Série

Appartient au dossier : Claire Simon en 4 histoires Claire Simon, à voix haute

Les histoires de passages de Claire Simon

Passage du temps ou des frontières, transformation des corps et des désirs, transports en commun ou amoureux : en posant sa caméra dans des lieux de transit – gares, hôpitaux, bois ou encore voitures –, Claire Simon suit les évolutions et les itinéraires de leurs occupant·es temporaires. Balises s’interroge sur la manière dont la réalisatrice transforme ces passages en histoires, tandis que la Cinémathèque du documentaire à la Bpi lui consacre une rétrospective à l’automne 2023.

Surplombant les quais d'une gare, une personne de dos, en imperméable, regarde les voies accoudée à une rambarde.
Claire Simon, Géographie humaine (2012) © Les Films d’Ici / Film Factory

Au croisement des possibles

En rencontrant différentes patientes dans un service hospitalier de gynécologie, Claire Simon raconte, dans Notre corps (2023), un certain passage du temps : celui de la vie humaine, vue au prisme de corps féminins médicalisés. Dans une succession de face-à-face entre soignant·es et soignées, s’esquissent donc entre autres événements les premiers rapports sexuels, la procréation et la naissance d’un enfant, la découverte de la maladie, la mort. Au sein de l’hôpital, des femmes de tous âges se trouvent ainsi à un croisement, qui leur donnera peut-être la possibilité d’échapper à la fatalité de la maladie, de l’infertilité ou d’un sexe anatomique qui ne correspond pas à leur identité de genre.

De salle de consultation en salle d’opération, les médecins font office de passeur·ses : iels guident les patientes vers de nouveaux possibles, en les aidant à traverser des épreuves psychologiques autant que physiologiques. Le médecin généraliste à l’œuvre dans Les Patients (1989), lui-même aux portes de la retraite, assume les mêmes fonctions symboliques : il parcourt la ville d’un appartement à l’autre pour réconforter et soigner des maux plus ou moins graves, et prodigue à chacun·e, dans sa traversée de la maladie ou de la vieillesse, des conseils et des encouragements. 

Lieu de passage par excellence, la gare du Nord, filmée dans Géographie humaine (2013), brasse des voyageur·ses innombrables, passager·ères du métro, du RER ou de l’Eurostar. Touristes et personnes sans domicile côtoient des cadres en voyage d’affaires et de jeunes banlieusard·es évitant la police. Celleux-là même qui travaillent au sein de la gare – commerçant·es, personnels d’entretien ou vigiles – ne sont pas moins des passager·ères, amené·es là par des trajectoires personnelles :  venu·es du Congo, de Cuba ou encore d’Algérie, détenteur·rices de plusieurs nationalités, en attente de papiers français ou résolu·es à repartir un jour prochain.

Dans Le Bois dont les rêves sont faits (2016), le bois de Vincennes, à l’est de Paris, attire quant à lui les joggeur·ses, promeneur·ses et autres cyclistes. Lieu de rencontres et de fêtes, il accueille également les biologistes amateurs et les marginaux·les, qui séjournent là pour ne pas vivre « entre quatre murs ». La nature, bien qu’elle y soit domestiquée par les paysagistes, bûcheron·nes et chercheur·ses en tous genres qui s’assurent du bon fonctionnement des écosystèmes, reste enveloppante et mystérieuse.

Sur un lac du bois de Vincennes, une femme rame dans une barque sur laquelle elle se trouve avec une petite fille
Claire Simon, Le Bois dont les rêves sont faits © Just Sayin’ Films

Topologies intimes

Tous ces lieux de passage sont aussi ceux de métamorphoses intimes, au milieu desquels des désirs peuvent s’exprimer. Dans Le Bois dont les rêves sont faits, la réalisatrice révèle toute une géographie sexuelle dissimulée au milieu des arbres, arbustes et buissons. La flore cache, tout en laissant des interstices pour voir et se voir : rencontres éphémères entre personnes homosexuelles, étreintes rapides avec des prostituées, voyeurs cherchant leurs proies… Les passant·es du bois abandonnent leur refoulé, pour accomplir au milieu de la végétation ce que l’espace urbain pousse à réprimer.

À l’hôpital, Claire Simon bouscule également la représentation des corps, montrés et perçus comme des figures sans cesse reconfigurées, loin des images fixes et idéalisées que véhiculent majoritairement nos sociétés. Échappant aux attentes individuelles, les chairs traversent des épreuves et se confrontent à des corps étrangers qui les altèrent. Claire Simon ne cache rien des manipulations médicales ou des opérations chirurgicales, qu’elle montre par écrans interposés : circulant entre les échelles de plans jusqu’au microscopique, elle fait littéralement du corps un espace en mouvement, constitué de cellules et de tissus qu’il faut parfois trancher ou traverser pour retrouver la santé ou mettre un enfant au monde. 

Dans la gare du Nord, la réalisatrice dévoile aussi tout un tissage d’histoires de vie : chaque interlocuteur·rice raconte son parcours, les frontières qu’il a fallu franchir, poussé·e par des désirs ou des obligations économiques et politiques. Certain·es jeunes viennent y faire des rencontres amoureuses, des voyageur·ses y achètent de la lingerie, des couples se séparent ou se retrouvent. La réalisatrice livre quelques plans larges de l’entrelacement de couloirs, de quais et d’escalators, qui donne métaphoriquement à voir les trames des destinées qui se croisent ici, le plus souvent sans se rencontrer.

Publié le 18/09/2023 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

photographie de Claire Simon en noir et blanc
Claire Simon © Sophie Bassouls

« Cinémathèque du documentaire à la Bpi - Claire Simon » : Entretien avec Marion Bonneau | Les yeux doc, septembre 2023

Cet entretien avec Marion Bonneau, programmatrice du cycle « Claire Simon, les rêves dont les films sont faits », est à retrouver sur Les yeux doc, la plateforme du catalogue national de films documentaires animée par la Bpi.

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