L’exemple le plus connu est sans doute celui de Mediapart. Créé en 2008, ce site d’information est financé uniquement par les abonnements de ses lecteurs – 130 000 en 2016 – ses fondateurs refusant toute publicité.
Du gratuit au payant
À l’époque, proposer un journal payant, uniquement en ligne, paraissait aberrant. Un an auparavant, en 2007, avec Rue89, c’est au contraire le modèle de la gratuité totale de l’information qui était défendu, la publicité devant permettre d’atteindre l’équilibre budgétaire. Depuis, Rue89 a été racheté et intégré au site L’Obs. Si quelques sites d’information gratuits comme Slate, Le HuffPost perdurent, les nouveaux « pure players » optent pour le modèle payant afin de couvrir les coûts de l’information et les charges, souvent méconnues, qui pèsent sur les médias en ligne. En effet, pour avoir une vraie audience, les éditeurs de presse en ligne doivent investir massivement dans des plateformes numériques.
Derrière les « pure players »
Beaucoup de journalistes se lancent dans l’aventure de la presse numérique. Ce sont souvent des « anciens » de grands médias, qui ont vécu les effets de la concentration du secteur entre les mains de quelques hommes d’affaires. Ils investissent leur prime de départ. Leur expérience professionnelle leur donne des contacts utiles. La création de « pure players » par de jeunes journalistes se révèle, de fait, beaucoup plus difficile. Tous doivent être, en plus de journalistes, des entrepreneurs.
Pour fédérer ces initiatives, le Spiil, Syndicat de la presse d’information indépendante en ligne, a été créé en 2009. Il regroupe 175 titres, dont des bi-médias (journaux à la fois imprimés et en ligne). Le Spiil a, par exemple, milité pour que le taux de TVA de la presse en ligne soit aligné sur celui de la presse papier (2.1 %) et a œuvré pour la réforme des aides à la presse, menée en 2016 par le ministère de la Culture.
Reportages et investigations
Les « pure players » ont en commun d’accorder une grande place au reportage, à l’investigation et à l’analyse. Par exemple, le site arretsurimage.net poursuit le travail critique des médias de l’émission Arrêt sur images, créée par Daniel Schneidermann et supprimée en 2007 par le directeur d’antenne. Il diffuse auprès de ses 26 000 abonnés des émissions filmées, des chroniques et des séances d’éducation à l’image. D’autres « pure players » d’information choisissent de se spécialiser dans une thématique spécifique comme Les Nouvelles NEWS qui présente l’actualité à travers le prisme de l’égalité hommes-femmes. Un journalisme d’investigation et d’enquêtes locales existe aussi avec Marsactu, consacré à l’actualité marseillaise, ou Mediacités qui s’est implanté dans quatre villes : Lille, Lyon, Toulouse, Nantes.
Nouvelles narrations
Surtout, de nouvelles façons de « raconter » l’actualité apparaissent. Par exemple, le « pure player » Les Jours, donne à lire les « obsessions » de ses journalistes sous forme de séries, avec des épisodes qui se succèdent. Addiction garantie…
L’iconographie ou l’image animée tiennent souvent une place de choix, à l’instar de RendezVous Photos, qui se présente comme le premier « pure player » du photojournalisme ou de Spicee, premier « pure player » entièrement vidéo. Sur le plan de la présentation de l’information, une attention particulière est portée à l’ergonomie et à l’esthétique des sites.
Dans un autre style, Brief.me a choisi de s’adresser à des lecteurs pressés et soucieux d’aller à l’essentiel. Ses abonnés reçoivent tous les jours une newsletter, sans image, résumant les événements marquants et expliquant un fait en particulier. Avec un ton personnel, cette newsletter réussit à instaurer une relation de complicité entre le lecteur et les journalistes, qui sollicitent souvent son avis.
Interactivité et marketing
Le web permet de faire participer les lecteurs via les commentaires, les réseaux sociaux et lors de plateaux live, comme le fait Mediapart. Autre point commun, ces médias font preuve d’une grande créativité sur le plan du marketing. Afin d’élargir leur lectorat, ceux-ci instaurent un dialogue plus direct avec leurs abonnés en leur proposant des offres spéciales ou en les incitant à parrainer un nouveau lecteur ou à offrir un article à un tiers. Ils optent souvent pour une politique de prix attractive, en proposant des tarifs réduits ou couplés à des accès gratuits ponctuels.
Quelle pérennité ?
Parmi les titres affiliés au Spiil, cinq à six « pure players » disparaîtraient chaque année, chiffre relativement faible au regard des créations. Pour autant, l’évolution de ce nouveau marché, plus atomisé que le secteur traditionnel, reste incertaine. Les « pure players » se retrouvent dans une injonction paradoxale de « coopération concurrente » : ils ont besoin de se regrouper pour être visibles, mais doivent se démarquer les uns des autres pour trouver leur public et atteindre le nombre suffisant d’abonnés qui leur permette d’être autonomes. Comme le souligne Jean- Christophe Boulanger, président du Spiil, « l’important est de trouver sa communauté et de réussir à la faire payer ».
Christine Mannaz-Denarie, Bpi
Article paru initialement dans le numéro 24 du magazine de ligne en ligne.
Sélection de références
Ils s’appellent Mediapart, Les Jours, Reporterre, L’imprévu, Le Zéphyr, Arrêt sur Images, Le Quatre Heures, 8e étage, Sept… ce sont de jeunes entreprises à vocation journalistique. L’émission a choisi de présenter quatre d’entre elles aujourd’hui.
Rapport de Jean-Marie Charon, remis le 2 juin 2015 à Madame la Ministre de la culture et de la communication
Créé en 2009, le Spiil regroupe 175 titres. 40 % sont généralistes et 60 % spécialisés, 1/3 sont locaux et 2/3 nationaux ou internationaux, 15 % sont des journaux imprimés et en ligne.
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