Migrations et changements climatiques Le cas des déplacés environnementaux
Plus de 250 millions de personnes seront déplacées en 2050 en raison du changement climatique et de ses conséquences : montée du niveau des océans, dégradation des sols, températures extrêmes, catastrophes naturelles de plus en plus fréquentes et violentes… Une situation qui concerne de nombreux pays et surtout les plus pauvres et qu’il va falloir gérer au niveau international. Des solutions de prévention et d’assistance sont à trouver, pour les populations concernées aujourd’hui et celles qui le seront demain.
On ne peut pas dire que le phénomène soit nouveau, l’espèce humaine a toujours migré pour s’adapter aux contraintes environnementales. Par contre, les changements climatiques s’accélèrent et l’adaptation est brusque voire parfois impossible. Souvent la situation est aggravée par d’autres facteurs : l’explosion démographique, l’urbanisation galopante, les inégalités économiques qui se creusent, la mondialisation des flux… provoquant des déplacements massifs.
Une prise de conscience tardive
En 1985, le terme “réfugiés environnementaux” est utilisé par l’universitaire E. El Hinnawi, dans un rapport pour le PNUE (Programme des Nations Unies pour l’environnement). La communauté scientifique s’est alors mobilisée pour faire admettre ce lien de causalité entre climat et migration.
En 1997, le rapport de l’économiste Nicholas Stern sur l’économie du réchauffement climatique (version française archivée) annonce que les pays pauvres seront les plus touchés, que leurs populations pourraient être amenées à migrer. Il appelle au soutien financier des pays développés.
En 2007, le GIEC officialise que les migrations seraient une conséquence possible (Changements climatiques 2007)
En 2015, les chiffres sur les migrations environnementales sont mis en avant pour rappeler l’urgence de stabiliser le climat à la COP21 et faire en sorte que les déplacés environnementaux ne soient pas les grands oubliés de la COP 21, comme le titre Libération, le 18 octobre 2015. Le 8 octobre, les pays les plus touchés (l’Afghanistan, le Bangladesh, la Barbade, le Bhoutan, le Costa Rica, l’Éthiopie, le Ghana, le Kenya, Kiribati, Madagascar, les Maldives, le Népal, les Philippines, le Rwanda, Sainte Lucie, la Tanzanie, le Timor-Oriental, Tuvalu, Vanuatu et le Vietnam) créent le V20, en opposition au G20, le groupe des pays les plus riches du monde, pour faire entendre leur voix.
Caractéristiques des migrations environnementales
Quelques chiffres
Selon le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies (UNHCR), environ 165 millions de personnes auraient été déplacées directement à la suite d’une catastrophe naturelle entre 2008 et 2013. L’IOM (International Organization for Migrations) estime que “globalement, le nombre de personnes qui pourraient être obligées de se déplacer ou migrer d’ici à 2050 pour des raisons liées au changement climatique ou à des dégradations environnementales varie de 25 millions à un milliard” (discours du 7 juillet 2008).
Si les chiffres avancés sont alarmants, ils sont pourtant peut-être en-dessous de la réalité. En effet, il est difficile de prédire le nombre de déplacés car d’autres facteurs peuvent se cumuler ou être invoqués (économiques, en raison de conflits…). D’autre part, il n’existe pas de statut de « réfugiés écologiques »qui permette de les comptabiliser. Actuellement, on s’appuie essentiellement sur le nombre de déplacés victimes de catastrophes naturelles mais cela exclut les personnes qui subissent la dégradation progressive de leur milieu de vie.
Le phénomène concerne tous les pays. Le changement climatique entraîne des catastrophes naturelles de plus grande ampleur ou plus fréquentes, y compris en Europe (tempête Xynthia de février 2010) ou aux Etats-Unis (Ouragan Katrina en 2005) aux lourdes conséquences pour les populations touchées. Le rapport 2015 de l’United Nations Office for Disaster Risk Reduction (UNISDR) rappelle que, sur ces vingt dernières années, les USA, la Chine, l’Inde, les Philippines et l’Indonésie enregistraient 90% des dégâts liés à la météo. Le continent le plus touché par les catastrophes naturelles reste l’Asie : 80% des réfugiés climatiques entre 2008 et 2013 étaient asiatiques. L’Asie du Sud et du Sud-Est est non seulement une zone très exposée mais aussi une zone très peuplée. L’Afrique et notamment l’Afrique subsaharienne, les états insulaires du pacifique vont être également lourdement impactés par le changement climatique.
L’impact du changement climatique est différent selon les pays et leur capacité à réagir ou agir est dépendante de leurs moyens économiques et politiques. Ce sont donc les pays les plus pauvres et les moins armés pour faire face aux catastrophes qui sont les principales victimes du changement climatique. Cette carte, publiée dans le dossier Changements climatiques à l’approche de la COP21, par EU-logos illustre bien cette inégalité géographique.
Un autre risque se dessine pour les pays industrialisés : la fragilisation de leurs infrastructures et de leur économie par les mutations du climat. Par exemple, les pipelines de Russie pourraient être endommagés par le dégel du permafrost compromettant l’approvisionnement en énergie de nombreux pays européens. Le tsunami de 2011 qui a causé la catastrophe nucléaire de Fukushima a ébranlé l’économie japonaise mais aussi sa politique en matière d’énergie. Le manque d’investissements dans la prévention ou la réparation de désastres écologiques serait fatal à certains milieux de vie.
