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Géopolitique des énergies renouvelables

L’abandon des énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz…) peut-il avoir lieu sans tensions géopolitiques ? Les scénarios de transition énergétique paraissent au contraire impliquer de nouvelles relations entre les États et la mise en place de nouvelles dépendances.

Champs d'éoliennes

Une transition énergétique à plusieurs vitesses

 La transition énergétique, c’est-à-dire le passage à l’utilisation de ressources renouvelables et la réduction de notre consommation d’énergie, est une nécessité largement reconnue. Cependant, elle n’est pas mise en œuvre de manière homogène sur la planète. Les pays signataires de l’Accord de Paris (COP21) se sont entendus pour limiter le réchauffement de la température planétaire à 1,5°C mais l’accord ne prévoit pas les moyens pour y parvenir. À l’heure actuelle, les efforts consentis par les États restent globalement insuffisants. 

Selon les ressources dont elles disposent ou le coût d’acquisition des modes d’énergie renouvelable, toutes les régions du monde ne sont pas prêtes à consentir aux mêmes efforts en matière de transition énergétique : les pays faiblement dotés en hydrocarbures investissent davantage dans le renouvelable que ceux qui disposent de ressources importantes. 

Ainsi, les énergies fossiles représentent encore plus de 80 % du mix énergétique mondial, mais il existe d’importantes différences entre les pays : les pays sud-américains utilisent 67 % d’hydrocarbures dans leur bouquet énergétique, les pays du Moyen-Orient 98 % et l’Europe 73 %. Les pays de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), par exemple, pourraient être fortement impactés par la transition énergétique, et craignent une baisse de 75 % de leur revenu par habitant. 

Les pays émergents, qui revendiquent leur droit au développement, voient leur consommation énergétique croître et appuient leur croissance économique sur des énergies fossiles. Celles-ci fournissent par exemple 85 % de l’énergie chinoise et plus de 90 % de l’énergie indienne. Néanmoins, certains pays émergents investissent aussi dans les énergies renouvelables. Par exemple, la Chine est aujourd’hui le premier producteur d’hydroélectricité et d’énergie éolienne. L’Inde, de son côté, investit fortement dans l’énergie solaire. Cependant, dans un contexte où la consommation globale d’énergie augmente, les énergies renouvelables ne font pour l’instant que s’ajouter à la consommation d’énergie fossile de ces pays, dont la part baisse peu. 

Enfin, d’autres dissensions se font jour entre les pays riches qui ont émis la plus grande part du CO2 depuis 1850 et les pays en développement, très peu émetteurs. Ainsi, les pays africains ne sont responsables que de 0,5 % des émissions de CO2, tandis que les États-Unis et l’Union européenne ont émis à eux seuls 35 % du CO2 mondial. 

De nouvelles dépendances

Les ressources naturelles, à la base du développement des énergies renouvelables, sont également sources de tensions. La construction d’un barrage hydraulique peut ainsi provoquer des conflits entre les pays riverains d’une même rivière, tous dépendants de l’eau qu’elle apporte. C’est le cas entre l’Égypte et le Soudan (barrage d’Assouan) ou entre les États-Unis et le Mexique (barrages Hoover et Glen Canyon). La construction d’un barrage peut également nuire à la productivité agricole et aux réserves de poissons des pays limitrophes.

Autres sources de tensions futures : les minerais rares nécessaires à la fabrication des panneaux solaires ou des éoliennes. Les panneaux solaires sont fabriqués avec du silicium polycristallin, une ressource non renouvelable, dont la production provient à 50 % de Chine. Le pays fabrique ainsi 70 % des panneaux solaires vendus dans le monde. C’est encore en Chine que l’on trouve la plus grande partie des terres rares (néodyme, dysprosium, terbium, etc.) qui entrent en jeu dans la construction des éoliennes. De nombreux pays vont donc se trouver dépendants de la Chine pour réussir leur transition. 

Enfin, les technologies qui sont à l’origine de la production d’énergies renouvelables vont devenir cruciales. La propriété intellectuelle et industrielle permet aux inventeurs des technologies vertes de vendre l’exploitation de leurs brevets. Cela influe sur le coût et sur la diffusion de ces innovations. L’organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) a ainsi observé une augmentation annuelle de plus d’environ 20 % des dépôts de brevets en matière de production d’énergie hydraulique, solaire ou éolienne. L’usage de ces brevets va devenir à l’avenir de plus en plus crucial pour mettre en œuvre la transition énergétique, et les plus innovants dans ce domaine bénéficieront d’un avantage sur les autres. 

Publié le 15/11/2021 - CC BY-SA 4.0

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