Quel est le parcours des jeunes migrants, une fois arrivés en France ? Catherine Delanoë-Daoud, avocate au barreau de Paris et présidente de l’Association d’accès aux droits des jeunes et d’accompagnement vers la majorité (Aadjam), intervient depuis douze ans au tribunal pour enfants et auprès de la Cour nationale du droit d’asile. Elle retrace les étapes et les difficultés de la prise en charge des mineurs étrangers.
Plusieurs termes sont employés pour désigner les jeunes étrangers présents en France : « mineurs isolés », « mineurs non accompagnés », « mineurs en errance ». Que signifient-ils ?
Aucun de ces termes ne figure dans le droit français. Les directives européennes emploient l’expression « mineurs non accompagnés », mais la loi française les dénomme « mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille ». Quelle que soit la terminologie utilisée, les enfants étrangers relèvent d’un dispositif spécifique : ils sont traités différemment des autres enfants, de façon moins protectrice, pour la seule raison qu’ils sont étrangers.
Quant à l’expression « mineurs en errance », on l’emploie généralement pour qualifier les enfants, français ou étrangers, qui vivent à la rue, ne sont pas pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE), et dont certains commettent des infractions. À ce sujet, on ne peut que déplorer que certaines personnalités politiques, qui de toute évidence ne connaissent rien à la situation ni à la justice des mineurs, affirment que tous les mineurs étrangers sont des délinquants.
Quel est le parcours des jeunes jusqu’à leur arrivée en France ?
La majorité des mineurs isolés étrangers viennent de trois pays francophones d’Afrique subsaharienne : Guinée, Mali et Côte d’Ivoire. Ils disent souvent que la France est leur deuxième pays car ils ont appris le français à l’école. Les autres viennent du Maghreb (Algérie, Tunisie, Maroc) et d’Asie (Bangladesh, Afghanistan et Pakistan). Pour la plupart d’entre eux, ils arrivent après un long périple à pied, en camion et en bateau, au cours duquel ils ont vu mourir des compagnons de voyage, en mer mais aussi dans le désert ou dans les camps libyens. Parfois, ils se sont fait rançonner. Souvent, ils ont dû travailler pour payer les passeurs.
À l’origine de leur départ, il y a toujours une situation de souffrance dans leur pays d’origine : guerre, insécurité, famine, conflits familiaux, abandon… Ces jeunes viennent d’endroits où ils ont subi des violences politiques, économiques, familiales, et leur parcours leur fait subir des traumatismes supplémentaires. Une fois arrivés en France, ils pensent pouvoir se poser et aller à l’école. Il y a alors une énorme désillusion : avant toute prise en charge, ils doivent prouver qu’ils sont des enfants, en passant par le dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers mis en place par tous les départements depuis 2016. Cela ajoute de la maltraitance à un parcours déjà très douloureux.
Le Code civil dispose que, quelle que soit sa situation administrative et sa nationalité, un enfant en danger doit être pris en charge par les services de la protection de l’enfance. La protection de l’enfance relève de la compétence des départements mais beaucoup de départements considèrent que, s’agissant d’étrangers, ce serait à l’État de s’en occuper et de payer les frais de leur évaluation et de leur prise en charge.
Comment ces étrangers peuvent-ils prouver qu’ils sont mineurs ?
Les textes prévoient que tout jeune qui demande à être pris en charge par l’ASE doit passer un entretien d’évaluation. Un évaluateur interroge le jeune sur son identité, sa famille, sa scolarité, son parcours, les raisons de sa venue. On évalue s’il a l’air majeur ou mineur d’après ce qu’il raconte.
Si le jeune a des documents d’identité, cela facilite les choses. Mais rares sont ceux qui ont un passeport. Soit ils n’en ont jamais eu, soit les passeurs le leur ont confisqué pendant le parcours. Certains arrivent avec un acte de naissance ou se le font envoyer par la suite, mais comme il n’y a pas de photo sur les actes de naissance, ils doivent être capables d’expliquer comment ils ont obtenu ce document et de convaincre l’évaluateur qu’il s’agit bien de leur document.
De quel recours les jeunes disposent-ils lorsque l’évaluation est négative ?
Le dispositif d’évaluation, qui, à Paris, s’appelle le Dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers (DEMIE) et est géré par la Croix-Rouge française, envoie un rapport à la Direction de l’action sociale (DASES) du département. Celle-ci rend une décision notifiée au jeune. S’il s’agit d’un refus de protection, le jeune peut saisir le juge des enfants. Encore faut-il que le jeune comprenne le document, ce qui n’est pas évident car même si la plupart des jeunes sont francophones, ils ne sont pas habitués à lire des documents de ce type. Depuis plusieurs années, des associations interviennent auprès des mineurs isolés étrangers pour les informer de leurs droits et leur expliquer comment aller voir un juge des enfants et comment se faire aider d’un avocat.
