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Appartient au dossier : Quand le réel se rebelle

Les procès littéraires #1 : Mathieu Lindon et Le Procès de Jean-Marie Le Pen

Jean-Marie Le Pen, condamné plus de vingt-cinq fois pour apologie de crimes de guerre, provocations à la haine ou encore antisémitisme, est le plaignant dans cette affaire. En 1998, il attaque le livre de Mathieu Lindon, Le Procès de Jean-Marie Le Pen, pour diffamation et gagne son procès.

Le livre

En 1998, les éditions P.O.L publient Le Procès de Jean-Marie Le Pen de Mathieu Lindon, qui raconte le procès fictif d’un militant du Front national accusé de crime raciste. Son avocat plaide la responsabilité morale du chef du parti, Jean-Marie Le Pen, nommément accusé d’attiser la haine et le racisme et d’inciter au meurtre les esprits les plus influençables. 

Le procès

Jean-Marie Le Pen porte plainte pour diffamation et demande des dommages et intérêts pour lui-même et son parti, à hauteur de 400 000 francs. Ce n’est pas le livre dans son intégralité qui est jugé mais six passages précis, notamment celui qui le qualifie de « chef d’une bande de tueurs ».

Le tribunal correctionnel de Paris condamne Mathieu Lindon et son éditeur au motif que « l’auteur n’a pas fait seulement une œuvre de fiction […]. Si la plus grande liberté d’expression doit être reconnue à l’auteur, cette liberté n’est cependant pas sans limite et cesse là où commencent les attaques personnelles, qu’elles soient portées par l’auteur directement ou par l’intermédiaire de personnages de fiction ». Les propos du narrateur sont ainsi imputés à l’auteur sans prendre en compte le caractère fictionnel de l’œuvre, mais il lui est également reproché d’avoir écrit dans son roman des propos et des faits non vérifiés. Les prévenus doivent payer une amende de 2 300 euros et 3 800 euros de dommages et intérêts.

Soutenus par un grand nombre d’écrivains (Jean Echenoz, Marie Darrieussecq, Philippe Sollers…), Mathieu Lindon et P.O.L déposent en 2002 un recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qui condamne à nouveau le livre. Celle-ci reconnaît qu’il s’agit bien d’une œuvre de fiction mais qu’à partir du moment où la personne qui porte plainte est clairement reconnaissable, il y a diffamation. Dix-sept juges de la CEDH émettent un avis contraire. Ils refusent que les propos du narrateur soient assimilés à ceux de l’auteur et réfutent que des faits énoncés dans un roman aient besoin de vérification ou de preuve. Un roman qui se fonde sur la réalité « reste en grande partie un roman » et un documentaire-fiction « reste, pour l’essentiel, une fiction », d’après L’Œuvre face à ses censeurs. Le Guide de l’observatoire de la liberté de création, d’Agnès Tricoire.

Auteur, narrateur, fiction vraie…

Cette affaire est emblématique à plusieurs titres. Le livre de Mathieu Lindon, qualifié à l’époque de « fiction vraie », inaugure un nouveau rapport entre la littérature et le réel, avec l’introduction, dans une fiction, d’éléments de réel comme des personnes connues dont le statut devient flou. Par ailleurs, le jugement rendu, malgré l’avis des juges dissidents de la CEDH, assimile le travail du romancier à celui du journaliste et lui dénie son statut d’œuvre.

Publié le 22/02/2021 - CC BY-NC-SA 4.0

Pour aller plus loin

L'Œuvre face à ses censeurs. Le guide pratique de l'Observatoire de la liberté de création : art contemporain, théâtre, littérature, musique, cinéma...

Agnès Tricoire
M Médias, 2020

Créé en 2002 sous l’égide de la Ligue des droits de l’homme, l’Observatoire de la liberté de création regroupe une quinzaine d’associations et de collectifs issus du monde de la culture, solidaires face à la censure. Ce guide, paru en 2020, analyse treize cas emblématiques de ces vingt dernières années, dans tous les domaines artistiques (littérature, arts plastiques, cinéma, théâtre…) et tous les motifs de censure (blasphème, diffamation, protection de l’enfance, lutte contre le racisme…). Le chapitre consacré au procès de Mathieu Lindon et son éditeur offre une analyse détaillée de l’affaire et de la décision des juges.

À la Bpi, niveau 3, 7.8 OEU

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