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Appartient au dossier : Le féminisme a de l’avenir

Le cinéma, sujet féminin

L’affaire Weinstein et ses suites ont récemment mis en lumière la domination masculine dans le milieu du cinéma et les dérives provoquées par cette relation de pouvoir entre hommes et femmes. Pourtant, de nombreuses femmes se battent depuis un siècle pour faire exister leur créativité dans l’industrie du rêve.

Le cinéma a toujours véhiculé des stéréotypes de genre. Les personnages féminins n’ont longtemps existé qu’en miroir de personnages masculins et les femmes à l’écran sont encore souvent des fétiches érotiques à destination d’un spectateur masculin hétérosexuel. Il faut dire que l’industrie cinématographique est un monde d’hommes, les femmes ayant souvent été cantonnées à des postes tels que scripte, monteuse ou, bien sûr, actrice. Pourtant, des figures féminines hors-normes existent.

Contourner la domination masculine

Certaines femmes subvertissent les codes hollywoodiens comme Lois Weber, qui réalise en 1916 Where Are my Children, en faveur du contrôle des naissances, ou Ida Lupino qui signe en 1950 Outrage, sur le viol. D’autres se servent de leur notoriété pour défendre des causes féministes, telles Jane Fonda, Delphine Seyrig, et plus récemment Meryl Streep ou Emma Watson.

D’autres femmes participent à la construction d’une contre-culture en réalisant des œuvres expérimentales. Germaine Dulac perturbe les représentations genrées dans La Coquille et le Clergyman (1928). Maya Deren dans les années quarante, Shirley Clarke dans les années cinquante, Babette Mangolte ou Yvonne Rainer dans les années soixante-dix, tracent de nouvelles voies dans l’expérimentation cinématographique et la représentation des corps.

Grâce aux luttes féministes des années soixante-dix, le cinéma s’ouvre davantage aux femmes. Certaines deviennent techniciennes, comme la chef-opératrice Caroline Champetier, ou Claudine Nougaret, première ingénieure du son en France. D’autres, suivant Agnès Varda, deviennent réalisatrices. Toutes ne créent pas des œuvres aux enjeux féministes évidents, mais leur regard renouvelle les questions liées à l’identité féminine (Chantal Akerman), à la représentation des genres à l’écran (Claire Denis) ou à la dramaturgie du désir (Catherine Breillat).

Aujourd’hui, il n’y a que 24 % de techniciennes en France et la visibilité des réalisatrices reste réduite. En 2014, seuls 7 % des 1800 films en compétition à Cannes sont réalisés par des femmes. Depuis 1929, cinq femmes seulement ont été nommées dans la catégorie « meilleur réalisateur » des Oscars.

Céline Sciamma, Portrait de la jeune fille en feu © Lilies Films, 2019

Dénoncer le patriarcat

La critique du patriarcat ne démarre pas avec l’affaire Weinstein. En France, la pionnière de la vidéo Carole Roussopoulos développe une pratique féministe. En 1974, elle fonde le collectif Les Insoumuses avec Delphine Seyrig et Ioana Wieder, qui permet notamment à Delphine Seyrig de réaliser le documentaire Sois belle et tais-toi (1981) sur la place des femmes au cinéma. En 1982, elles créent le Centre audiovisuel Simone de Beauvoir pour conserver et diffuser les films sur les luttes des femmes.

Parallèlement, la recherche universitaire anglo-saxonne commence à étudier les aspects sexistes des films. Laura Mulvey développe en 1975 le concept de « male gaze » ou « regard masculin » pour expliquer que le cinéma montre souvent les femmes comme des objets soumis au regard de l’homme hétérosexuel. En 1993, bell hooks effectue une analyse critique du concept en l’appliquant aux femmes noires. La question d’un « regard féminin » au cinéma émerge par la suite et est notamment explorée en 2020 par la journaliste Iris Brey.

Le « test de Bechdel-Wallace », inventé en 1985 par une autrice de BD, souligne lui aussi la persistance du sexisme envers les personnages féminins. Pour réussir le test, une fiction doit comporter au moins deux personnages féminins nommés, qui discutent ensemble d’un sujet sans rapport avec un homme. Aujourd’hui encore, plus de 40 % des films ne remplissent pas l’ensemble des critères.