Conséquences des déplacements de population
Faut-il craindre une « invasion de migrants climatiques » vers l’Europe ? Non, a priori. On a constaté dans de nombreuses études que les migrations induites par le changement climatique sont principalement intra-étatiques ou régionales. Les personnes déplacées sont attachées à leur région et souhaitent préserver leurs liens familiaux et sociaux. Mais les déplacements de personnes, même de quelques kilomètres peuvent engendrer des conflits, des problèmes sanitaires si les conditions d’accueil sont insuffisantes, et compromettre la sécurité internationale. Ces migrations ont également des conséquences moins évidentes mais tout aussi inquiétantes sur l’environnement. En effet, les réfugiés contribuent à la déforestation ou la désertification de leur nouvel environnement pour satisfaire leurs besoins vitaux et légitimes (chauffage, cuisine…). Ceux qui s’installent en ville font grossir les métropoles et contribuent à l’augmentation de la pollution urbaine.
Katherin Millock, chargée de recherche au CNRS, explique les conséquences de ces migrations et la nécessité de mener des politiques pour les prévenir. Cette vidéo fait partie d’une série sur les migrations climatiques sur la chaine YouTube SorbonnEcho du Centre d’Economie de la Sorbonne.
Quelques initiatives et propositions sur le plan international
Une coopération et une solidarité internationales s’avèrent donc nécessaires pour prévenir, assister, encadrer ces déplacements de populations et limiter leur impact. En 2008, « le changement climatique et les pays les plus vulnérables : il est impératif d’agir » était le thème des débats à l’assemblée générale des Nations unies. Le président des Maldives y réclamait une « justice climatique ».
En 2012, les états africains ratifient le premier traité international à l’échelle du continent africain : la Convention Kamapala, qui oblige les Etats à protéger et assister les personnes déplacées du fait de catastrophes naturelles ou d’événements provoqués par l’homme tel un conflit armé. Il manque toutefois la notion de dégradation progressive de l’environnement… En 2012 également, la Norvège et la Suède appellent les autres pays à réfléchir avec eux sur la protection des personnes déplacées à l’étranger en raison de catastrophes naturelles, dans le cadre de l’Initiative Nansen. Ils cherchent à combler l’absence de statut juridique de ces personnes, non incluses dans le statut des réfugiés défini en 1951 par la Convention de Genève. Cette démarche aboutit, en novembre 2015, à l’adoption, par 110 pays, d’un « agenda pour la protection des personnes déplacées au-delà des frontières en contexte de catastrophes et du changement climatique ».
Au fur et à mesure des négociations en vue de réduire ou contenir le réchauffement climatique, les pays pauvres et particulièrement impactés se liguent et réclament plus d’efforts aux pays développés qui sont aussi les plus pollueurs. La COP 21 en décembre 2015 à Paris est considérée comme un succès de ces négociations. On peut lire ce résumé sur le site officiel :
« La COP21 s’est conclue le 12 décembre 2015 sur l’adoption du premier accord international sur le climat (conclu par 195 pays et applicable à tous). […] Il est flexible et tient compte des besoins et capacités de chaque pays, équilibré concernant l’adaptation et l’atténuation, et durable avec une revue à la hausse périodique des ambitions. »
Dina Ionesco, Daria Mokhnacheva, François Gemenne
Presses de Sciences Po, 2016
Rédigé par trois experts des migrations environnementales, cet ouvrage propose une centaine de cartes, des graphiques et des études de cas concrets et étudie l’origine des migrants, les régions concernées, les conséquences des transformations climatiques, les dispositifs d’aide existants, les pistes de réflexion…
À la Bpi, niveau 3, 913.1 ATL
Les Migrations environnementales : enjeux et gouvernance
Christel Cournil, Benoît Mayer
Presses de Sciences po, 2014
« Une synthèse des savoirs et des débats actuels, avec un accent particulier sur les questions juridiques et de gouvernance »
On les appelle réfugiés climatiques, migrants environnementaux, déplacés ou encore écoréfugiés. Ils n’ont pas de nom, et encore moins d’adresse. Et pour cause : ils sont des millions, chaque année, à devoir quitter leur lieu de vie, poussés dehors par la dégradation de l’environnement.
Fondé en 2001, le collectif Argos rassemble onze journalistes, tous investis dans une démarche documentaire autour des mutations ou des enjeux sociaux et environnementaux. Ils placent l’humain au cœur de leur travail. Des images, des films, des ouvrages qui parlent du vécu des réfugiés climatiques.
Un point très complet sur les déplacés environnementaux dans le cadre des Journée d’études « Droits de l’homme et développement durable » de l’université de La Rochelle par Charlotte Huteau, doctorante, EJEP.
L’IDMC recueille et publie de nombreuses données sur les déplacements de personnes.
En 2014, on estime à plus de 19,3 millions les personnes forcées de fuir leurs maisons suite à des catastrophes naturelles violentes (inondations, tempêtes, tremblements de terre…). Depuis 2008, ce sont 26,4 millions de personnes par an en moyenne qui sont déplacées pour ces raisons. Toutes les données sur ce sujet dans Global Estimates 2015: People displaced by disasters (6e rapport).
(en anglais)
« Cet ouvrage présente le potentiel des politiques publiques et des instruments juridiques, utilisés en réponse à ces mouvements de population, fréquemment imprévus. »
À consulter en ligne sur la base Cairn.
Audition par la Section des affaires européennes et internationales du CESE (Conseil économique social et environnemental) de François Gemenne, Chercheur spécialiste des migrations environnementales à l’Université de Liège et à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, expert associé au Centre d’études et de recherches internationales (CERI), dans le cadre de l’élaboration de son avis « Migrations internationales : un enjeu planétaire« .
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