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Appartient au dossier : En luttes !

Les combattantes

Les femmes ont toujours lutté, dans et en dehors du monde du travail. Comme l’explique l’historienne Fanny Gallot, maîtresse de conférences à l’Université Paris-Est Créteil, elles se sont notamment mobilisées au long du 20e siècle pour la reconnaissance de leurs qualifications ou encore en soutien à leur conjoint, en utilisant des modes d’action originaux. À l’occasion du cycle « Écrire les luttes », qui se déroule à l’automne 2024 à la Bpi, Balises revient sur ces mobilisations sociales.

Deux femmes de mineurs de Decazeville en grève en janvier 1962. Elles déploient un foulard, orné de l'inscription « Decazeville femmes de mineurs ».
Auteur·rice inconnu·e. Droits réservés – Association Mémoires d’Humanité / Archives départementales de la Seine-Saint-Denis – cote 97FI/622007 A2 – 99-17/62 2007 – 0289

La présence des femmes est souvent comprise comme le signe d’une mobilisation exceptionnelle : si même les femmes s’y mettent… En réalité, ce qui mérite l’étonnement, c’est qu’on oublie leur participation. Leur invisibilisation rétrospective s’explique par la transgression de genre que représente la participation à une lutte collective : les femmes ne sont pas censées occuper l’espace public, ce n’est pas leur rôle. L’exposition de photographies « Femmes en lutte », proposée en 2023 par les Archives départementales de Seine-Saint-Denis, rend au contraire compte de leurs participations variées à toutes formes de contestations, de 1936 à 1987.

Des travailleuses comme les autres ?  

Dans de très nombreux secteurs, qu’il s’agisse de l’industrie, du service à la personne, voire du service public, les femmes sont vues comme « naturellement » aptes à réaliser certaines tâches. Les ouvrières sont ainsi considérées comme « naturellement » adaptées aux « tâches répétitives et simples », comme l’écrit en 1971 le Conseil national du patronat français (CNPF), ancêtre du MEDEF. Elles seraient plus habiles, plus minutieuses que les hommes.

À cause de cette naturalisation des compétences, elles sont déqualifiées et sous payées. C’est pourquoi de très nombreuses grèves de femmes mettent en avant la reconnaissance de leurs qualifications. Parmi les revendications fréquentes, l’enjeu de l’égalité salariale revient sporadiquement, de même que le combat pour la dignité, face aux brimades voire au « droit de cuissage » qu’elles combattent régulièrement. Elles s’impliquent aussi contre les fermetures d’usine, comme c’est le cas à Vierzon en 1981, après les nombreuses grèves et mobilisations des années 1970 dans le textile et l’habillement. 

Solidarité conjugale

Les femmes se mobilisent également en solidarité avec leur mari, à l’image des femmes de mineurs de Decazeville en 1962, qui se rendent à Paris « pour remettre une pétition signée par deux mille femmes de l’Aveyron » au ministère de l’Industrie et du commerce, dans laquelle elles « affirment leur solidarité avec les mineurs en grève » et « demandent avec insistance que les pouvoirs publics ouvrent rapidement des discussions avec le comité intersyndical de Decazeville », comme le rapporte Le Monde, le 19 janvier 1962

« Ne soyez pas le bras qui retient mais le bras qui soutient ! », telle est l’ambition notamment de l’Union des femmes françaises dans l’organisation du soutien des épouses aux grévistes. Il s’agit, dans ces mobilisations, de défendre le « salaire familial », le revenu des familles de la classe ouvrière, et de s’organiser collectivement pour empêcher que les patrons fassent appel aux femmes pour exercer une pression sur leur mari. Dans le monde agricole, comme le rappelle Martine Berlan, la section féminine du Comité d’action viticole de l’Aude insiste en 1967 sur le fait que les « épouses, mères, sœurs et filles de vignerons » s’impliquent, car elles sont « préoccupées des répercussions de la crise viticole sur leur famille et leur foyer ». De fait, c’est à elles qu’incombe la gestion de l’exploitation et du ménage. 