Au tribunal judiciaire de Paris, les avocats de l’Antenne des mineurs assurent une permanence tous les jours de 14 h à 17 h, où les jeunes peuvent rencontrer un avocat pour les aider à écrire au juge des enfants et lui demander protection. Le juge des enfants est le seul juge qu’un enfant peut saisir directement, même sans représentant légal et même sans avocat.
Le juge des enfants statue en tenant compte des propos et du comportement du jeune à l’audience, du rapport d’évaluation et, le cas échéant, des documents d’identité ou d’état civil présentés. Le juge peut ordonner une analyse de ces documents par la direction centrale de la Police aux frontières (DCPAF). Celle-ci examine les documents et les compare à sa base de données, puis indique si le document est authentique ou faux, ou s’il comporte des irrégularités.
En dernier recours, si le jeune n’a pas de document d’identité ou si ses documents ne sont pas validés, le juge peut ordonner une expertise d’âge physiologique, au cours de laquelle un médecin prend une radio de la main et du poignet gauche ou de la clavicule du jeune, ainsi qu’une radio panoramique dentaire. Le médecin expert évalue l’âge physiologique du jeune en comparant ces radios avec des référentiels tels que l’Atlas de Greulich et Pyle. Cependant, tous les spécialistes et les autorités de médecine s’accordent à dire que cette méthode d’évaluation de l’âge comporte des marges d’erreur élevées, pouvant aller jusqu’à deux ans. Cela s’explique notamment par le fait que l’Atlas de Greulich et Pyle a été établi aux États-Unis en 1930 avec un échantillonnage de jeunes Européens !
Comment les jeunes sont-ils pris en charge pendant ce recours ?
La phase du recours devant le juge des enfants et la cour d’appel peut durer jusqu’à un ou deux ans. Pendant ce temps, le mineur étranger n’est pas pris en charge par l’ASE. S’il n’a pas eu la chance de rencontrer une association ou une personne qui accepte de l’héberger, le mineur reste à la rue. En effet, le droit français ne prévoit pas de présomption de minorité au bénéfice des mineurs isolés étrangers. Le comité des droits de l’enfant des Nations unies a reproché plusieurs fois cette situation à la France.
Pendant l’état d’urgence sanitaire, certains départements dont Paris ont mis en place un dispositif de mise à l’abri des jeunes en recours devant le juge des enfants, avec des dortoirs installés dans des gymnases ou dans des foyers d’urgence. C’est évidemment mieux que rien, mais il ne s’agit pas de lieux agréés au titre de la protection de l’enfance.
En tant qu’avocate d’enfants, je déplore que l’on exige de la part des jeunes isolés étrangers, qui se trouvent en France dans une situation d’extrême vulnérabilité, qu’ils réalisent un tel parcours du combattant pour prouver leur identité et leur minorité. On leur demande, alors qu’ils ont survécu à un voyage long et dangereux, de se débrouiller tout seuls pour apporter des documents d’état civil originaux, contacter leur famille, se faire envoyer des documents, les faire légaliser et même les faire traduire par un traducteur assermenté !
La Convention internationale des droits de l’enfant stipule dans son article 7 que le droit à l’identité est un droit fondamental auquel tout enfant doit avoir accès. Il ne devrait pas être difficile pour les autorités françaises, par exemple par l’intermédiaire du bureau d’entraide judiciaire internationale, de contacter les autorités des pays d’origine de ces enfants pour récupérer des documents d’identité en bonne et due forme, surtout lorsque ces pays sont francophones, que leur droit civil est inspiré du droit français et que leurs services d’état civil ont été mis en place avec l’aide de la France.
Comment expliquez-vous la hausse massive d’arrivées de mineurs étrangers à partir de 2016 ?
Il y a beaucoup de facteurs, parmi lesquels les guerres, les problèmes socio-économiques et les conflits familiaux. Par exemple, en Guinée, les conflits d’héritage sont fréquents et poussent les jeunes à quitter leur foyer à la mort d’un parent. Au Mali, au Maroc et en Algérie, les jeunes disent qu’ils n’ont aucun avenir et préfèrent quitter leur famille et s’exiler dans l’espoir d’une vie meilleure.
On peut aussi expliquer la hausse du nombre de mineurs par le durcissement des politiques migratoires concernant les majeurs : après avoir longtemps favorisé l’immigration de travail, la France a drastiquement réduit les possibilités d’obtenir un visa pour venir travailler sur le territoire français. Faute de pouvoir survivre grâce à l’immigration professionnelle des adultes, il est possible que les familles prennent le risque de faire voyager leurs jeunes pour qu’ils aient une chance d’être scolarisés et d’apprendre un métier en Europe.
Y a-t-il beaucoup de filles parmi les mineurs isolés étrangers ?
Très peu, environ 5 %. J’ai rencontré des jeunes filles en provenance de Guinée et du Nigéria, qui avaient fui un mariage forcé ou une excision. Les Nigérianes, majoritairement originaires de la région de Benin City, sont recrutées par des réseaux qui leur promettent un emploi de coiffeuse ou de garde d’enfants et les contraignent, dès leur arrivée en Europe, à la prostitution.
