La transition énergétique, un enjeu des relations Europe-Russie
Dans le contexte de la guerre en Ukraine, les sanctions économiques instaurées à l’encontre de la Russie par les pays occidentaux ont mis en lumière un point sensible des relations entre l’Union européenne (UE) et la fédération de Vladimir Poutine : la dépendance du continent aux hydrocarbures russes. Balises fait le point sur les enjeux de la stratégie énergétique communautaire, en écho à la rencontre « Europe et transitions écologiques » organisée à la Bpi en avril 2022.
Selon l’Agence internationale de l’énergie, 40 % du gaz consommé en Europe est importé de Russie, avec des disparités notables d’un pays à l’autre : les entreprises russes fournissent environ 20 % du gaz utilisé en France, contre plus de 50 % en Allemagne. Cette dépendance est toutefois réciproque : la Russie est le premier pays exportateur de gaz au monde et l’Europe représente environ trois quarts de ses débouchés. Plus d’un tiers des recettes du budget fédéral russe proviennent du secteur de l’énergie. Cette industrie est donc indispensable à la bonne marche de son économie et au financement des politiques publiques.
À la suite de l’invasion de l’Ukraine, l’idée d’un embargo sur les hydrocarbures russes a été évoquée par les chefs d’État et de gouvernement des pays membres de l’UE, réunis à Versailles les 10 et 11 mars 2022 dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’UE. Certains États très dépendants du gaz russe, comme l’Allemagne, restent cependant opposés à cette mesure qui nuirait à leur propre économie.
En parallèle, la Commission européenne a annoncé le plan « REPowerEU » : une « action européenne conjointe pour une énergie plus abordable, plus sûre et plus durable », visant à réduire de deux tiers la dépendance de l’UE au gaz russe d’ici la fin de l’année 2022, puis à s’orienter vers l’indépendance énergétique vis-à-vis de la Russie d’ici 2030. Il s’agit d’une part de diminuer la consommation d’énergie – en investissant dans l’isolation thermique des bâtiments, les pompes à chaleur, etc. – et, d’autre part, de diversifier les fournisseurs – en se tournant vers d’autres pays producteurs de gaz ou vers des énergies alternatives et renouvelables.
Une transition énergétique et écologique
Au niveau national, l’Allemagne envisage de reporter l’abandon prévu du nucléaire et du charbon afin de pallier la diminution des stocks de gaz en provenance de Russie. La Pologne pourrait quant à elle mettre en avant ces nouvelles difficultés d’approvisionnement pour négocier des concessions sur le programme environnemental de l’UE, qui met à mal son économie reposant en grande partie sur le charbon, particulièrement polluant. Le gaz naturel liquéfié (GNL), parfois présenté comme une alternative aux gazoducs venus de Russie, contribue aussi largement à l’effet de serre.
Une transition vers des énergies renouvelables produites au sein de l’UE permettrait d’éviter une telle remise en cause, par un facteur géopolitique extérieur, de mesures écologiques définies de longue date. La Commission européenne souhaite d’ailleurs s’appuyer sur l’actualité internationale pour promouvoir sa politique environnementale, comme évoqué dans le plan « REPowerEU » : « La nécessité d’une plus grande sécurité d’approvisionnement donne un élan supplémentaire aux objectifs du pacte vert pour l’Europe. » Toutefois, ce plan prévoit aussi d’intensifier les échanges avec d’autres pays fournisseurs d’hydrocarbures – en particulier de GNL –, et ne mentionne aucun réexamen du soutien accordé aux industries pétrolières et gazières européennes au titre des « projets d’intérêt commun » dans le domaine de l’énergie – ce qui contredit l’objectif de transition écologique affiché par l’UE, selon le groupe des Verts/Alliance libre européenne (ALE) au Parlement européen.
Un enjeu économique
Le pétrole est aujourd’hui essentiel au transport des personnes et des marchandises, tandis que le gaz est utilisé comme source d’énergie pour chauffer des bâtiments ou produire de l’électricité, et comme matière première pour fabriquer des engrais par exemple. L’augmentation du prix des hydrocarbures liée à un embargo ou une pénurie nuit donc aux coûts de production des entreprises et au pouvoir d’achat des ménages – particulièrement les plus précaires, qui consacrent une part importante de leur budget aux dépenses énergétiques et alimentaires.