Occupation d'usine en 1981. Les femmes sont assises devant l'entrée, occupées par des travaux d'aiguille.
Auteur·rice inconnu·e. Droits réservés – Association Mémoires d’Humanité / Archives départementales de la Seine-Saint-Denis – cote 83Fi – B.491 « Textile luttes 1970 -> 1994 »

De fil en aiguille

Pour gagner, et en s’appuyant sur leurs organisations syndicales, les femmes ont recours aux modalités d’action traditionnelles du mouvement ouvrier. Elles organisent des manifestations, occupent leurs lieux de travail, voire séquestrent leur direction. Elles sont aussi amenées à négocier. Cependant, elles renouvellent également le répertoire d’actions, notamment en ayant recours à de nombreux objets pour visibiliser leur contestation ou encore pour passer le temps et/ou ne pas perdre de temps. Des ouvrières tricotent par exemple pendant une occupation d’usine, révélant la continuité de la prise en charge du travail domestique, y compris lors de leurs mobilisations. 

Les femmes de classes populaires mobilisées se servent, quant à elles, de différents types d’objets. Des ouvrières choisissent de montrer le produit de leur travail contre les fermetures d’usine, pour souligner leur utilité ou leur savoir-faire, à l’image des salariées de Chantelle ou de Lejaby qui mettent en avant les soutiens-gorge qu’elles produisent entre deux banderoles ou en les portant par-dessus leurs vêtements. D’autres préfèrent adopter des costumes permettant de les identifier, comme les femmes de Decazeville qui confectionnent des foulards.

Publié le 25/09/2023 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

« Ne soyez pas le bras qui retient mais le bras qui soutient ! », Sandra Fayolle | Sens public, 22 mai 2009

« Dès le mouvement de grèves de 1947, le Parti communiste français (PCF) a manifesté une réelle volonté d’encadrer les femmes ou mères de grévistes afin qu’elles les soutiennent pendant toute la durée du mouvement. Dans cette perspective, la direction du parti communiste a fait appel à son organisation féminine de masse : l’Union des femmes françaises.

Toutefois, les dirigeants communistes ont hésité sur les formes de mobilisation à promouvoir et sur la visibilité à accorder à son organisation féminine. Deux types d’actions ont été mis en place. Le premier consistait à organiser des actions de solidarité en direction des familles de grévistes et le second, à partir de 1953, avait pour ambition de rassembler les femmes dans des regroupements catégoriels : comités de femmes de mineurs, de femmes de cheminots, etc. L’étude de ces actions démontre que, sur le terrain, régnait en fait une certaine confusion notamment sur le rôle des différentes organisations (UFF, PCF ou CGT). »

Celles de la terre. Agricultrice : l'invention politique d'un métier

Rose-Marie Lagrave (dir.)
École des hautes études en sciences sociales, 1987

L’ouvrage examine les arguments et les pesanteurs sociales et politiques qui font obstacle à la reconnaissance professionnelle des agricultrices. Il contient un article de Martin Berlan intitulé « Un théâtre de l’ambiguïté : les manifestations », qui traite spécifiquement des mobilisations des femmes dans les syndicats. 

À la Bpi, niveau 2, 305.91 CEL

En découdre. Comment les ouvrières ont révolutionné le travail et la société

Fanny Gallot
La Découverte, 2015

À l’aide de témoignages de femmes engagées, Fanny Gallot revient sur la condition des ouvrières ayant commencé à travailler après mai 1968. Grâce à leurs combats, de nouvelles lois ont révolutionné le travail et, plus largement, la société. Reconnues comme salariées et non plus comme des subalternes, elles ont donné sa noblesse au travail en usine et ont changé le fonctionnement syndical.

À la Bpi, niveau 2, 331.2(44) GAL

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