte des glaces ouvre de nouvelles routes maritimes et expose les régions polaires à une source supplémentaire de pollution et de menaces sur l’écosystème marin. Dans le cadre de la rencontre « Tout savoir sur la pollution de l’eau », organisée le 17 octobre 2024 à la Bpi, Balises retrace les conséquences de l’attrait grandissant des pôles.

Paysage avec glacier
Image générée par l’IA – Freepik

« Les scientifiques sont maintenant globalement d’accord sur ce point : avec le réchauffement de la planète, la banquise permanente de l’océan Arctique, du moins dans le secteur de l’archipel canadien, devrait disparaître d’ici vingt ans environ. Seule subsisterait une banquise d’hiver, dont l’étendue et le calendrier demeurent encore inconnus », affirme le géographe Frédéric Lasserre dans un article publié en 2001 dans La Revue internationale et stratégique

L’Arctique, situé au pôle Nord et entouré de terres, perd 13 % de glace chaque décennie. Dans l’Antarctique, continent encerclé d’océans dans le pôle Sud, le constat est le même. « Dans les années 1980, l’Antarctique perdait 40 milliards de tonnes de glace par an. De 2009 à 2017, c’est 252 milliards de tonnes chaque année », précise le Fond Mondial pour la Nature (WWF).

La fonte des glaces due au réchauffement climatique rend possible la navigation dans des zones jusqu’ici préservées. Ces nouvelles routes maritimes constituent un attrait économique pour le commerce international, et ouvrent ces régions au tourisme. Elles occasionnent aussi et surtout des sources supplémentaires de pollution en mer et créent de nouveaux risques pour la faune et la flore.

Les pôles, une curiosité touristique 

« Mes yeux viennent de contempler le grandiose et inoubliable spectacle des formidables glaces de l’Antarctique, les falaises et les montagnes magnifiques dans leur sauvagerie du détroit de Magellan, le décor fabuleux de la baie de Rio, les splendeurs de la végétation tropicale, les Açores riantes », écrit Jean-Baptiste Charcot dans Le Pourquoi-pas ? dans l’Antarctique (1908-1910).

Les pôles font rêver depuis de nombreuses années les explorateur·rices, de Martin Frobisher (1576-1578) à Jean-Baptiste Charcot, qui réalise sa première expédition en Antarctique en 1903. 

Aujourd’hui, ces régions du globe deviennent les destinations privilégiées de celles et ceux qui souhaitent découvrir la beauté des glaciers avant que la fonte ne les fasse disparaître. Chaque année, les voyages touristiques se multiplient dans ces contrées lointaines et austères. En 2019-2020, ont été recensés plus de 74 000 touristes en Antarctique, 85 000 au Groenland, 120 000 dans l’archipel de Norvège et 10 000 dans l’Arctique canadien. À bord des bateaux de croisière, les visiteurs et visiteuses, conscient·es d’être les témoins d’un monde menacé de disparition, sont à l’affût du légendaire ours blanc, des manchots ou des baleines.

L’Arctique, un attrait économique

Le réchauffement climatique ouvre aussi de nouvelles voies commerciales : la route maritime du Nord, le long de la Russie, entre le détroit de Béring et l’Europe ; le passage du Nord-Ouest, près des côtes canadiennes entre le détroit de Béring et le Groenland ; et, à terme, probablement aussi la route maritime transpolaire, passant par le pôle Nord, ralliant le détroit de Béring au Nord de l’Europe.

Source : Statista

L’enjeu est de taille, pour les acteurs économiques mondiaux : il s’agit d’accéder plus aisément aux hydrocarbures, pétrole, gaz et minerais dans l’Arctique. Parmi les nouveaux conquérants de cette région, la Chine et la Russie occupent une place de choix. Lancés dans la construction de navires brise-glace nucléaires, ces deux pays sont décidés à devenir, l’un et l’autre, de grandes puissances arctiques.

Un enjeu militaire

Dans le contexte de la guerre en Ukraine, l’Arctique devient également un carrefour stratégique. Tandis que la Russie de Poutine a placé sa puissante flotte du Nord en Arctique, la Norvège, la Suède et la Finlande prévoient de mettre en place un corridor dans la zone. Ces trois pays membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan) ont en effet élaboré, en mars 2024, un programme militaire, le Nordic Response Exercice, pour faciliter les déplacements des armées dans cette région. Un couloir de circulation supplémentaire qui ne sera pas, non plus, sans répercussions environnementales.