Cette inflation ne serait d’ailleurs pas limitée aux pays les plus dépendants des importations russes : le prix du gaz varie au niveau européen et international en fonction de l’offre des pays producteurs et de la demande des pays consommateurs. Il avait par exemple augmenté en 2011, du fait d’une hausse des commandes japonaises de GNL après l’accident nucléaire de Fukushima. Au-delà des considérations environnementales, la transition vers des énergies renouvelables produites sur le continent pourrait permettre de se prémunir contre les variations de prix tout en créant des emplois. Elle serait donc bénéfique à l’indépendance énergétique et au secteur économique.
Une telle perspective serait en revanche défavorable à l’économie russe, ainsi privée d’un marché important. Conscients de cette vulnérabilité, le gouvernement russe et les grandes entreprises d’hydrocarbures cherchent depuis plusieurs années à diversifier leurs débouchés – vers l’Asie notamment.
Une question stratégique
La transition énergétique présente aussi une dimension stratégique pour l’UE, comme le souligne Marie Toussaint, vice-présidente du groupe des Verts/ALE : « Parce que nous n’avons pas assez agi pour sortir de notre dépendance au gaz et notamment au gaz russe, nous sommes aujourd’hui en difficulté pour actionner tous les leviers nécessaires au maintien de la paix » – et notamment le levier d’une menace d’embargo. À l’inverse, la Russie a déjà, par le passé, instauré des coupures d’énergie comme moyen de pression – contre l’Ukraine en 2006 et la Biélorussie en 2007.
Les revenus tirés du gaz et du pétrole alimentent le budget fédéral russe, finançant ainsi des équipements et des opérations militaires. Comme le note la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, la transition vers une économie verte constitue « un investissement d’autant plus stratégique que moins il y a de dépendance envers le gaz et d’autres sources de combustible fossile russes, moins il y a d’argent pour le trésor de guerre du Kremlin. » Les ambitions russes en Ukraine s’expliquent d’ailleurs en partie par la position stratégique de ce pays de l’ex-URSS : une large part des hydrocarbures destinés à l’UE transite par ce territoire grâce au réseau de gazoducs. Son contrôle permettrait donc au gouvernement russe de mieux maîtriser les infrastructures et débouchés de ce secteur clé de l’économie.
Souhaitant réduire sa dépendance aux hydrocarbures russes, l’UE pourrait se tourner vers d’autres fournisseurs de pétrole – l’Iran, l’Arabie saoudite – ou de gaz – les États-Unis, l’Australie ou le Qatar par GNL, l’Azerbaïdjan, l’Algérie ou la Norvège par gazoduc. Cette solution s’avère cependant risquée : les méthaniers transportant le GNL produit au Qatar passent par exemple par le détroit d’Ormuz, dans une région en proie à des tensions géopolitiques susceptibles de perturber le transport maritime. Cette perspective suppose également la levée de certaines sanctions en vigueur contre l’Iran et le renforcement des relations avec des pays connus pour leurs violations des droits de l’homme. Là encore, le poids des énergies fossiles dans l’économie semble obliger à des compromis sur le plan politique. La transition vers des énergies propres apparaît alors comme une alternative garantissant une plus grande marge de manœuvre dans les processus de décision.
Cet article s’intéresse à l’industrie gazière et aux échanges entre la Russie et ses voisins européens, dont il propose un bilan chiffré : part des importations russes dans la consommation européenne, place des hydrocarbures dans l’économie et dans le budget du Kremlin, etc.
Animée par Emmanuel Laurentin, cette émission rassemble Matthieu Auzanneau, directeur du think tank The Shift Project, Nicolas Bouzou, économiste et directeur du cabinet d’études économiques et de conseil Asterès, et François Geerolf, professeur d’économie à Sciences Po rattaché à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Ensemble, ils font le point sur la situation économique européenne, fragilisée par la guerre en Ukraine : dépendance aux approvisionnements russes, hausse du prix du gaz et du pétrole et inflation généralisée.
Cette série de Florian Delorme en quatre épisodes analyse les enjeux économiques, sociaux, environnementaux et géopolitiques de l’industrie gazière, en revenant notamment sur le projet du gazoduc Nord Stream 2 reliant l’Allemagne à la Russie et, plus généralement, sur la place de cette industrie dans l’économie russe et dans la stratégie politique de Vladimir Poutine.
Cet ouvrage revient sur les enjeux géopolitiques de la transition énergétique, et notamment sur l’évolution des rapports de force ou de coopération induite par les politiques écologiques.
À la Bpi, niveau 3, 339.52 TEL
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