Interview

Appartient au dossier : Le documentaire part à l’aventure

Le marimba, instrument visuel
Entretien avec Adélaïde Ferrière

Cinéma - Musique

Katie Schenk sur FlickR - CC BY-NC 2.0

Adelaïde Ferrière est une percussionniste de renommée internationale, spécialiste du marimba. Elle revient sur son parcours, évoque son rapport aux instruments, et commente le programme qu’elle a choisi d’interpréter lors du ciné-concert donné en ouverture du cycle « À l’aventure ! », proposé par la Cinémathèque du documentaire à la Bibliothèque publique d’information au printemps 2022. Au même moment, la Bpi met à l’honneur les percussions à travers une sélection de ressources présentées à l’espace Musique et sur Tympan, la plateforme musicale de la Bpi, ainsi que des ateliers de découverte et de pratique musicale.

Comment est née votre passion pour les percussions, et plus particulièrement pour le marimba ?

Je viens d’une famille de musiciens. J’ai donc fréquenté, très jeune, les coulisses de spectacles, de concerts, et ce monde de la scène m’a attirée. J’ai d’abord joué du piano, parce qu’il y avait un piano à la maison, et j’ai tout de suite accroché. Les percussions sont venues ensuite. J’ai eu un coup de cœur pour la sonorité du marimba, vraiment chaude, pour ces sons complètement improbables, originaux, qu’on n’entend pas tous les jours.

Ce qui m’a ensuite intéressée dans les percussions, c’est leur diversité, la possibilité de passer d’un instrument à un autre, d’avoir à disposition une pluralité sonore, d’aller à la recherche du timbre. Le marimba est en effet un instrument de prédilection, mais je ne me verrais pas ne jouer que du marimba. Pour moi c’est un peu le piano des percussions : sans offrir toutes les possibilités du piano, on y retrouve un clavier harmonique par exemple. Je le vois donc plus comme le clavier des percussions que comme un grand xylophone.

Il y aurait donc une continuité entre le piano et le marimba ?

Pour moi oui, en tout cas je continue de jouer du piano. D’ailleurs, on dit parfois que le piano est un instrument de percussion. Ce sont des cordes frappées, et les deux instruments sont très complémentaires : le marimba apporte ce côté rythmique, un peu tribal, qui aide beaucoup pour le piano, quand le piano, avec son répertoire beaucoup plus vaste, permet d’aborder des phrasés et des nuances impossibles à rendre au marimba.

Vous parlez d’une sonorité tribale. Or, vous allez accompagner des films d’aventure dans lesquels il est notamment question de tribus : cela a-t-il nourri votre réflexion et guidé votre choix des œuvres ?

Oui, et il y a aussi un aspect très chorégraphique, un rapport au corps, une esthétique visuelle, et pas uniquement sonore.

Martin Johnson et sa caméra à côté de quatre hommes torse nu.
Osa et Martin Johnson, Chasseurs de têtes des mers du Sud, 1922

Comment abordez-vous la mise en espace, la disposition de vos instruments, vos déplacements…?      

C’est une nouvelle recherche à chaque œuvre abordée. On peut avoir des conseils, des indications d’installation sur la partition, mais chacun organise son installation en fonction de son propre corps et des sonorités recherchées. C’est presque une réflexion d’architecte pour trouver comment disposer les instruments, décider lesquels on va doubler par exemple. Il y a aussi la question des changements de baguettes – quelquefois indiqués, d’autres fois laissés libres à l’interprète – et donc de l’emplacement de la tablette sur laquelle vous allez poser vos baguettes. Avec ces instruments volumineux, le corps doit aussi créer un mouvement.

Les instruments ne réagissent pas non plus de la même façon selon qu’on frappe une surface métallique, une peau… la recherche du timbre passe aussi par le corps et l‘engagement physique. Il faut penser au mouvement qu’on va devoir faire et à la sonorité qui en découlera. Un mouvement trop brusque peut casser le discours musical et déséquilibrer toute l’interprétation, donc cette dimension chorégraphique est très importante. Il y a également les jambes, très sollicitées, et non uniquement les bras. Le corps tout entier accompagne chaque mouvement qu’on va faire avec les baguettes.

Par conséquent, sur les multipercussions, il faut d’abord prendre un moment sur table pour poser les choses, se dire « là, j’ai besoin de ça », puis faire l’installation, ensuite choisir les baguettes, etc. Bien sûr, c’est évolutif, c’est-à-dire qu’on va monter une première installation qui finalement ne va pas marcher pour tel ou tel passage. Tout va prendre forme au fil du travail.

Quand a-t-on commencé à écrire spécifiquement pour les percussions ?      

Les premiers concertos pour percussions ont été composés dans les années trente et quarante, et c’est à Darius Milhaud qu’on doit la première pièce soliste, Concerto pour marimba, vibraphone et orchestre, op. 278 (1947). Avant cela, l’une des grandes œuvres pionnières est la Sonate pour deux pianos et percussions de Bela Bartok, qui a été l’une des premières œuvres de musique de chambre à mettre au même niveau percussions et instruments solistes déjà bien installés comme le piano. Un répertoire contemporain se constitue à partir des années cinquante. Olivier Messiaen a joué un rôle décisif en commençant à intégrer le xylorimba et le marimba à l’orchestre, avec des claviers entiers de percussions, comme dans Réveil des oiseaux (1953) et plus tard Un vitrail et des oiseaux (1986). Il a été suivi par Pierre Boulez et l’Ensemble intercontemporain, qui ont lancé une dynamique de créations qui peu à peu ont fait le répertoire. Il existe également des répertoires un peu plus « pédagogiques », des œuvres d’apprentissage écrites par des percussionnistes. C’est le cas par exemple des Douze études pour caisse-claire ou de la Méthode complète de vibraphone de Jacques Delécluse.