Des conséquences écologiques

Cette ruée vers les pôles a pour principale conséquence une aggravation de la pollution marine dans ces zones géographiques jusque-là épargnées. Les expéditions touristiques et commerciales ont un impact important sur les écosystèmes polaires. Les nuisances sonores émises par les bateaux perturbent la communication, la chasse et la reproduction des espèces animales. Elles provoquent, par exemple, surdité et stress chez les cétacés qui préfèrent fuir leur milieu au risque de dépérir dans des environnements non appropriés, comme l’explique l’écoacousticien Jérôme Sueur dans « Le bruit est un agent toxique » (Usbek & Rica n°41, novembre 2023). Dans l’ouest de la péninsule Antarctique, les manchots Adélie, quant à eux, ne sont pas épargnés. Confrontés au manque de krills, petits crustacés, et à la diminution de la surface de la banquise, leur aire de repos, ils ont subi une réduction de 90 % de leur population. Autre exemple, les espèces menacées en raison d’une contamination due à l’afflux de croisiéristes, comme l’albatros d’Amsterdam, présent sur l’île d’Amsterdam Saint-Paul, « en danger, à cause “d’une maladie introduite qui a failli le décimer complètement” ».

Finalement, cette ruée vers les pôles ne serait-elle pas plutôt une voie sans issue pour la planète ?

Publié le 07/10/2024 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Sur les traces de Jean-Baptiste Charcot. Cent ans après le premier hivernage français en Antarctique

Anne-Marie Vallin-Charcot, Marie Foucard et Serge Kahn
Atlantica, 2005

À travers des documents d’archives, cet ouvrage suit la première expédition d’hivernage française en Antarctique. Depuis la vie quotidienne jusqu’aux travaux scientifiques, tous les moments de l’aventure sont retracés.

À la Bpi, niveau 2, 999 VAL

Le "Pourquoi-Pas ?" dans l'Antarctique (1908-1910)

Jean-Baptiste Charcot
Arthaud, 2003

Raconte les deux années vécues par Charcot (1867-1936) à bord de son trois-mâts à la conquête des mystères du pôle Nord en 1908-1910.

À la Bpi, niveau 2, 999 CHA

Antarctique. La Grande histoire des hommes à la découverte du continent de glace


"Sélection du Reader's digest", 1991

Ouvrage sur les grands noms d’explorateur·rices partis à la découverte de l’Antarctique.

À la Bpi, niveau 2, 999 ANT

Découverte de l'Arctique. Chronologie historique illustrée

Jean-Pierre Cachard
Éditions Abbate-Piolé, 2022

Le livre Découverte de l’Arctique. Chronologie historique illustrée vous invite à partir sur les traces des hommes et des femmes qui contribuèrent à la connaissance de l’Arctique. De 330 avant J-C (Pythéas) jusqu’à la moitié du 19e siècle, vous découvrirez leurs expéditions, les unes couronnées de succès, d’autres tragiques à la recherche du pôle Nord, du passage du Nord-Ouest, des populations, etc.

Au travers des 500 expéditions illustrées de 860 photos, les 600 explorateurs et exploratrices nous projettent au fil des années dans un monde polaire bien différent de celui que nous connaissons aujourd’hui, conséquence du changement climatique.

À la Bpi, niveau 2, 998 CAC

Le bruit en mer. Développement des activités maritimes et protection de la faune marine

Frédéric Schneider et Hervé Glotin
Quae, 2022

Lié au développement des activités maritimes, le bruit en mer représente une menace pour la faune marine, en particulier pour les mammifères marins exposés à la pollution sonore dans les zones sous-marines ou en surface. Des spécialistes nationaux et internationaux, scientifiques et juristes, font le point sur cet enjeu environnemental. © Électre 2022

À la Bpi, niveau 2, 573.2 SCH

Le Tourisme polaire

L’Antarctique et l’Arctique sont devenus des destinations touristiques prisées. Séduits par les images et récits véhiculés par les médias, les touristes désirent découvrir les régions polaires malgré des contraintes particulières (climat, distance à parcourir…) et les prix élevés des voyages. Certains désirent tout simplement sortir des sentiers battus et découvrir les icebergs, glaciers, manchots, phoques, baleines… D’autres aimeraient découvrir les régions polaires « avant qu’il ne soit trop tard », mettant en avant un tourisme « de la dernière chance »…

À lire sur Cairn Info, en libre accès à la Bpi

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