Peut-on estimer le nombre de mineurs étrangers présents en France ?
Selon le ministère de la Justice, dont les chiffres sont actualisés régulièrement, environ 20 000 mineurs étrangers ont été pris en charge par l’ASE en France depuis le 1er janvier 2020, soit une moyenne de 10 000 par an. Ce nombre représente moins de 10 % de l’ensemble des mineurs pris en charge par l’ASE. On est donc très loin du « raz-de-marée » dénoncé par certains !
En revanche, personne ne sait quel est le nombre de mineurs isolés étrangers qui sont présents mais non pris en charge par l’ASE, comme les mineurs en errance. Malheureusement, si les autorités ne les protègent pas, les enfants disparaissent et risquent d’être récupérés et exploités par des réseaux clandestins et des groupes criminels. Selon des experts, plus de 18 000 mineurs isolés étrangers auraient disparu en Europe entre 2018 et 2020.
Que se passe-t-il une fois qu’ils sont pris en charge par l’ASE ?
Ils passent un test de niveau avant d’être scolarisés. Ils fréquentent souvent d’abord une classe de mise à niveau comme les Unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants (UP2A). À Paris, le processus de scolarisation est assez rapide, contrairement à d’autres départements où les délais d’attente peuvent être de plusieurs mois et font parfois perdre toute une précieuse année scolaire à ces jeunes pourtant très motivés.
Pour ce qui concerne l’hébergement, des progrès restent à faire car les jeunes étrangers sont le plus souvent logés à l’hôtel, contrairement aux mineurs français qui sont placés en foyers ou en familles d’accueil. Or ce mode d’hébergement est non seulement totalement inadapté à des mineurs, mais aussi peu propice à leur intégration, puisqu’il ne leur permet pas de voir et d’apprendre la manière dont on vit en France : comment on mange, de quoi on parle entre jeunes et avec les adultes, quel est le rythme de vie… À l’hôtel, ces enfants sont livrés à eux-mêmes. Un éducateur passe de temps en temps mais souvent on délègue au chef d’établissement, dont ce n’est pas du tout le rôle, le soin de voir si tout va bien.
Je me souviens avoir rendu visite à un jeune qui logeait depuis plusieurs mois dans un hôtel près de la Porte de Vincennes, et dont les conditions de vie étaient déplorables. Il partageait une petite chambre avec un autre garçon, son matelas était posé par terre, il n’y avait ni chaise ni bureau pour travailler, il était obligé de prendre ses repas et faire ses devoirs dans son lit qui était, de plus, infesté de punaises. J’ai alerté l’éducatrice de l’ASE qui a trouvé, après quelques mois d’attente supplémentaires, un hébergement approprié.
Que se passe-t-il lorsqu’ils deviennent majeurs ?
Les jeunes doivent obtenir la délivrance de leur titre de séjour avant leurs 19 ans. Cet accès au séjour se prépare en amont, avec l’ASE, à partir des 17 ans du jeune.
Le titre de séjour auquel chaque jeune peut prétendre dépend non pas de l’âge auquel il est arrivé en France, mais de l’âge auquel il a été confié à l’ASE. Ainsi, si le jeune a été obligé de saisir le juge des enfants pour qu’on reconnaisse sa minorité, toute la durée de la procédure devant le juge ne sera pas comptabilisée, ce qui est très injuste puisque ce n’est pas la faute du jeune si on ne l’a pas cru et protégé depuis le début !
Si le jeune a été pris en charge avant ses 15 ans (ce qui est très rare), il peut réclamer la nationalité française avant ses 18 ans. S’il a été pris en charge avant 16 ans, il a droit à une carte de séjour « vie privée et familiale » qui lui donne le droit de travailler. S’il a été pris en charge entre 16 et 18 ans (ce qui représente la majorité des cas), il peut demander un titre de séjour dont la nature varie selon sa situation : étudiant, salarié, travailleur temporaire… Par ailleurs, toute personne mineure ou majeure qui a fui son pays et qui craint de subir des persécutions en cas de retour peut demander l’asile à la France.
Julien Bricaud et Xavier Crombé (dir.)
Chronique sociale, 2020
Cet ouvrage collectif revient sur les difficultés rencontrées par les mineurs isolés étrangers et par les travailleurs sociaux qui les prennent en charge à leur arrivée en France. Il ouvre des pistes de réflexion et possibilités d’action aux particuliers, bénévoles, professionnels et associations souhaitant contribuer à l’accueil des jeunes migrants.
Rozenn Le Berre revient sur la situation des mineurs isolés étrangers dans un texte à deux voix : à son propre témoignage d’éducatrice dans un service d’accueil vient s’ajouter le récit de Souley, jeune Malien cherchant à rejoindre la France avant sa majorité.
Arrivés en France après un voyage éprouvant, les jeunes migrants sont confrontés à l’hostilité des autorités publiques, qui contestent leur minorité et leur refusent souvent l’accès au logement, à l’éducation et à la santé.
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