Interview

Appartient au dossier : Entre les lignes : décrypter la presse papier et numérique

Médias et publicité sous l’influence des données

Culture numérique - Médias

Image par Gordon Johnson de Pixabay

Les revenus publicitaires constituent la principale source de financement des médias. Julie Walther, cofondatrice de la start-up Qwarry, spécialisée dans la mise en place de stratégies digitales pour les entreprises, fait le point sur les pratiques en marketing digital et sur les opportunités que les médias peuvent saisir dans ce marché publicitaire très concurrentiel et en perpétuelle évolution.

Comment se déroule un achat d’espace ?

Un annonceur recrute une agence de marketing qui élabore une campagne publicitaire et en définit la cible en fonction des objectifs du client (campagne de marque, mise en valeur d’un produit…). Puis le média-planner sélectionne des supports pour la campagne de publicité (télévision, radio…) en fonction du profil de son public et du coût pour l’annonceur. Les achats d’espace se concluent ensuite avec les régies publicitaires.

Depuis quelques années, la publicité sur Internet s’est considérablement développée ; elle représente un chiffre d’affaires de 886 millions d’euros en 2018 en France, en dehors de Google et des réseaux sociaux qui ont leur propre système et qui captent la majorité des revenus. Il a alors fallu inventer des processus qui permettent d’interagir plus vite et de simplifier la diffusion des campagnes publicitaires.

À partir de 2009, l’achat en programmatique s’est imposé progressivement : au lieu de contacter chaque régie une à une, le média-planner se connecte à un système qu’on appelle un « ad-exchange » et qui s’apparente à la Bourse. C’est une place de marché avec d’un côté les acheteurs d’espace publicitaire (les annonceurs, via les agences) et de l’autre les éditeurs, comme des médias d’actualité en ligne, qui mettent à disposition de l’espace. Cet espace peut être acheté de manière entièrement automatisée, souvent par le biais d’un système d’enchères. L’affaire se traite en quelques millisecondes. Aujourd’hui, 70 % des achats se gèrent en programmatique et 30 % de gré à gré. C’était l’inverse il y a encore quelques années.

En quoi le programmatique change-t-il la donne ?

Dans le cadre de l’achat programmatique, les annonceurs récupèrent des données qu’ils déposent sur une plateforme. La donnée permettant le ciblage publicitaire identifie l’internaute grâce aux cookies, c’est-à-dire aux informations envoyées par le navigateur de l’internaute aux sites web que celui-ci consulte. Ces informations sont reliées aux actions effectuées ou non sur le site visité, aux renseignements apportés sur la catégorie socio-professionnelle, le genre, l’âge… et stockées dans des bases de données appelées DMP. Ces données sont exploitées par tous les acteurs du programmatique et permettent un ciblage publicitaire plus fin ainsi qu’une évaluation et un suivi de la campagne publicitaire très précis. On affine donc par la donnée, au détriment du média.

À travers le programmatique, les annonceurs n’achètent donc plus un média mais un utilisateur. Concrètement, quand le média-planner programme une campagne auprès d’une plateforme, il remplit un formulaire avec des cases à cocher en fonction de la cible de cette campagne : sexe, centres d’intérêt, catégorie socio-professionnelle, âge, intention d’achat, etc. Ensuite, les publicités sont affichées sur un support qui n’a pas forcément de relation avec la publicité, mais le recoupement de données a déterminé que ce support s’adresse à la même cible, donc cette publicité est susceptible d’intéresser le lecteur du support.

Le programmatique émerge également à la télévision, notamment à travers le replay, ainsi qu’à la radio et sur toutes les déclinaisons de médias en ligne. À terme, il sera sans doute possible d’acheter un spot avant le journal de 20 h à travers les plateformes d’achat en programmatique.

ciblage
 Pxhere.com [CC0 Domaine public]

Quels sont les avantages du programmatique pour les médias ?

Le programmatique a été accueilli par les médias comme une source supplémentaire de revenus car il permettait de vendre 100 % des espaces publicitaires, ce qui était impossible en gré à gré. Même si ces espaces étaient vendus deux ou trois fois moins chers, cela demeurait rentable tant que la partie traitée en gré à gré restait importante. De plus, le programmatique permet de gagner du temps et simplifie le processus technique en intégrant notamment l’envoi des documents graphiques.
Puis, quand l’achat en programmatique s’est généralisé, les intermédiaires se sont multipliés, retenant au passage un pourcentage. Les éditeurs ont vu leurs revenus diminuer. Pour l’annonceur, le système a perdu en lisibilité.

En réaction, les éditeurs réservent des espaces qu’ils ne proposent qu’en programmatique et en retirent d’autres du système. Les médias historiques et leur pendant web tirent aussi leur épingle du jeu grâce à leur spécificité : quand on choisit un spot TV, c’est avant tout pour toucher de la masse, alors qu’aujourd’hui sur Internet on achète plutôt de la valeur, reposant sur la donnée utilisateur.

Le programmatique va-t-il continuer à se développer ?

La part du programmatique augmente mais de nouveaux éléments remettent en cause l’utilisation des données des utilisateurs. Du point de vue légal, le RGPD (règlement général sur la protection des données personnelles) mis en place par l’Union européenne oblige désormais à demander le consentement explicite de l’internaute sur la collecte et l’utilisation qui sont faites de ses données et lui donne le droit de les refuser. Ce cadre légal va rendre plus compliqué l’accès aux données.

Le deuxième frein est technologique. Aujourd’hui, les cookies disparaissent des navigateurs. Firefox les a déjà supprimés et Google Chrome a annoncé leur disparition prochaine. Sur le navigateur Safari, les cookies étaient conservés 30 jours et maintenant ils ne durent que le temps d’une session. Sans cookies, le programmatique présente moins d’intérêt parce qu’il devient difficile d’exploiter des données devenues rares et moins fiables. Des « fake-data » apparaissent. Les annonceurs ne savent plus comment elles ont été collectées, si elles sont légales, si elles sont vraies et d’où elles proviennent, alors que le RGPD rend les annonceurs responsables de leurs données et de celles de leurs fournisseurs. Cette disparition du cookie va faire perdre du sens à l’achat en programmatique et chacun cherche à réagir.

Quelles alternatives aux cookies sont envisagées ?

Des éditeurs se regroupent pour créer un identifiant unique sur l’ensemble de leurs sites. En mettant leur audience en commun, les éditeurs collectent des données faciles à identifier.
Une autre approche serait d’arriver à faire de la publicité sans qu’aucune donnée des utilisateurs ne soit collectée. Cela revient à accorder de l’intérêt non pas aux caractéristiques de l’utilisateur mais à ce qu’il est en train de lire sur son écran à l’instant présent. L’achat en programmatique permet en effet de connaître en temps réel la page qu’un internaute est en train de consulter. S’il lit un article sur le tennis, par exemple, est-ce que ce n’est pas le moment de lui proposer une publicité en rapport avec ce qu’il est en train de lire, plutôt qu’une annonce pour un produit qu’il a vu il y a cinq mois ? Chez Qwarry, nous avons développé des algorithmes qui effectuent une analyse de texte reliée à une sélection de mots-clés et de sentiments (positif, négatif ou neutre). Un score est attribué à la page analysée qui déclenche la potentielle décision d’achat d’espace. En bref, l’idée consiste à faire basculer les annonceurs et les agences vers un marketing de l’attention, sans utilisation des datas utilisateurs.

Propos recueillis auprès de Julie Walther, cofondatrice de la start-up Qwarry

Publié le 13/06/2019 - CC BY-SA 3.0 FR

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