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Appartient au dossier : Cinéma du réel 2021

Les jardins de Rose Lowder

Rose Lowder filme image par image des espaces naturels préservés pour en capter la réalité et offrir au spectateur une expérience visuelle et poétique. Sans ajout de lumière, sans montage ni scénario, ses films sont composés méticuleusement et patiemment pour proposer à notre regard un tableau unique, vibrant de vie et de couleur.
Balises vous fait découvrir son travail et vous invite à découvrir ses films présentés au festival du Cinéma du Réel 2021 dans le cadre de la programmation « Cinéaste en son jardin ».

fleur mauve
Image extraite de Sources (2012, 5’22) de Rose Lowder, distribué par Light Cone

Rose Lowder est une cinéaste franco-péruvienne qui a suivi une formation aux beaux-arts à Lima puis à Londres, où elle travaille comme monteuse de cinéma pendant huit ans. En 1977, elle s’installe à Avignon et commence à réaliser ses propres films. Elle fonde les Archives du film expérimental d’Avignon en 1981. En 1987, elle rédige une thèse intitulée Le Film expérimental en tant qu’instrument de recherche visuelle, dirigée par Jean Rouch. Elle donne des cours de pratique cinématographique à l’université Panthéon – Sorbonne de 1994 à 2005.

Un procédé cinématographique artisanal

Rose Lowder est fascinée par le processus de perception visuelle. Ses recherches commencent sans caméra. Elle dessine des bâtons et réalise des perforations sur une pellicule. La succession de ces images statiques au rythme de vingt-quatre images par seconde produit du mouvement à l’écran mais aussi des effets cinématographiques, comme par exemple la création d’une troisième image à partir de deux images sur le principe du thaumatrope, ancien procédé d’animation. Rose Lowder remarque que certaines images sont davantage présentes à l’écran alors qu’elles sont en même nombre que les autres sur la pellicule. Elle va donc s’intéresser aux effets produits par la modulation des caractéristiques du sujet (formes, couleurs, traits) et au rendu à l’écran selon la disposition des éléments sur la bande.

Forte de ses expériences rassemblées dans son film Boucles – Loops (1976-1997), elle acquiert une camera Bolex. Cette caméra filme image par image, n’importe où sur la bobine grâce à système de positionnement en avant ou en arrière. Rose Lowder capture des images en enclenchant la caméra à intervalles réguliers, laissant des espaces de pellicule libres. La pellicule est ensuite rembobinée et laissée dans la caméra pour ne pas perdre les repères. Le sujet suivant sera filmé sur les espaces réservés. Trois passages sont possibles.

Cette alternance d’images est pensé et organisé minutieusement par la cinéaste qui prépare son travail avant de tourner et souvent le couche sur le papier sous forme de partitions. Ces diagrammes, qui rappellent les modèles de tricot ou de tapisserie, détaillent le rythme, le sujet, l’alternance, l’heure pour la lumière, la distance… Chaque carré équivaut à un type d’image et pour sa série Bouquets par exemple, Rose Lowder a dessiné et renseigné mille-quatre-cent-quarante carrés par bouquet.

Ce patient et méticuleux travail est indispensable car aucun montage n’est réalisé après le développement de la pellicule. Même les titres sont inclus dans les images, seule une bande-son est éventuellement ajoutée. Le tournage se fait en continu, sans lumière artificielle, et rien n’est mis en scène. Rose lowder pose sa caméra à un endroit et à un moment déterminés mais sans savoir précisément ce qui va se passer. Elle attrape des images pour saisir la réalité et les tisse pour les faire parler.

Une autre vision de la nature

Par ce procédé, Rose Lowder cherche à rendre la vérité des lieux et attirer l’attention sur l’environnement. Elle a vécu en Amérique du Sud, dans de vastes espaces naturels peu habités et se dit très proche de la nature. La cinéaste tourne dans des fermes biologiques dans un souci d’écologie et met en scène la nature, parfois traversée par des humains. D’après le cinéaste Vincent Sorrel, même sa « caméra est écologique parce qu’elle n’a besoin que de la main pour collecter des images au rythme de prises de vues tournées avec la manivelle ou image par image. »

Rose Lowder cherche à nous proposer une vision différente de la nature en mêlant plusieurs lectures et en jouant avec le temps, l’espace, les couleurs et les sujets. Dans son film Sous le soleil (2011) par exemple, les réflexions sur des panneaux solaires se fondent avec des images de papillons sur des fleurs et celles d’un oiseau mangeant des baies. Les motifs clairs des ailes de papillons finissent par ressembler à des tâches de soleil. Dans Les Tournesols (1982), l’historienne et théoricienne du cinéma Nicole Brenez note un effet de vent impossible :

« Dans le champ de tournesols ainsi recomposé comme un bouquet, la surimpression temporelle et l’intime superposition de net et de flou au cœur du motif créent l’effet d’un vent impossible, un vent qui agite différemment et individuellement chaque fleur, dont le mouvement collectif échoue à rassembler les vibrations éparpillées. »

Nicole Brenez, « Couleur critique », Débordements.fr, 2012.

Ces compositions, constituées d’éléments parfois sans lien apparent, forment un tableau en mouvement très cohérent et équilibré. Nicole Brenez le constate quand elle souligne le travail sur la couleur qu’effectue la cinéaste dans Les Tournesols en comparaison à sa version colorisée intitulée Les Tournesols colorés (1983) :

C’est donc le même plan, mais viré à l’étalonnage en rouge ou jaune, surexposé ou sousexposé, teinte tantôt lavée tantôt saturée : cette fois la couleur participe de l’instabilité, elle manifeste un mouvement visuel supplémentaire mais qui s’adjoint aux autres au lieu d’y faire contrepoint. Par contraste, l’équilibre vibrant atteint par Les Tournesols apparaît dans sa monumentalité.

Nicole Brenez, « Couleur critique », Débordements.fr, 2012.

Il émane beaucoup de poésie des compositions cinématographiques de Rose Lowder. Ce rapport à la poésie est d’ailleurs assumé dans Retour d’un repère (1979), transposition visuelle de la structure particulière des vers d’un « pantoum », poème malais qui utilise des éléments récurrents dans un ordre précis.

Découvrez Rose Lowder dans une interview vidéo par la Fondation Vincent van Gogh de Arles :

Publié le 08/03/2021 - CC BY-SA 4.0

Pour aller plus loin

Séance Rose Lowder │ Cinéma du réel 2021

Deux séances en ligne sont dédiées à Rose Lowder. Elles sont suivies d’une discussion avec Rose Lowder et Vincent Sorrel (cinéaste et Maître de conférences en création artistique à l’université de Grenoble Alpes) et animée par Philippe-Alain Michaud (conservateur au Musée National d’Art Moderne-Centre Pompidou).

17 et 18 mars 2021. À réserver en ligne.

Cinexpérimentaux #5 : Rose Lowder

Frédérique Devaux & Michel Armager
Re:voir vidéo, 2002

Un documentaire de Frédérique Dévaux et Michel Armager sur la cinéaste Rose Lowder avec 12 films de la cinéaste.

Séance « Rose Lowder » │ Cinémathèque de Suisse, novembre 2018

Captation de la séance « Rose Lowder : cultiver les films » : présentation des films et discussion avec le public à la Cinémathèque suisse.

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