On a le sentiment que ces instruments sont de plus en plus intégrés aux programmes des salles de concert.

Il a fallu du temps pour que programmer de la percussion sur des scènes de musique classique fasse partie du quotidien et ne soit plus un événement. Certainement parce qu’il y a longtemps eu des a priori : sur les instruments, sur le répertoire, sur l’esthétique… qui disparaissent de plus en plus, même si certaines programmations restent en retrait.

Pour un programmateur, il y a également un défi logistique d’autant plus important que les grandes pièces contemporaines pour ensemble de percussions utilisent un instrumentarium absolument gigantesque. Leur programmation reste occasionnelle, parce qu’on ne peut pas mobiliser de tels moyens logistiques trop souvent.

Il est vrai également que le répertoire reste contemporain, qu’il a cette image « élitiste » et un public de niche, très ciblé. Mais là encore, la musique contemporaine est en train de s’ouvrir à un public plus large, plus jeune, avec des programmes qui mêlent classique et contemporain, ce qui n’a pas toujours été le cas, alors que cela semble de plus en plus évident.

Pour élargir le répertoire, vous réalisez vos propres transcriptions. Comment choisissez-vous les œuvres que vous transcrivez, et à quelles contraintes êtes-vous confrontée ?

Je ne saurais pas vraiment expliquer pourquoi je choisis de transcrire telle ou telle pièce, il s’agit de coups de cœur. Ceci dit, on sait quelle musique se plie plus ou moins bien à l’exercice. Par exemple, la musique baroque se prête très bien au marimba, ce qui n’est pas le cas du répertoire romantique pour piano, où la pédale est extrêmement sollicitée. Le principal défi avec le piano réside dans la réduction harmonique, puisqu’on passe de dix doigts qui parcourent le clavier à quatre baguettes. Il y a également des problématiques de tessiture, puisque l’ambitus du marimba est un peu moins large ; cela nécessite de ré-octaver des choses, ou parfois d’ajouter des basses, pour donner un peu plus d’ampleur au son, en l’entretenant avec un roulement par exemple, faute de pédale pour tenir le son. Donc j’essaie, je regarde si ça marche…

À l’occasion du ciné-concert donné en ouverture du cycle « À l’aventure ! », allons-nous entendre des œuvres originales pour marimba ou des transcriptions ?

Le programme est construit autour d’œuvres originales pour marimba. Il n’y a qu’une transcription, d’une œuvre de Philip Glass, sur une esthétique minimaliste contemporaine. J’ai déjà fait des ciné-concerts, mais dans l’optique d’une création musicale originale sur un film, ce qui nécessite non seulement de disposer de beaucoup de temps, mais qui fait également courir le risque que le propos musical soit trop illustratif ou redondant. Dans le cas des deux films présentés lors du ciné-concert du 25 mars, Aux confins de la civilisation (1918) et Chasseurs de têtes des mers du Sud (1922), d’Osa et Martin Johnson, il m’a semblé que l’image était déjà suffisamment chargée. Je ne voulais donc pas surligner encore le propos en illustrant trop les images.

J’ai essayé pas mal de choses et conclu par exemple que ça ne marchait pas du tout avec le répertoire classique. Et j’ai trouvé au contraire que le répertoire contemporain fonctionnait très bien. C’est une esthétique qui illustre, mais sans coller parfaitement, donc sans alourdir le propos. De là s’est constituée la liste des œuvres que je voulais voir apparaître dans le film, mais il me reste encore à choisir l’ordre dans lesquelles je les jouerai pour qu’elles répondent le mieux possible aux images du film.

Osa et Martin Johnson, Aux confins de la civilisation, 1918

Outre Philip Glass, quels compositeurs figurent sur cette liste ?

Nous entendrons After Syrinx II pour marimba solo ; c’est un arrangement d’un thème de Claude Debussy par Richard Rodney Bennett, qui ne s’est pas contenté de transcrire l’original mais se l’est complètement réapproprié, composant à partir d’un court thème de trois minutes une pièce d’un quart d’heure.

On entendra aussi Marimba d’amore et Dream of the Cherry Blossoms, deux pièces de Keiko Abe, une grande dame du marimba et l’une de ses premières solistes. Il y aura aussi une pièce de Philippe Hurel, Loops IV, une pièce d’Andrew Thomas, Merlin, qui relève de la musique répétitive avec quelques accents jazzy, ainsi que Chain, une pièce de Kazunori Miyake.

Ce sont des œuvres emblématiques du répertoire pour marimba ?

En tout cas, ce n’est pas un hasard si le Japon figure en bonne place dans cette sélection car le marimba est vraiment inscrit dans le répertoire japonais. Donc en un sens, oui, on peut parler d’œuvres emblématiques, même si elles relèvent d’esthétiques très différentes parce que j’ai souhaité que le programme soit aussi contrasté que possible.

Publié le 08/03/2022 - CC BY-NC-ND 3.0 FR

Pour aller plus loin

Contemporary, un album d'Adelaïde Ferrière | Tympan.bpi.fr

Adelaïde Ferrière interprète ici des compositions de Philippe Hurel, Richard Rodney Bennett ou encore Franco Donatoni.

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La percussion | Tympan.bpi.fr

La Bpi vous propose une playlist de 40 morceaux autour des percussions.

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