Pourtant, la dénonciation de la domination masculine devient un sujet récurrent. Des films aussi différents que Les Femmes du bus 678 (Mohamed Diab, 2012), Mustang (Deniz Gamze Ergüven, 2015) ou Les Chatouilles (Andréa Bescond et Éric Métayer, 2018) évoquent la violence du patriarcat dans le monde. Des séries telles que 13 Reasons Why ou Unbelievable prennent le même parti.

Simultanément, des collectifs se sont développés sur les réseaux sociaux pour encourager la dénonciation d’artistes impliqués dans des violences sexuelles et appeler au boycott de leurs œuvres. En 2017, #MeToo et son pendant francophone #BalanceTonPorc deviennent ainsi populaires sur les réseaux sociaux dans le contexte de l’affaire Weinstein. Un appel au boycott des films de Roman Polanski, accusé de viols, est également lancé. Suite à son César du meilleur réalisateur en 2020, une partie du public quitte la cérémonie, une tribune assassine est publiée par Virginie Despentes, et de nouveaux témoignages de femmes agressées apparaissent sous le hashtag #JeSuisVictime pour dénoncer l’affront aux victimes que constitue cette récompense.

Construire l’égalité réelle

La libération des paroles féminines fait naître des structures encourageant la parité. Un festival pionnier, le Festival du Film de Femmes de Créteil créé en 1979, ne diffuse que des œuvres réalisées par des femmes. En 1989 apparaît à son tour le Festival international du film lesbien et féministe de Paris, puis le festival Filministes en 2015.

Des collectifs se forment également pour augmenter la visibilité des œuvres créées par des femmes. C’est le cas de Réalisatrices équitables qui existe au Canada depuis 2007 ou du Collectif 50/50 en France. Ce dernier publie en ligne des statistiques sur les inégalités entre hommes et femmes dans l’industrie cinématographique et a également créé une charte pour la parité et la diversité signée par plus de 110 festivals dans le monde.

Ces associations poussent les institutions à encourager la parité à chaque étape de production et de distribution d’un film. En 2018, suite à la création du Collectif 50/50, la ministre de la Culture Françoise Nyssen instaure un bonus financier pour les films dont les équipes tendent vers la parité. En février 2020, une tribune signée par 400 personnalités revendiquant entre autres plus de parité au sein de l’Académie des César provoque la démission du comité de direction.

Quant aux films contemporains abordant des questions féministes, ils redistribuent les attributs de genre entre personnages masculins et féminins (Les Combattants, Thomas Cailley, 2014), donnent à voir l’homosexualité féminine comme un sujet sentimental et érotique à part entière (Portrait de la jeune fille en feu, Céline Sciamma, 2019), évoquent la fluidité des genres (Tomboy, Céline Sciamma, 2011 ou Girl, Lukas Dhont, 2018). En 2021, le féminisme au cinéma revendique à la fois l’égalité des sexes, des sexualités et des genres.

Publié le 21/12/2020

Pour aller plus loin

Histoire du cinéma au féminin | Ciclic

Ciclic, l’agence régionale du Centre-Val de Loire pour le livre, l’image et la culture numérique, propose une frise chronologique très complète qui présente de nombreux portraits de femmes ayant marqué le cinéma mondial, du début du vingtième siècle jusqu’à nos jours.

Le plaisir féminin au cinéma | La Grande Table, France Culture

L’émission culturelle « La Grande Table » s’intéresse à la représentation du plaisir féminin à l’écran avec Esther Brejon, journaliste à Revus et Corrigés, Marie-Camille Bouchindomme, Docteure en études cinématographiques, et Geneviève Sellier, professeure à l’université Bordeaux Montaigne.

La place des femmes dans le jeu vidéo et le cinéma : même combat ? | WebTV Bpi

Si le mouvement #MeToo a libéré la parole des femmes dans le milieu du cinéma, les discriminations ou les violences faites aux femmes dans les jeux vidéo sont beaucoup moins connues. Que ce soit derrière la caméra ou la console de jeu (faible proportion des femmes réalisatrices ou productrices) ou devant (clichés sexistes qui marquent les personnages féminins), beaucoup de chemin reste encore à faire.

Ces dernières années, les personnages féminins de jeux vidéos ont cependant évolué dans leur fonction (moins de « demoiselles en détresse » sauvées par des hommes) ou leur physique (personnages plus réalistes, comme Aloy de Guerilla game). Donner plus de place aux femmes dans la création de films ou de jeux vidéo est ainsi un gage de diversité et de richesse.

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